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19/03/1996 | FRANCE | N°94-81420

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 mars 1996, 94-81420


ACTION PUBLIQUE ETEINTE et REJET du pourvoi formé par :
- X..., Y..., Z...., civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 2 février 1994, qui, pour publication interdite d'informations relatives à une constitution de partie civile, a condamné les prévenus à 3 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
1° Sur l'action publique :
Attendu que, selon l'article 2, alinéa 1, de la loi du 3 août 1995, sont amnistiés, lorsqu'ils sont antérieurs au 18 mai 1995, les délits pour lesquels seule une pei

ne d'amende est encourue ; que tel est le cas en l'espèce ; qu'ainsi, l'action...

ACTION PUBLIQUE ETEINTE et REJET du pourvoi formé par :
- X..., Y..., Z...., civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 2 février 1994, qui, pour publication interdite d'informations relatives à une constitution de partie civile, a condamné les prévenus à 3 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
1° Sur l'action publique :
Attendu que, selon l'article 2, alinéa 1, de la loi du 3 août 1995, sont amnistiés, lorsqu'ils sont antérieurs au 18 mai 1995, les délits pour lesquels seule une peine d'amende est encourue ; que tel est le cas en l'espèce ; qu'ainsi, l'action publique est éteinte ;
Attendu, cependant, que, selon l'article 21 de la loi d'amnistie précitée, la juridiction de jugement saisie de l'action publique reste compétente pour statuer sur les intérêts civils ;
2° Sur l'action civile :
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que A..., inspecteur des affaires sociales en disponibilité, qui a présidé de 1986 à 1991 le conseil d'administration de la société nationale de construction de logements pour les travailleurs (Sonacotra), a fait citer directement devant la juridiction correctionnelle X..., Y... et la société Z..., à raison de la publication, dans ledit journal daté des 11 au 17 février 1993, d'un article de Y... intitulé " Sonacotra : quand la gauche fait le ménage à gauche ", sous-titré " Du jamais vu ! Les dirigeants d'une société publique dénoncent la gestion de leurs prédécesseurs. Et portent plainte ! " ; que l'article a notamment indiqué que " en provoquant une plainte pour abus de confiance et de biens sociaux contre leur prédécesseur A..., les dirigeants de la Sonacotra ont fait acte de courage... On estime entre 60 et 80 millions de francs le coût des opérations contestées dans cette société nationale gestionnaire de foyers...
En allant devant la justice, ils se refusent à écraser le coup ou à porter le chapeau " ; que les nouveaux dirigeants ainsi désignés, B..., président de la Sonacotra, et C..., directeur général de cette société, avaient tenu une conférence de presse, le 10 février 1993, pour rendre publique la décision du conseil d'administration de se constituer partie civile contre A..., des chefs d'abus de confiance, abus de biens sociaux et abus de pouvoirs ; que la plainte avec constitution de partie civile avait été effectivement déposée le 10 février 1993 auprès du juge d'instruction de Paris ; que l'information, diffusée par dépêches de l'Agence France Presse, a été publiée par plusieurs journaux, dont L'Evénement du Jeudi ; que le tribunal a retenu les prévenus dans les liens de la prévention ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 2 de la loi du 2 juillet 1931, 39 de la loi du 29 juillet 1881, 59 et 60 du Code pénal dans leur rédaction alors applicable, 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné X... en tant qu'auteur, Y... en tant que complice, et la société Z... en tant que civilement responsable, à une amende et à 1 franc de dommages-intérêts à la partie civile, A..., du chef de publication d'informations relatives à une constitution de partie civile, délit prévu et réprimé par l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 ;
" alors, d'une part, que toute restriction au principe de la liberté d'expression consacrée par l'article 10 de la Commission européenne des droits de l'homme ne peut, aux termes de l'alinéa 2 de ce même article, être créée par la loi que dans la mesure où elle constitue une mesure nécessaire dans une société démocratique à la protection de certains impératifs strictement définis par ce texte, et indispensables au maintien du caractère démocratique de cette société ; que ne constitue pas une ingérence nécessaire, au regard de ce texte, la disposition légale qui interdit de façon générale et absolue de publier toute information relative à des constitutions de partie civile avant toute décision judiciaire ; que la nécessité de protéger ceux qui font l'objet d'une plainte, et à lutter contre un éventuel usage abusif de la faculté offerte aux particuliers de se constituer partie civile, ne justifie pas, contrairement à ce qu'a jugé la cour d'appel, l'édiction d'une prohibition totale, qui porte atteinte au principe de la liberté d'expression de façon générale, dans le seul but d'éviter les conséquences de certains abus ; qu'ainsi, en faisant application d'une loi contraire aux principes susénoncés, la cour d'appel a violé les textes visés précédemment ;
" alors, d'autre part, que n'est, en toute hypothèse, pas justifiée, au regard du principe de proportionnalité, la condamnation pénale prononcée sur le fondement de la loi du 2 juillet 1931 pour avoir fait état de ce que les dirigeants d'une société d'économie mixte, employant les fonds de l'Etat aux fins d'édification de logements sociaux pour les travailleurs, s'inquiétaient de possible détournement de ces fonds avant leur prise de direction de l'entreprise, de telles informations intéressant suffisamment l'opinion publique pour qu'elles puissent être publiées, sans que soit portée une atteinte irréparable aux anciens dirigeants ainsi mis en cause ; que la cour d'appel a ainsi violé à nouveau les textes susvisés " ;
