La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/05/1996 | FRANCE | N°94-82440

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 14 mai 1996, 94-82440


REJET du pourvoi formé par :
- X... Albert,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 6 avril 1994, qui l'a condamné, pour infraction à la réglementation des sondages, à 10 000 francs d'amende, ainsi qu'à la publication d'un extrait de la décision dans le journal L'Evénement du Jeudi.
LA COUR,
Vu le mémoire ampliatif et le mémoire complémentaire produits ;
Sur la recevabilité des mémoires en ce qu'ils sont présentés au nom de la société L'Événement du Jeudi et de Me Serge Pinon :
Attendu que le pourvoi a été déclaré au no

m d'Albert X..., en qualité de directeur de la publication de L'Evénement du Jeudi ; que ...

REJET du pourvoi formé par :
- X... Albert,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 6 avril 1994, qui l'a condamné, pour infraction à la réglementation des sondages, à 10 000 francs d'amende, ainsi qu'à la publication d'un extrait de la décision dans le journal L'Evénement du Jeudi.
LA COUR,
Vu le mémoire ampliatif et le mémoire complémentaire produits ;
Sur la recevabilité des mémoires en ce qu'ils sont présentés au nom de la société L'Événement du Jeudi et de Me Serge Pinon :
Attendu que le pourvoi a été déclaré au nom d'Albert X..., en qualité de directeur de la publication de L'Evénement du Jeudi ; que selon cette déclaration, il vise l'arrêt " qui confirme le jugement sur la culpabilité, prononce amende, ordonne la publication aux frais du prévenu " ;
Qu'ainsi, la société éditrice, qui ne s'est pas pourvue, n'a pas qualité pour produire des mémoires, qui, en ce qui la concerne, sont irrecevables ;
Sur le moyen complémentaire de cassation pris de la violation des articles 460, 513 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, violation des droits de la défense :
" en ce qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que le prévenu et son conseil ont été entendus avant les réquisitions de l'avocat général, en violation des dispositions de l'article 513 du Code de procédure pénale, telles qu'entrées en vigueur à la suite de l'article 49-1 de la loi du 24 août 1993, et de l'ordre impératif de parole prévu par ce texte et par l'article 460 du Code de procédure pénale ; que les droits de la défense ont été ainsi méconnus " ;
Attendu que si l'arrêt mentionne que le prévenu a présenté sa défense avant les réquisitions du ministère public, dans l'ordre de parole prévu par les dispositions de l'article 513 du Code de procédure pénale, en leur rédaction antérieure à la loi du 4 janvier 1993, il précise que le prévenu et son avocat ont eu la parole les derniers ;
Qu'en cet état, et dès lors que l'article 513 précité a été rétabli en sa rédaction initiale par la loi du 8 février 1995, l'irrégularité commise n'a pas été de nature à porter atteinte aux intérêts du demandeur ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 1er, 11 et 12 de la loi du 19 juillet 1977, 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Albert X... et déclaré la société L'Evénement du Jeudi civilement responsable, du chef d'infraction aux dispositions de l'article 11 de la loi du 19 juillet 1977, pour avoir publié, dans la semaine précédant le référendum sur l'adhésion de la France au traité de Maastricht, le résultat d'un sondage portant sur la question suivante : " Etes-vous personnellement très favorable, plutôt favorable, plutôt opposé ou très opposé à la construction de l'Europe ? " ;
" alors que ne sont interdits, dans la semaine précédant le scrutin, que les sondages d'opinion " ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum ou une des élections " visées par le texte ; que ne constitue pas un sondage ayant un rapport " direct ou indirect " avec un référendum la question posée de savoir, dans le cadre d'une enquête générale sur le comportement politique des Français renfermant des questions extrêmement variées, s'ils sont plus ou moins favorables à la construction de l'Europe, l'article ayant au surplus pris soin de relever que, précisément, la réponse à cette question était sans rapport avec les intentions de vote sur le traité de Maastricht ; que la cour d'appel a ainsi faussement appliqué la loi pénale et violé les textes précités " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que durant la semaine précédant le référendum du 20 septembre 1992, sur la ratification du traité de l'Union européenne, le journal hebdomadaire L'Evénement du Jeudi daté du 17 au 23 septembre, a publié les résultats d'un sondage d'opinion réalisé par l'institut CSA, comportant notamment les réponses à la question " êtes-vous personnellement très favorable, plutôt favorable, plutôt opposé ou très opposé à la construction de l'Europe ? " ; que le sondage ayant dénombré 78 % de réponses favorables, contre 14 % de réponses opposées et 8 % d'abstentions, a été assorti d'un commentaire selon lequel " les Français sont à une énorme majorité favorables à la construction européenne, ce qui n'empêche pas la moitié d'entre eux de voter contre un traité qui favorise cette construction " ;
Attendu que pour déclarer Albert X... coupable d'infraction à la réglementation des sondages, l'arrêt attaqué relève que le prévenu, directeur de la publication du journal, n'a pas contesté que la décision de publier ce sondage et son commentaire relevait de sa responsabilité personnelle, et qu'il assumait cette responsabilité ; que les juges énoncent que le résultat du sondage portant sur la question précitée et son commentaire ont incontestablement un rapport direct avec le référendum sur la ratification du traité de l'Union européenne, et que leur publication entre dans les prévisions des articles 1er et 11 de la loi du 19 juillet 1977 ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen ;
