AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept mai mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller Le GALL, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général le FOYER de COSTIL;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Lilia, veuve Z..., partie civile,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de DOUAI, du 20 juin 1995, qui, dans la procédure suivie contre Henri Y... pour escroquerie, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 575, alinéa 2-6°, et 593 du Code de procédure pénale, de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à mémoire régulièrement déposé;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé l'ordonnance de non-lieu du magistrat instructeur rendue au profit d'Henri Y... poursuivi pour escroquerie à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par Lilia X..., veuve Z...;
"aux motifs que, quant à l'escroquerie prétendue par la partie civile, il s'avère, d'une part, que, lors du rachat des actions de Lilia X..., veuve Z..., la société Delimex connaissait de réelles et sérieuses difficultés financières qui étaient apparues depuis un certain temps, contrairement à ce qu'indique la plaignante, puisqu'une augmentation de capital avait été nécessaire dès 1986 et que le commissaire aux comptes avait déclenché une procédure d'alerte en septembre 1988 après avoir constaté une augmentation des frais financiers et une baisse du chiffre d'affaires; que ses difficultés s'étaient encore accrues en 1989 et avaient provoqué le recours à un crédit bancaire accru et parallèlement une demande de caution personnelle des banques; que ces éléments ressortent tant des pièces produites que des témoignages de l'expert comptable et du commissaire aux comptes dont la probité ne peut être suspectée; que, par ailleurs, aucun élément ne permet de démentir les déclarations du mis en examen selon lesquelles les négociations avec la société Socopa (et donc un accord sur une valeur des actions nettement supérieure à celle proposée à la plaignante) seraient antérieures au rachat de ses titres; qu'en effet, le représentant de la société Socopa les situe en août-septembre 1989 et explique qu'à cette époque, la créance qu'il détenait sur la société Delimex était telle qu'il s'était retrouvé "pris en otage" et obligé d'obtenir un tel accord pour éviter un dépôt de bilan de la société Delimex et sauvegarder ainsi sa créance ;
que le fait de retenir une valeur d'action calculée au 1er avril 1989 n'est en soi nullement significatif puisqu'au moment des négociations, l'exercice comptable suivant n'était pas clos; qu'en conséquence, l'existence de manoeuvres frauduleuses, à savoir de simuler une situation financière catastrophique pour obtenir à bas prix le rachat des actions qui se serait concrétisé par les courriers adressés à la plaignante, n'est nullement rapportée; qu'il en est de même en ce qui concerne le préjudice invoqué par la partie civile dès lors que, compte tenu du nombre des actions détenues par les actionnaires minoritaires (environ 10 %, le reste étant déjà dans les mains de la société Socopa), ceux-ci n'avaient le moyen de négocier au mieux leurs titres (une mutation s'était réalisée antérieurement alors que la société Delimex était "in bonis", sur la base de leur valeur nominale) ni même de s'opposer à la fusion absorption réalisée en 1990 (il résulte en effet des articles 154 et 377 de la loi du 24 juillet 1966 que la fusion est décidée par l'assemblée générale extraordinaire, laquelle statue à la majorité des deux tiers des voix des actionnaires présents ou représentés);
"alors que, dans son mémoire régulièrement déposé devant la chambre d'accusation le 20 avril 1995, la partie civile faisait valoir que, par lettre du 8 juin 1989, envoyée non à titre personnel, mais sur le papier à en-tête de Delimex, Henri Y..., ès-qualité de président-directeur général, avait informé Lilia X... de la situation critique de la société et lui avait proposé, en prévision d'une cessation d'activité annoncée, de signer, à son bénéfice, un ordre de mouvement pour ses 500 actions, dont il proposait le "remboursement" (sic), suggérant ainsi qu'il se serait agi d'un rachat par la société elle-même ;
qu'Henri Y... avait relancé avec insistance Lilia X... par lettre recommandée du 30 juin 1989, annonçant, à nouveau, le remboursement des actions; qu'en janvier 1990, Lilia X... avait fortuitement appris, à sa stupéfaction, que la majorité des actions de Delimex avait été cédée à la société Socopa-Socinter et ce, alors même qu'elle n'avait pas encore reçu un quelconque paiement des actions cédées; qu'en avril 1990, Lilia X..., demeurant toujours en Thaïlande, s'était rendue en France, notamment pour tenter d'obtenir diverses précisions, en particulier sur le prix de cession de Delimex à Socopa-Socinter, et aussi sur les raisons pour lesquelles elle n'avait encore reçu aucun paiement; que, selon les informations alors reçues, ce prix se serait élevé à plus de 4 millions de francs; qu'Henri Y... lui avait alors déclaré ne plus se souvenir des conditions de la transaction intervenue avec Socinter, alors qu'elle remontait à 6 mois à peine, puis, au cours d'un second entretien, lui avait indiqué que la cession aurait été consentie pour "environ 2 millions de francs" et aurait été assortie de clauses complémentaires le concernant à titre personnel : que le registre et les mouvements de titres de Delimex avaient révélé qu'entre le 30 juin et 31 août 1989, en à peine 2 mois, dont un de creux d'été, Henri Y... avait racheté les titres de 5 autres actionnaires minoritaires pour réunir, sur sa tête, 7 250 actions, les autres 250
étant entre les mains de Socopa-Socinter depuis mai 1987 et que ces achats avaient été portés sur le registre de mouvement seulement le 4 octobre 1989 et le 6 octobre 1989 une cession de 7 250 actions sur 7 500 avait été enregistrée par Henri Y... au profit de Socinter, détenant dès lors la totalité du capital et qu'en conclusion Henri Y... avait dissimulé à une actionnaire très éloignée que la situation de l'entreprise était catastrophique dans l'unique but de provoquer une cession brutale des actions au prix de la souscription initiale, lui permettant ainsi de racheter à bas prix les actions de Lilia X... et de les revendre bien plus cher dans le cadre d'une prise de contrôle complet, visiblement prévue dès avril 1989 et en tous cas avant juin 1989 et qu'en n'examinant pas ces chefs péremptoires du mémoire de la demanderesse d'où résultait la nécessité pour la cour de renvoi d'ordonner un supplément d'information, l'arrêt attaqué ne satisfait pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale";
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que, pour confirmer l'ordonnance de non-lieu entreprise, la chambre d'accusation, après avoir analysé l'ensemble des faits dénoncés dans la plainte, a répondu aux articulations essentielles du mémoire de la partie civile et exposé les motifs dont elle a déduit qu'il n'existait pas de charges suffisantes contre la personne mise en examen d'avoir commis l'infraction reprochée;
Attendu que, sous couleur d'un défaut de réponse à conclusions privant l'arrêt des conditions essentielles de son existence légale, la partie civile se borne à discuter les motifs retenus par les juges, sans justifier d'aucun des griefs que l'article 575 du Code de procédure pénale autorise la partie civile à formuler à l'appui de son seul pourvoi contre un arrêt de chambre d'accusation, en l'absence de recours du ministère public;
Que, dès lors, le moyen n'est pas recevable et qu'en application du texte susvisé, il en est de même du pourvoi;
Par ces motifs,
DECLARE le pourvoi IRRECEVABLE ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Guilloux conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Le Gall conseiller rapporteur, MM. Massé, Fabre, Mme Baillot, M. Le Gall, Farge conseillers de la chambre, Mme Batut, M. Poisot, Mme de la Lance, M. Desportes, Mme Karsenty conseillers référendaires;
Avocat général : M. le Foyer de Costil ;
Greffier de chambre : Mme Arnoult ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;