Attendu que la cour d'appel a rejeté à bon droit l'argumentation des prévenus prise de l'incompatibilité de la loi du 2 juillet 1931 avec l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Que si l'article 10 de la Convention susvisée reconnaît en son premier paragraphe à toute personne le droit à la liberté d'expression, ce texte prévoit en son second paragraphe que l'exercice de cette liberté comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent, dans une société démocratique, des mesures nécessaires notamment à la protection des droits d'autrui, ainsi qu'à la garantie de l'autorité et de l'impartialité du pouvoir judiciaire ; que tel est l'objet, proportionné au but recherché, de l'article 2 de la loi précitée ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2 de la loi du 2 juillet 1931, 39 de la loi du 29 juillet 1881, 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation de la règle non bis in idem, et des droits de la défense :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné X... en tant qu'auteur, Y... en tant que complice, et la société Z... en tant que civilement responsable, à une amende et à 1 franc de dommages-intérêts à la partie civile, A..., du chef de publication d'informations relatives à une constitution de partie civile, délit prévu et réprimé par l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 ;
" alors que les prévenus faisaient valoir que A... les avait fait citer devant le tribunal correctionnel à raison des mêmes propos, sous la prévention de diffamation, et que l'action sur le fondement de la loi du 2 juillet 1931, à raison de propos identiques ou indivisibles, au mépris de la règle non bis in idem, était donc irrecevable ; qu'en s'abstenant totalement de répondre à ce moyen pourtant dirimant, la cour d'appel n'a pas légalement fondé sa décision " ;
Attendu que l'arrêt attaqué énonce que les protections accordées en matière de presse par la loi du 29 juillet 1881 n'ont pas pour effet de priver de toute utilité les garanties offertes par la loi du 2 juillet 1931, et que ces protections, qui ont des domaines d'application distincts, ne sont pas exclusives les unes des autres ;
Attendu qu'en écartant ainsi le moyen pris par les prévenus de la violation de la règle non bis in idem par des poursuites concomitantes relatives au même article de presse, des chefs de diffamation et d'infraction à la loi du 2 juillet 1931, la cour d'appel a répondu sans insuffisance aux conclusions dont elle était saisie ; qu'un fait unique constituant un cumul idéal d'infractions peut recevoir plusieurs qualifications pénales différentes, dès lors que celles-ci ne présentent entre elles aucune incompatibilité et sont susceptibles d'être appliquées concurremment ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2 de la loi du 2 juillet 1931, 39 de la loi du 29 juillet 1881, 59 et 60 du Code pénal dans leur rédaction alors applicable, 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné X... en tant qu'auteur, Y... en tant que complice, et la société Z... en tant que civilement responsable, à une amende et à 1 franc de dommages-intérêts à la partie civile, A..., du chef de publication d'informations relatives à une constitution de partie civile, délit prévu et réprimé par l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 ;
" alors que, d'une part, l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 ne déroge pas au droit commun, quant aux règles de procédure applicables ; que le directeur de publication du journal ne peut donc pas être réputé auteur de l'infraction prévue et réprimée par ce texte ; qu'en déclarant X... auteur de l'infraction résultant d'un article signé par un journaliste désigné, la cour d'appel a violé les textes précités ;
" alors, d'autre part, que, faute de préciser en quoi X... aurait commis des actes constitutifs soit de l'infraction, soit d'une complicité punissable, la seule qualité de directeur de la publication n'étant pas de nature à caractériser un élément matériel d'infraction ni de complicité, la cour d'appel a également violé les textes susvisés ;
" alors, enfin, qu'en retenant le journaliste comme complice de l'infraction, sans caractériser les éléments matériels de cette complicité, la cour d'appel a encore violé les textes visés au moyen " ;
Attendu que l'arrêt énonce que le jugement déféré " doit être confirmé en ce qu'il a déclaré X... coupable, en tant qu'auteur, du délit prévu par l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931, et Y... coupable, par fourniture de moyens, de complicité de cette infraction " ; que, par motifs adoptés, l'arrêt précise que l'infraction est un délit de droit commun et que les règles spéciales de la loi de 1881 relatives à la responsabilité des directeurs de la publication ne peuvent recevoir application ;
Attendu qu'il ne résulte d'aucunes conclusions ni d'aucune énonciation de l'arrêt attaqué que les prévenus aient contesté leur participation consciente aux faits poursuivis ;
D'où il suit que le moyen, mélangé de fait, est nouveau et, comme tel, irrecevable ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Par ces motifs :
I. Sur l'action publique :
La DECLARE ETEINTE ;
II. Sur l'action civile :
REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 94-81420
Date de la décision : 19/03/1996
Sens de l'arrêt : Action publique éteinte et rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 10 - 2 - Liberté d'expression - Presse - Publication d'informations relatives à une constitution de partie civile.