Que tout sondage d'opinion est régi par les dispositions de la loi du 19 juillet 1977 dès lors que l'une des questions posées aux personnes interrogées présente un rapport direct ou indirect avec un référendum ; que tel a été le cas en l'espèce ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 6, 9 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 30 et 36 du traité de Rome, de l'article 55 de la Constitution et de l'article 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Albert X... et déclaré la société L'Evénement du Jeudi civilement responsable, du chef d'infraction aux dispositions de l'article 11 de la loi du 19 juillet 1977 " ;
" alors, d'une part, que l'interdiction de publier des sondages relatifs à un scrutin dans la semaine précédant ce scrutin constitue une atteinte à la liberté d'opinion et d'expression dont l'objet, préserver la liberté ou la sincérité du vote, ne constitue pas l'un des intérêts qui seuls peuvent justifier, aux termes de l'article 10, § 2, de la Convention, une restriction à cette liberté ;
" que, de surcroît, cette mesure n'est pas nécessaire à la protection des intérêts ainsi énumérés, dans une société démocratique ;
" qu'en conséquence, aucune condamnation pénale ne pouvait être prononcée à raison de l'éventuelle transgression de cette mesure ;
" alors, d'autre part, que cette interdiction est également contraire aux articles 30 et 36 du traité sur l'Union européenne parce que constituant une mesure d'effet équivalant à l'importation de publications étrangères, non justifiée par la protection d'un des intérêts énoncés à l'article 36 du Traité ;
" que le souci de protéger la sincérité d'un scrutin ou la liberté d'un électeur ne constitue pas un objectif légitime d'intérêt général justifiant une restriction au principe de liberté d'importation ;
" que de surcroît cette mesure n'est pas nécessaire à la protection de la liberté des scrutins ;
" alors, enfin, et en toute hypothèse que, au regard des deux conventions précitées, d'éventuelles restrictions à la liberté d'expression ou à la liberté d'importation ne peuvent être considérées comme légitimes que si elles sont strictement proportionnelles aux nécessités des intérêts à protéger ; que tel n'est pas le cas de l'édiction d'une interdiction absolue de toute diffusion ou publication d'un sondage pendant 8 jours, le juge de l'élection et le juge répressif ayant par ailleurs les pouvoirs nécessaires pour contrôler d'éventuels abus des libertés en cause " ;
Attendu qu'en rejetant l'argumentation du prévenu prise de l'incompatibilité de l'article 11 de la loi du 19 juillet 1977 avec l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et avec les articles 30 et 36 du Traité instituant la Communauté économique européenne, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Que, d'une part, si l'article 10 de la Convention susvisée en son premier paragraphe, reconnaît à toute personne le droit à la liberté d'expression, ce texte prévoit en son second paragraphe que l'exercice de cette liberté comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent, dans une société démocratique, des mesures nécessaires notamment à la protection des droits d'autrui ; que tel est l'objet de l'article 11 de la loi précitée, qui protège la liberté des élections et la sincérité du scrutin, par ailleurs garanties par l'article 3 du premier protocole additionnel à la Convention ;
Que, d'autre part, les dispositions de ladite loi ne sauraient être interprétées comme régissant la publication et la diffusion en France de sondages réalisés hors de France au sujet d'opérations électorales intéressant un autre pays ; qu'en ce qui concerne le scrutin national, elles ne sauraient constituer une mesure d'effet équivalent à une restriction à l'importation, au sens de l'article 30 du Traité susvisé, dès lors qu'elles visent indistinctement les produits nationaux et importés, et que la durée de l'interdiction de publication qu'elles édictent est limitée à 8 jours ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 11 et 12 de la loi n° 77-807 du 19 juillet 1977, L. 90-1 du Code électoral, violation du principe de la légalité des peines et des articles 111-3 et 131-10 du Code pénal :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Albert X... à une peine de publication de sa décision pour infraction aux dispositions de l'article 11 de la loi du 19 juillet 1977 ;
" alors que toute infraction aux dispositions de ce texte est punie par les peines de l'article L. 90-1 du Code électoral, c'est-à-dire exclusivement une peine d'amende ; que, en prononçant une peine de publication non prévue par la loi, la cour d'appel a exposé sa décision à une censure qui ne peut être que totale, en vertu du principe d'indivisibilité entre la décision de culpabilité et le prononcé de la peine " ;
Attendu que le demandeur ne saurait se faire un grief de la mesure de publication ordonnée par l'arrêt attaqué, dès lors qu'aux termes du dernier alinéa de l'article 12 de la loi du 19 juillet 1977, la décision de justice sera publiée ou diffusée par les mêmes moyens que ceux par lesquels il a été fait état du sondage publié ou diffusé en violation des dispositions de la présente loi ;
D'où il suit que le délit n'entre pas dans les prévisions de l'article 2, alinéa 1, de la loi du 3 août 1995 portant amnistie, et que le moyen manque par la circonstance sur laquelle il prétend se fonder ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 94-82440
Date de la décision : 14/05/1996
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° ELECTIONS - Sondages d'opinion - Publication - diffusion ou commentaire - Interdiction durant la semaine précédant chaque tour de scrutin - Référendum sur l'Union européenne - Question en rapport direct ou indirect avec le référendum.

