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13/03/1996 | FRANCE | N°94-86022

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 mars 1996, 94-86022


CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
- l'Ordre des avocats au barreau de Lille,
- la Fédération nationale de l'union des jeunes avocats (FNUJA),
- la Chambre nationale des avocats en droit des affaires (CNADA),
- la Confédération nationale des avocats (CNA),
parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, chambre correctionnelle, du 18 octobre 1994, qui a relaxé Bernard X... et Marcel Y... du chef d'infraction à la réglementation sur la rédaction d'actes sous seing privé, a condamné le premier à 1 000 francs d'amende pour infraction

à la loi sur l'exercice des activités relatives à certaines opérations portan...

CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
- l'Ordre des avocats au barreau de Lille,
- la Fédération nationale de l'union des jeunes avocats (FNUJA),
- la Chambre nationale des avocats en droit des affaires (CNADA),
- la Confédération nationale des avocats (CNA),
parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, chambre correctionnelle, du 18 octobre 1994, qui a relaxé Bernard X... et Marcel Y... du chef d'infraction à la réglementation sur la rédaction d'actes sous seing privé, a condamné le premier à 1 000 francs d'amende pour infraction à la loi sur l'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et fonds de commerce, a relaxé le second de ce même chef et a statué sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour l'Ordre des avocats au barreau de Lille, la FNUJA et la CNADA, pris de la violation des articles 2 et 22 de l'ordonnance du 19 septembre 1945, 54, 56, 59 et 66-2 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée par la loi du 31 décembre 1990, des articles 1, 3 et 16 de la loi du 2 janvier 1970 dite loi " Hoguet ", des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé la décision de relaxe prononcée par le tribunal correctionnel de Lille à l'égard de Marcel Y... et Bernard X... des chefs d'infractions aux dispositions de la loi du 2 janvier 1970, et de Marcel Y... du chef d'infraction aux articles 54 et 59 de la loi du 31 décembre 1971 ;
" aux motifs, d'une part, qu'il résulte des dispositions combinées des articles 22 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 et 59 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée que les experts-comptables sont autorisés, dans les limites autorisées par la réglementation qui leur est applicable, à donner des consultations juridiques relevant de leur activité principale et à rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire direct de la prestation fournie ; qu'une mission d'expertise-comptable s'exerce au profit d'une " entreprise " qui évolue, elle-même, nécessairement, dans un cadre juridique ; que les événements, économiques et internes qui jalonnent la vie quotidienne des entreprises ont des répercussions juridiques que les experts-comptables sont autorisés à traiter dans les limites de la loi ; que les prévenus affirment qu'en accomplissant les actes qui leur sont reprochés, ils sont restés dans les limites permises par la loi ; que la preuve de la culpabilité des prévenus incombe aux parties civiles et au ministère public qui s'est joint à leur action ; que les faits soumis à l'appréciation de la Cour ne permettent pas d'établir que les actes reprochés ont été accomplis pour des personnes autres que pour des " entreprises " déjà clientes des prévenus ; que les parties civiles ne peuvent, sans ajouter aux textes susvisés, limiter les rédactions d'actes permises aux experts-comptables à celles qui seraient " nécessaires " à la prestation d'expertise-comptable ou à celles sans lesquelles cette prestation ne serait pas " complète " ; qu'enfin, eu égard aux indications fournies par les prévenus sur l'importance, non contestée, de leur activité d'expertise-comptable, il ne peut se déduire que les 37 publications sur 12 mois pour l'un et les 49 publications sur 18 mois pour l'autre établissent par leur nombre, leur nature, leur fréquence ou leur diversité, qu'ils se livrent à une " activité principale " de rédaction d'actes ou même seulement qu'ils ont dépassé les limites autorisées par la loi ;
" et aux motifs, d'autre part, que les experts-comptables ne sont pas autorisés à réaliser des actes relevant de la loi du 2 janvier 1970 ;
" que, dans la citation qui lui a été délivrée le 16 juin 1993, aucun des actes relevant de cette loi n'est reproché à Marcel Y... qui sera donc par confirmation relaxé de ce chef ;
" alors que, d'une part, la réglementation applicable aux experts-comptables (ordonnance du 19 septembre 1945), qui définit en son article 2 leur mission exclusive, énumère en son article 22 les autres activités qu'ils peuvent exercer, au nombre desquelles ne figure pas la rédaction d'actes sous seing privé, de sorte que la licéité de cette prestation, seule visée dans les poursuites, qui est ouverte aux experts-comptables depuis la loi du 31 décembre 1971 modifiée, doit être appréciée en regard des dispositions de l'article 59 de ladite loi n'autorisant, par dérogation, cette activité aux professions réglementées non juridiques ou judiciaires dans la limite de leur propre réglementation que si, relevant de leur activité principale, elle est l'accessoire direct de la prestation fournie, cette disposition imposant aux juges du fond de rechercher si l'acte incriminé est l'accessoire direct d'une prestation déterminée, fournie au préalable, au titre d'une mission d'expertise-comptable par l'expert-comptable à son client ;
" qu'en l'espèce, en premier lieu, les demandeurs faisaient d'ailleurs valoir dans leurs écritures délaissées sur ce point que, parmi les actes sous seing privé reprochés au prévenu, ceux concernant notamment les constitutions de sociétés, qui, n'ayant pas encore d'activité, ne tiennent pas de comptabilité, ne pouvaient constituer l'accessoire d'une prestation qui par définition n'était pas encore fournie, en regard des missions des experts-comptables, qui s'exercent au cours de la vie d'une société ;
" qu'en second lieu, l'arrêt attaqué, qui, pour relaxer les prévenus de ce chef, énonce, par un motif d'ordre général, que les événements de la vie d'une entreprise cliente d'un expert-comptable induisent des répercussions juridiques que les experts-comptables sont autorisés à traiter dans les limites légales, puis prétend déduire du faible nombre des actes reprochés que, par rapport à l'activité générale globale des prévenus, ceux-ci seraient restés dans les limites de la loi, s'abstenant ainsi de rechercher si chacun des actes juridiques visés était bien l'accessoire direct d'une prestation comptable préalable, au demeurant non caractérisée, fournie à chaque client par les prévenus, a violé les dispositions des articles 54 et 59 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée, entachant en outre sa décision d'un défaut de base légale ;
" alors que, d'autre part, les activités réglementées par la loi du 2 janvier 1970 comprennent notamment (article 1er, 5°), l'achat, la vente de parts sociales non négociables lorsque l'actif social comprend un immeuble ou un fonds de commerce, de telles opérations dont les actes étaient versés aux débats suivant bordereaux étant reprochées à Marcel Y... dans la citation délivrée le 16 juin 1993, sous les numéros 8, 13, 21 et 22 ;
" qu'il s'ensuit que la cour d'appel de Douai, en relevant, pour relaxer Marcel Y..., qu'aucun des actes relevant de cette loi ne lui était reproché, a violé, par méconnaissance, les dispositions d'ordre public de la loi du 2 janvier 1970, entachant derechef sa décision d'un défaut de base légale " ;
Et sur le moyen de cassation proposé dans les mêmes termes par la Confédération nationale des avocats :
Les moyens étant réunis ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que, si l'article 59 de la loi du 31 décembre 1971, modifiée par celle du 31 décembre 1990, permet aux experts-comptables, dans les limites autorisées par l'ordonnance du 19 septembre 1945, de rédiger pour autrui des actes sous seing privé en matière juridique, c'est à la condition que ces actes constituent l'accessoire direct de la prestation fournie ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que 2 sociétés d'expertise-comptable ont fait insérer, sous leur raison sociale, dans des journaux d'annonces légales, divers avis concernant la constitution ou la dissolution de sociétés, le transfert de siège social, la nomination d'administrateurs, le changement de dénomination, la cession de parts, l'apport d'actif ou l'augmentation de capital ;
Que l'Ordre des avocats au barreau de Lille, soutenant que les actes, objet des publications, avaient été établis par les sociétés que dirigent les experts-comptables Bernard X... et Marcel Y..., a directement cité ces derniers devant le tribunal correctionnel, pour avoir rédigé des actes sous seing privé en matière juridique, en violation des dispositions de la loi du 31 décembre 1971 modifiée, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, délit prévu et puni par l'article 66-2 de cette loi ; que plusieurs organisations professionnelles d'avocats se sont constituées partie civile à l'audience ;
Attendu que, pour relaxer les prévenus de cette infraction, les juges relèvent que les faits soumis à leur appréciation ne permettent pas d'établir que les actes incriminés ont été accomplis pour le compte d'entreprises qui n'étaient pas déjà clientes des experts-comptables ; qu'ils ajoutent qu'il n'est pas justifié que les prévenus se soient livrés à titre d'activité principale à la rédaction d'acte juridique, ni même qu'ils aient outrepassé leur domaine d'activité, tel que délimité par la loi ;
Mais attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si les actes qu'auraient rédigés les prévenus étaient directement liés aux travaux comptables dont ils étaient chargés, n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions civiles concernant Marcel Y... et en ses seules dispositions civiles du chef d'infraction à la législation sur la rédaction d'actes sous seing privé concernant Bernard X..., l'arrêt de la cour d'appel de Douai, du 18 octobre 1994, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 94-86022
Date de la décision : 13/03/1996
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

EXPERT-COMPTABLE ET COMPTABLE AGREE - Pouvoirs - Rédaction pour autrui d'acte sous seing privé en matière juridique - Condition - Accessoire direct de la prestation fournie.

Si l'article 59 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, modifiée par celle du 31 décembre 1990, permet aux experts-comptables, dans les limites autorisées par l'ordonnance du 19 septembre 1945, de rédiger pour autrui des actes sous seing privé en matière juridique, c'est à la condition que ces actes constituent l'accessoire direct de la prestation fournie. Encourt dès lors la censure l'arrêt de la cour d'appel qui, pour relaxer des experts-comptables poursuivis pour infraction à la réglementation sur la rédaction d'actes sous seing privé, n'a pas recherché si les actes rédigés par les prévenus étaient directement liés aux travaux comptables dont ils étaient chargés.


Références :

Loi 71-1130 du 31 décembre 1971 (rédaction loi 90-1259 1990-12-31) art. 59
Ordonnance 45-2138 du 19 septembre 1945

Décision attaquée : Cour d'appel de Douai (chambre correctionnelle), 18 octobre 1994


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 13 mar. 1996, pourvoi n°94-86022, Bull. crim. criminel 1996 N° 111 p. 324
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1996 N° 111 p. 324

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Le Gunehec
Avocat général : Avocat général : M. Libouban.
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Ferrari.
Avocat(s) : Avocat : M. Pradon, la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, la SCP Peignot et Garreau.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1996:94.86022
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