LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quinze février mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller SCHUMACHER, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBOUBAN ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE RESIDENCE PERCENEIGE, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de CHAMBÉRY, chambre correctionnelle, en date du 23 novembre 1994, qui l'a déboutée de ses demandes après relaxe de Farès X... et de Dwojra POTASZNIK, épouse X..., des chefs de destruction ou de dégradation d'objets mobiliers ou d'un bien immobilier appartenant à autrui et d'abus de biens sociaux ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société civile immobilière Résidence Perceneige a acquis un immeuble de la société civile immobilière
X...
et l'intégralité des parts sociales de la société à responsabilité limitée Perceneige, exploitante d'un hôtel-restaurant dans cet immeuble, dont Farès X... et son épouse, Dwojra Y..., étaient les principaux associés ;
Attendu qu'après avoir constaté la disparition, entre la date de la signature des actes de cession et celle du transfert de propriété, des installations électriques et de plomberie ainsi que le détournement, par les cédants, du prix de vente du matériel et du mobilier du fonds de commerce, la société Résidence Perceneige a poursuivi par voie de citation directe Dwojra Potasznik et Farès El Khoury, en leurs qualités respectives de gérant de droit et de gérant de fait de la société à responsabilité limitée, des chefs susvisés ;
Attendu que les prévenus ont été renvoyés des fins de la poursuite par le tribunal correctionnel dont le jugement a été confirmé par l'arrêt attaqué ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 520 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 octobre 1993 par le tribunal correctionnel de Bonneville ;
"alors que la disposition de l'article 520 du Code de procédure pénale qui fait obligation à la cour d'appel d'évoquer le fond lorsque le jugement est annulé pour violation ou omission non réparée de formes prescrites par la loi à peine de nullité n'est pas limitative et s'étend au cas où un tribunal, contrairement aux prescriptions de l'article 485 du même Code, a laissé incertaines les infractions pour lesquelles les prévenus ont été relaxés ; qu'en l'espèce il ressort des motifs de la décision des premiers juges que le tribunal, régulièrement saisi par la citation directe des parties civiles de faits constitutifs d'abus de biens sociaux d'une part, et de destruction ou détérioration grave d'un bien d'autrui d'autre part, n'a statué que sur le second de ces délits ; que, cependant, dans le dispositif de sa décision, il a renvoyé les prévenus des fins de la poursuite ; que, dès lors, il a manifestement laissé incertaines les infractions pour lesquelles les prévenus ont été relaxés et que, dès lors, en s'abstenant d'annuler ce jugement, puis d'évoquer l'affaire pour statuer sur le fond comme l'article 520 du Code de procédure pénale lui en faisait obligation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Attendu que c'est vainement que les demandeurs font grief à l'arrêt attaqué d'avoir omis d'annuler le jugement pour insuffisance de motifs dès lors qu'en raison de l'effet dévolutif de l'appel, il appartenait aux juges du second degré de statuer, au besoin par motifs propres, sur le mérite de la voie de recours exercée par la partie civile ;
Qu'ainsi, le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé en toutes ses dispositions civiles le jugement rendu le 29 octobre 1993 par le tribunal correctionnel de Bonneville ;
"alors que, régulièrement saisie par le citation directe de la partie civile de faits constitutifs, d'une part d'abus de biens sociaux, et d'autre part de dégradations volontaires sous le visa de l'article 434, alinéa 1er de l'ancien Code pénal, infractions distinctes expressément reprises par la partie civile dans ses conclusions régulièrement déposées devant elle, la cour d'appel, sans rappeler la prévention, s'est bornée à faire état de ce que "les parties civiles reprochent aux prévenus d'avoir, préalablement au transfert de propriété de l'immeuble, enlevé l'ensemble des aménagements de l'hôtel, démonté toutes les installations de même que de n'avoir pas rapporté au propriétaire, la SARL Perceneige, le produit de la vente du mobilier et du matériel d'exploitation de l'hôtel-restaurant" et n'a, à la suite de cet énoncé ambigu, dans aucun de ses motifs, examiné les faits de dégradation volontaire reprochés aux prévenus, et que dès lors sa décision, qui ne répond pas à l'une des demandes de la partie civile et qui est caractérisée par un défaut de motifs manifeste, ne peut qu'être annulée" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué, pour partie reprises au moyen, mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que les juges du second degré ont, sans insuffisance ni contradiction, exposé les motifs pour lesquels ils ont estimé que la preuve du délit de dégradation de biens mobiliers ou immobiliers reproché n'était pas rapportée à la charge des prévenus, en l'état des éléments soumis à leur examen, et ont ainsi justifié leur décision déboutant la partie civile de sa demande ;
Que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause, contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Mais sur le troisième moyen de cassation pris de la violation de l'article 425-4 de la loi du 24 juillet 1966, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement déféré déboutant la SCI Résidence Perceneige de ses demandes à l'encontre de Farés et Dwojra
X...
;
"1 alors que l'article 425-4 de la loi du 24 juillet 1966 punit des peines de l'abus de confiance les gérants qui, de mauvaise foi, auront fait, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ; que la cour d'appel constatait expressément que les parties civiles reprochaient aux époux X..., préalablement au transfert de propriété de l'immeuble, de n'avoir pas rapporté au propriétaire, la SARL Perceneige, le produit de la vente du mobilier et du matériel d'exploitation de l'hôtel-restaurant ; qu'elle constatait en outre expressément que le matériel de l'hôtel avait été effectivement vendu alors que Dwojra
X...
était gérante de la SARL Perceneige jusqu'à fin juillet 1991 et qu'en cet état elle ne pouvait déclarer non établi à l'encontre de la prévenue le délit d'abus de biens sociaux sans s'expliquer préalablement sur l'usage qui avait été fait par elle du produit de la vente ainsi que l'y invitait la demanderesse dans ses conclusions délaissées de ce chef ;
"2 alors que le fait pour l'associé d'une SARL de disposer du matériel de celle-ci implique la qualité de gérant de fait et que par conséquent le fait pour Farés X..., après avoir disposé du mobilier et du matériel d'exploitation de l'hôtel-restaurant de ne pas avoir rapporté au propriétaire, la SARL Perceneige, le produit de la vente était constitutif du délit d'abus de biens sociaux et que dès lors, en ne s'expliquant pas comme elle y était invitée par les conclusions de la partie civile sur les agissements de ce prévenu, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que les juges sont tenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont ils sont saisis ; que tout arrêt ou jugement doit contenir les motifs propres à justifier la décision et que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que les juges du second degré se bornent à confirmer le jugement qui avait relaxé les prévenus du chef d' abus de biens sociaux et qui était, à cet égard, dépourvu de motifs ;
Mais attendu qu'en omettant de s'expliquer sur ce chef de prévention et de répondre aux conclusions régulièrement déposées par la partie civile, fût-ce pour les déclarer mal fondées, la cour d'appel a méconnu les textes et principes ci-dessus rappelés et n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être accueilli et que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry, en date du 23 novembre 1994, en ses seules dispositions relaxant Farés X... et Dwojra Y... du chef d' abus de biens sociaux, les autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Chambéry, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Culié conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Schumacher conseiller rapporteur, M. Martin, Mme Chevallier, MM. Challe, Mistral conseillers de la chambre, MM. de Mordant de Massiac, de Larosière de Champfeu, Mme de la Lance, M. Desportes, Mme Karsenty conseillers référendaires, M. Libouban avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;