AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Jacques X...,
en cassation de deux arrêts rendus les 18 février 1993 et 13 décembre 1993 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (1re chambre civile, section A), au profit de Mme Michèle, Alice, Jacqueline Y..., défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt;
LA COUR, en l'audience du 14 février 1996, où étaient présents :
M. Delattre, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Séné, conseiller rapporteur, M. Laplace, Mme Vigroux, MM. Buffet, Chardon, conseillers, M. Bonnet, Mlle Sant, conseillers référendaires, M. Tatu, avocat général, Mme Claude Gautier, greffier de chambre;
Sur le rapport de M. Séné, conseiller, les observations de Me Choucroy, avocat de M. X..., de Me Boullez, avocat de Mme Y..., les conclusions de M. Tatu, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 18 février 1993 et 13 décembre 1993), que M. X..., dont le divorce avait été prononcé, a saisi un tribunal de grande instance des difficultés qui s'étaient élevées sur les opérations de compte, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre lui-même et son épouse, née Y...;
que Mme Y... ayant interjeté appel du jugement intervenu, l'arrêt en date du 18 février 1993 a statué notamment sur la capitalisation des intérêts dus à Mme Y... à laquelle un précédent arrêt du 18 juin 1987 avait alloué une prestation compensatoire, sur l'évaluation d'une récompense due à la communauté et sur une indemnité d'occupation susceptible d'être due par M. X...;
que l'arrêt en date du 13 décembre 1993 a statué sur la requête en rectification pour erreur matérielle présentée par M. X... et afférente à l'évaluation de la récompense due à la communauté;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt du 18 février 1993 d'avoir, interprétant l'arrêt du 18 juin 1987, dit que la dette d'intérêts relative à la prestation compensatoire serait capitalisée par anatocisme, alors, selon le moyen, que, d'une part, aux termes de l'article 461 du nouveau Code de procédure civile, la possibilité d'interpréter un jugement n'appartient qu'au juge qui l'a rendu; qu'en la présente espèce, l'arrêt du 18 juin 1987 avait été rendu par la 6e Chambre civile de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, si bien que la 1re Chambre civile, Section A, de la même Cour, composée d'autres magistrats, était radicalement incompétente pour interpréter cette décision ;
qu'en s'arrogeant le droit d'interpréter une décision qu'elle n'avait pas rendue sans renvoyer les parties à saisir la juridiction compétente, la cour d'appel a violé l'article 461 susvisé;
que, d'autre part, les motifs de l'arrêt du 18 juin 1987, soutien nécessaire de son dispositif, reconnaissaient que le mari était dans l'impossibilité de s'acquitter d'une rente, mais qu'il était certain qu'à la liquidation de la communauté et après épuration des comptes entre les parties, il bénéficierait d'un apport substantiel lui permettant de verser un capital fixé à 250 000 francs à titre de prestation compensatoire ;
qu'il en résultait donc à l'évidence que la cour d'appel avait entendu subordonner le paiement de la prestation compensatoire à la liquidation de la communauté, l'octroi des intérêts n'ayant pour but que d'actualiser le capital;
que ce n'est donc qu'au prix de la méconnaissance de l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 18 juin 1987 et de la violation de l'article 1351 du Code civil que la cour d'appel a pu juger que, selon ledit arrêt, le paiement de la prestation compensatoire était immédiatement exigible;
Mais attendu que la décision à interpréter ayant été rendue par la même cour d'appel que celle qui était saisie du recours en interprétation, le moyen manque en fait;
Et attendu que la cour d'appel retient exactement, justifiant légalement sa décision, que l'arrêt du 18 juin 1987, en fixant le montant de la prestation compensatoire, n'a pas différé dans son dispositif l'exigibilité de cette créance dont il a fait courir les intérêts à dater de la décision;
d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli;
Sur le deuxième moyen :
Attendu qu'il est reproché à l'arrêt du 18 février 1993 d'avoir fixé à une certaine somme la récompense due à la communauté pour la part prise dans la construction d'une villa propre à Mme Y..., alors, selon le moyen, que, d'une part, les juges du fond ne peuvent asseoir leur décision sur le simple visa des documents versés aux débats, mais sont tenus de procéder à leur analyse;
qu'en se contentant de se référer aux documents versés par l'une et l'autre des parties pour énoncer que la participation de la communauté à la construction de la villa ne pouvait dépasser 25 % de son coût total comprenant le prix du terrain et celui des travaux, la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile;
que, d'autre part, M. X... avançait la somme de 2 870 258,60 francs comme valeur de la villa seule et non pas de l'ensemble villa et terrain;
qu'en calculant la récompense due à la communauté sur la seule valeur de l'immeuble bâti telle qu'indiquée par l'exposant, alors qu'elle énonçait elle-même que la participation de la communauté à hauteur de 25 % s'appliquait non seulement au prix des travaux, mais également à celui du terrain, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de sa propre décision, violant à nouveau les articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile;