1° Si l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnaît, en son premier paragraphe, à toute personne le droit à la liberté d'expression, ce texte prévoit, en son second paragraphe, que l'exercice de cette liberté comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent, dans une société démocratique, des mesures nécessaires notamment à la protection des droits d'autrui, ainsi qu'à la garantie de l'autorité et de l'impartialité du pouvoir judiciaire. Tel est l'objet, proportionné au but recherché, de l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931(1).

2° PRESSE - Procédure - Citation - Cumul idéal d'infractions - Fait unique - Pluralité de qualifications - Validité de la citation - Conditions.

2° PRESSE - Publication - Publications interdites - Publication d'une information relative à une constitution de partie civile - Action concomitante en diffamation - Cumul idéal d'infractions.

2° Un fait unique constituant un cumul idéal d'infractions peut recevoir plusieurs qualifications pénales différentes, dès lors que celles-ci ne présentent entre elles aucune incompatibilité et sont susceptibles d'être appliquées concurremment(2). Ainsi, il n'est porté aucune atteinte à la règle non bis in idem par des poursuites concomitantes relatives au même article de presse, des chefs de diffamation et d'infraction à la loi du 2 juillet 1931.


Références :

1° :
2° :
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 10
Loi du 02 juillet 1931 art. 2

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 02 février 1994

CONFER : (1°). (1) A comparer: Chambre criminelle, 1994-05-10, Bulletin criminel 1994, n° 181 (4), p. 412 (rejet), et les arrêts cités ;

Chambre criminelle, 1994-12-20, Bulletin criminel 1994, n° 424 (3), p. 1031 (rejet), et les arrêts cités ;

Chambre criminelle, 1995-06-13, Bulletin criminel 1995, n° 217, p. 591 (rejet). CONFER : (2°). (2) Cf. Chambre criminelle, 1987-11-24, Bulletin criminel 1987, n° 428, p. 1131 (cassation et rejet), et les arrêts cités ;

Chambre criminelle, 1992-10-27, Bulletin criminel 1992, n° 343 (1), p. 943 (irrecevabilité et rejet), et les arrêts cités.


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 19 mar. 1996, pourvoi n°94-81420, Bull. crim. criminel 1996 N° 117 p. 340
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1996 N° 117 p. 340

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Milleville, conseiller le plus ancien faisant fonction.
Avocat général : Avocat général : M. Galand.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Guerder.
Avocat(s) : Avocat : la SCP Waquet, Farge et Hazan.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1996:94.81420
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