1° Tout sondage d'opinion est régi par les dispositions de la loi du 19 juillet 1977 dès lors que l'une des questions posées aux personnes interrogées présente un rapport direct ou indirect avec un référendum ou une élection(1).

2° CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 10 - 2 - Liberté d'expression - Elections - Sondages d'opinion - Liberté des élections et sincérité du scrutin.

2° ELECTIONS - Sondages d'opinion - Publication - diffusion ou commentaire - Interdiction durant la semaine précédant chaque tour de scrutin - Convention européenne des droits de l'homme (article 10 - 2).

2° Si l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnaît en son premier paragraphe à toute personne le droit à la liberté d'expression, ce texte prévoit en son second paragraphe que l'exercice de cette liberté comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent, dans une société démocratique, les mesures nécessaires notamment à la protection des droits d'autrui ; que tel est l'objet de l'article 11 de la loi du 19 juillet 1977, qui protège la liberté des élections et la sincérité du scrutin, par ailleurs garanties par l'article 3 du premier protocole additionnel à la Convention.

3° COMMUNAUTES EUROPEENNES - Libre circulation des marchandises - Domaine d'application - Sondages d'opinion.

3° ELECTIONS - Sondages d'opinion - Publication - diffusion ou commentaire - Interdiction durant la semaine précédant chaque tour de scrutin - Communauté européenne - Libre circulation des marchandises - Domaine d'application.

3° Les dispositions de la loi du 19 juillet 1977 ne sauraient être interprétées comme régissant la publication et la diffusion en France de sondages réalisés hors de France au sujet d'opérations électorales intéressant un autre pays. En ce qui concerne le scrutin national, elles ne sauraient constituer une mesure d'effet équivalent à une restriction à l'importation, au sens de l'article 30 du Traité instituant la Communauté économique européenne, dès lors qu'elles visent indistinctement les produits nationaux et importés, et que la durée de l'interdiction de publication qu'elles édictent est limitée à 8 jours(2).

4° AMNISTIE - Textes spéciaux - Loi du 3 août 1995 - Amnistie de droit - Peines - Amende seulement encourue - Définition - Publication (non).

4° ELECTIONS - Sondages d'opinion - Publication - diffusion ou commentaire - Interdiction durant la semaine précédant chaque tour de scrutin - Amnistie - Textes spéciaux - Loi du 3 août 1995 - Amnistie de droit - Peines - Amende seulement encourue - Publication (non).

4° L'infraction à la réglementation des sondages étant sanctionnée par l'amende et la publication de la décision de justice, le délit n'entre pas dans les prévisions de l'article 2, alinéa 1, de la loi du 3 août 1995 portant amnistie.


Références :

1° :
2° :
3° :
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 10 3° :
Loi 77-807 du 19 juillet 1977
Loi 77-807 du 19 juillet 1977 4° :
Loi 77-807 du 19 juillet 1977 art. 11
Loi 95-884 du 03 août 1995 art. 2, al. 1
Traité de Rome du 25 mars 1957 art. 30

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 06 avril 1994

CONFER : (1°). (1) A comparer: Chambre criminelle, 1984-02-21, Bulletin criminel 1984, n° 63, p. 161 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1984-10-30, Bulletin criminel 1984, n° 327, p. 867 (rejet). CONFER : (3°). (2) A comparer : Conseil d'Etat, 1989-10-20, Horblin et autres, Gazette du Palais 1990, Panorama p. 385.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 14 mai. 1996, pourvoi n°94-82440, Bull. crim. criminel 1996 N° 204 p. 577
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1996 N° 204 p. 577

Composition du Tribunal
Président : M. Milleville, conseiller le plus ancien faisant fonction.
Avocat général : M. Dintilhac.
Rapporteur ?: M. Guerder.
Avocat(s) : la SCP Waquet, Farge et Hazan.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1996:94.82440
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award