qu'enfin, la somme de 2 870 258,60 francs indiquée par M. X... dans ses conclusions signifiées le 12 juin 1991 ne représentait pas la valeur au jour de l'arrêt, mais celle fixée par expertise en novembre 1981 et actualisée au troisième trimestre 1990, et ce sous réserve de toute variation ultérieure;
qu'en fixant la valeur totale de l'immeuble au jour de l'arrêt, c'est-à-dire en février 1993, à la somme de 2 850 000 francs, alors que cette évaluation datait de 1991 et était faite sous réserve de toute variation ultérieure, la cour d'appel a manifestement dénaturé les conclusions dont elle était saisie, violant ainsi l'article 4 du nouveau Code de procédure civile;
Mais attendu que, sous couvert de griefs non fondés de défaut de motifs et de dénaturation, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion les éléments de fait souverainement appréciés par les juges du fond;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt du 18 février 1993 d'avoir dit que M. X... devrait payer une indemnité d'occupation à l'indivision post-communautaire pour un immeuble de Golfe Juan, alors, selon le moyen, que, d'une part, la femme ne se prévalait pas, dans ses conclusions d'appel, de la présence dans les lieux du mobilier et des documents professionnels de son ex-mari et se contentait d'alléguer fallacieusement que M. X... avait continué d'y exercer sa profession ;
qu'en soulevant ce moyen d'office et sans inviter les parties à lui présenter leurs observations, la cour d'appel a violé les droits de la défense et le principe du contradictoire édicté par l'article 16 du nouveau Code de procédure civile;
que, d'autre part, en se référant implicitement aux "pièces produites" sans même procéder à leur analyse pour considérer qu'il était établi que M. X... avait laissé dans l'appartement litigieux son mobilier et ses documents professionnels, la cour d'appel a, une fois de plus, violé les articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile;
Mais attendu que Mme Y..., soutenant dans ses conclusions ainsi qu'il résulte des productions que M. X... n'avait jamais cessé d'exercer son activité professionnelle dans l'immeuble de Golfe Juan, la présence dans ces lieux de mobilier et de documents professionnels était nécessairement dans les débats;
d'où il suit que la cour d'appel n'a pas encouru les griefs de la première branche du moyen;
Et attendu qu'en énonçant, au vu des pièces produites, dont elle a nécessairement procédé à l'analyse, que M. X... avait son cabinet d'architecte dans l'immeuble de Golfe Juan à l'époque du divorce et que, s'il n'a pas, depuis lors, utilisé ce bien de façon continue pour son travail ou son logement, il y a laissé son mobilier et ses documents professionnels, la cour d'appel a motivé sa décision;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt du 13 décembre 1993 d'avoir rejeté la requête en rectification pour erreur matérielle de l'arrêt du 18 février 1993, en ce qu'il avait évalué la récompense due à la communauté par rapport à la valeur de la villa propre à Mme Y..., alors, selon le moyen, que, d'une part, par application de l'article 625 du nouveau Code de procédure civile, la cassation à intervenir sur l'arrêt du 18 février 1993 ne pourra qu'entraîner la cassation par voie de conséquence de l'arrêt rendu sur la requête en "interprétation" qui n'en est que la suite;
que, d'autre part, le prix indiqué dans les conclusions de M. X... était celui réactualisé au troisième trimestre 1990 et que, quand bien même il avait maintenu cette évaluation dans le dernier état de ses conclusions, il y sollicitait également l'instauration d'une mesure d'expertise aux fins de déterminer le montant de la plus-value apportée au terrain de son ex-épouse selon la règle du profit subsistant;
que ce n'est donc qu'au prix de la dénaturation des conclusions de M. X... que la cour d'appel, violant à nouveau l'article 4 du nouveau Code de procédure civile, a pu juger qu'elle était tenue par le chiffre indiqué dans le dernier état des conclusions;
Mais attendu que le pourvoi dirigé contre l'arrêt du 18 février 1993 étant rejeté le moyen manque en fait;
Et attendu qu'après avoir relevé que M. X... avait proposé, dans ses écritures, après réactualisation au troisième trimestre 1990, une évaluation de la villa litigieuse qu'il n'avait pas modifiée par la suite, c'est hors toute dénaturation que la cour d'appel, qui n'avait fait qu'user, dans son premier arrêt, de son pouvoir souverain d'appréciation, a justifié légalement sa décision;
Sur la demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que Mme Michèle Y... sollicite, sur le fondement de ce texte, l'allocation d'une somme de quinze mille francs (15 000);
Attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir cette demande ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Rejette également la demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Condamne M. X..., envers Mme Y..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mars mil neuf cent quatre-vingt-seize.