CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, 3e chambre, en date du 17 mars 1994, qui, dans la procédure suivie contre Y..., pour diffamation publique envers un fonctionnaire public, a relaxé le prévenu et débouté la partie civile.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Vu l'article 21 de la loi du 3 août 1995 portant amnistie ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 29, alinéa 1, 30, 31, alinéa 1, et 48.3° de la loi du 29 juillet 1881, et 593 du Code de procédure pénal :
" en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Y... des fins des poursuites du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public ;
" aux motifs qu'en l'absence d'invocation de circonstances extérieures, les termes incriminés pour injurieux et outrageants qu'ils puissent être considérés ne contiennent pas l'allégation de faits précis et déterminés se rattachant à la fonction de fonctionnaire public du général X..., justifiant la protection particulière de l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881, et qui seraient de nature à être l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire ; que la qualité non contestée de "patron du Sirpa", attribution légale non contraire à l'honneur, accolée aux termes "trop accrochés aux baskets des socialistes" tend à inculper une attitude publique nécessairement induite par de telles attributions et relèvent de propos utilisés habituellement par la presse politique polémiste, sans dépasser les limites admissibles du genre dans le cadre du débat démocratique ; que le reproche "de ne pas avoir l'esprit parachutiste qui consiste à combattre, gagner et respecter les adversaires courageux" est une imputation vague et générale, de nature morale ne constituant pas une attaque personnelle injustifiée dans la mesure où elle s'inscrit dans le cadre d'une revue ayant pour objet la défense de principes déontologiques ou corporatistes, qui pour autant n'est pas privée de la liberté de critique et d'opinion commune à la presse nationale ;
" alors que, d'une part, l'imputation faite à un général astreint à un devoir de réserve et à une obligation d'obéissance aux organes de gouvernement d'être accroché aux baskets des socialistes en ce qu'elle met en cause une allégeance à un parti politique qui pourrait être prouvée par des manifestations diverses, revêt la condition de précision posée par l'incrimination légale et porte atteinte à l'honneur du fonctionnaire visé ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" alors que, d'autre part, l'imputation faite à un général de parachutiste de ne pas combattre, gagner et respecter les adversaires en ce qu'elle vise des comportements qui constituent l'objet même de la mission d'un militaire appartenant à cette arme, revêt la condition de précision posée par l'incrimination légale et porte atteinte à l'honneur du fonctionnaire visé ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que l'allégation ou l'imputation d'un fait déterminé portant atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne entre dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que la revue trimestrielle " Z... " a publié, dans son numéro 1 daté de mars 1993, un article non signé mettant en cause le général X..., en ces termes :
" Le général X..., et son ombre de lieutenant-colonel A..., ne sont pas tellement appréciés par les parachutistes combattants. On leur reproche, surtout au premier, l'ancien patron du Sirpa, d'être trop accrochés aux baskets des socialistes et surtout de ne pas avoir l'esprit parachutiste qui consiste à combattre, gagner et respecter les adversaires courageux. Décidément, les traditions se perdent, heureusement que le vieux B..., est encore là pour remonter le flambeau " ;
Attendu que sur la plainte de X..., incriminant spécialement la deuxième phrase de l'article, le procureur de la République a cité directement devant le tribunal correctionnel Y..., directeur de la publication du journal, et auteur de l'article, sous la prévention de diffamation publique envers un fonctionnaire public, en visant l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 ; que le tribunal a déclaré le prévenu coupable ;
Attendu que pour infirmer, sur les appels du prévenu et du ministère public, le jugement de condamnation, relaxer le prévenu et débouter la partie civile, la cour d'appel se prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Mais attendu que les propos incriminés, dont l'interprétation est soumise au contrôle de la Cour de Cassation, imputaient au plaignant, qui avait quitté la direction du service d'information et de relations publiques des armées pour commander une division parachutiste, de manquer de combativité ou de courage, et d'être inféodé à un parti politique ; que ces faits, de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération professionnelle du plaignant, en tant que dépositaire de l'autorité publique, étaient susceptibles de preuve et d'un débat contradictoire ;
Que l'arrêt attaqué ayant méconnu le sens et la portée des propos incriminés, la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, en date du 17 mars 1994, en ses seules dispositions concernant les intérêts civils, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux.