AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Garage de la Lorraine, société anonyme, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 6 janvier 1994 par la cour d'appel de Metz (chambre civile), au profit de la société Financo Sofemo, société anonyme, dont le siège est ..., défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 16 janvier 1996, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Dumas, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. de Gouttes, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Dumas, les observations de la SCP Lesourd et Baudin, avocat de la société Garage de la Lorraine, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société Financo Sofemo, les conclusions de M. de Gouttes, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur les deux moyens réunis :
Attendu, selon l'arrêt critiqué (Metz, 6 janvier 1994), que la société Garage de la Lorraine a emprunté la somme de 400 000 francs à la société Sofinco Sofemo, en vue de l'acquisition de véhicules ; qu'elle a affecté en gage et nantissement ces véhicules ainsi que les pièces et titres de circulation correspondant ;
qu'elle a accepté une lettre de change d'un montant de 409 813,33 francs, qu'elle n'a honorée qu'à concurrence de 209 813,33 francs à l'échéance du 25 juillet 1991 ;
que, par lettre du 7 août, la société Financo Sofemo a accepté le report du règlement du solde au 15 août et confirmé que les cartes grises seraient restituées en échange, à cette date, d'un chèque certifié , ou d'un chèque de banque, d'un montant de 200 000 francs ;
qu'un chèque ordinaire lui ayant été présenté le 16 août, elle l'a refusé et a conservé les documents administratifs relatifs aux véhicules, puis fait immatriculer deux d'entre eux à son nom ;
Attendu que la société Garage de la Lorraine fait grief à l'arrêt d'avoir jugé que le créancier d'une dette matérialisée par une lettre de change n'avait commis aucune faute en refusant le chèque qui lui avait été présenté par son débiteur en règlement du solde de sa dette et d'avoir rejeté sa demande reconventionnelle en indemnisation du préjudice résultant pour elle de l'immatriculation, par la société Financo Sofemo, en son nom, de deux véhicules lui appartenant, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le principe de la dette n'avait jamais été remis en cause et que le litige n'était consécutif qu'à une demande de report partiel de paiement accepté par le créancier à une condition dont l'arrêt ne constate pas qu'elle ait été elle-même acceptée par le débiteur ;
que, par suite, faute d'accord des parties sur les conditions du report de l'échéance du solde de la dette, le débiteur conservait intérêt à s'en acquitter et le créancier ne pouvait pas valablement refuser le paiement qui lui était offert ;
le créancier pouvait seulement, constatant le retard partiel du paiement de la lettre de change dans le délai initial et, à défaut d'exécution d'un accord de report de délai, conserver les garanties qu'il détenait jusqu'à l'encaissement du chèque présenté et exiger en outre, le cas échéant, des intérêts complémentaires ;
qu'en refusant de recevoir le paiement et en immatriculant à son nom deux véhicules dont elle détenait les papiers administratifs à titre de garantie, sans qu'aucune convention ne lui confère un tel droit, la société Financo Sofemo a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
que l'arrêt attaqué procède d'une violation des dispositions des articles 1236 et suivants et 1382 du Code civil ;
et alors, d'autre part, que l'immatriculation par la société Financo Sofemo, en son nom, de deux véhicules neufs appartenant à la société Garage de la Lorraine les a, par le fait même, transformés en véhicules d'occasion ;
que, dès lors, la cour d'appel, qui se borne uniquement à affirmer qu'elle n'apporte pas la preuve d'un préjudice résultant d'une perte de valeur des véhicules, sans rechercher, comme elle l'y invitait dans ses conclusions d'appel, si l'immatriculation des véhicules au nom de la société créancière, en faisait des véhicules de seconde main et engendrait ainsi une perte de leur valeur, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel n'a pas constaté que la société Garage de la Lorraine ait protesté ou émis des réserves en recevant la lettre du 7 août 1991 ;
qu'elle a retenu que, dans cette lettre, la société Financo Sofemo acceptait le report d'échéance au 15 août 1991 et confirmait que les cartes grises seraient restituées à cette date en échange d'un chèque certifié ou d'un chèque de banque ;
qu'ayant ainsi fait ressortir que les parties s'étaient mises d'accord sur la modalité de paiement particulière assortissant le report d'échéance, la cour d'appel a pu décider que la société Financo Sofemo n'était "pas allée à l'encontre de ses engagements contractuels" ;
Attendu, d'autre part, que, dès lors qu'elle avait décidé, à juste titre, que la société Financo Sofemo n'avait pas commis de faute à l'égard de la société Garage de la Lorraine, il n'était pas nécessaire, pour la cour d'appel, de statuer sur l'existence ou l'absence de préjudice ;
que le deuxième moyen vise donc un motif surabondant ;
D'où il suit qu'aucun des deux moyens ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Rejette également la demande de la société Financo Sofemo, fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne la société Garage de la Lorraine, envers la société Financo Sofemo, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-sept février mil neuf cent quatre-vingt-seize.
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