CASSATION PARTIELLE par voie de retranchement et sans renvoi sur le pourvoi formé par :
- X... Jacques,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers, chambre correctionnelle, en date du 6 octobre 1994, qui, pour infractions à la législation des contributions indirectes, l'a condamné solidairement avec Arys Y..., à des pénalités fiscales.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 111-3, 111-4 et 122-3 du Code pénal, 443, 446 et 1791 du Code général des impôts, ensemble violation des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jacques X... coupable d'avoir réceptionné des alcools sous couvert de titres de mouvement inapplicables comme ne mentionnant pas le nom de l'expéditeur Y... et l'a condamné solidairement avec ce dernier à une amende, à une pénalité proportionnelle et à la confiscation des alcools ;
" aux motifs, d'une part, qu'au sens de l'article 446 du Code général des impôts, l'expéditeur de l'alcool ne peut être que son propriétaire quel que soit le lieu où cet alcool est entreposé ; que le viticulteur ou le bouilleur non professionnel ayant vendu le vin et l'ayant provisoirement conservé dans son chai, ne peut prendre la qualité d'expéditeur lorsque cet alcool est expédié par son propre acheteur, qui en est devenu propriétaire, à un tiers auquel il l'a vendu ou entend le confier ; que Jacques Y... était, au moment de l'expédition, propriétaire des alcools ayant donné lieu aux opérations litigieuses et qu'en conséquence les titres de mouvement étaient inapplicables puisque son nom n'y figurait pas ;
" aux motifs, d'autre part, que Jacques X... savait que les titres de mouvement étaient inapplicables puisqu'il payait directement à Y... le prix des eaux de vie ou lui facturait les frais de distillation de vins, ce qui exclut qu'il ait pu croire que ce dernier agissait comme simple courtier ;
" alors d'une part, qu'aux termes de l'article III-4 du Code pénal, la loi pénale, d'interprétation stricte ne peut être appliquée par analogie, qu'il résulte des dispositions de l'article 446 du Code général des impôts, que seuls les noms de l'expéditeur et de l'acheteur ou du destinataire des alcools doivent figurer sur la déclaration autorisant la délivrance d'un acquit-à-caution destiné à connaître le mouvement de la marchandise ; que l'expéditeur est la personne détentrice des alcools qui se dessaisit physiquement de la marchandise acheminée ensuite chez son destinataire ; que dès lors cette qualité est indépendante de celle de propriétaire qui exige toujours le pouvoir de transférer la propriété sur la marchandise de sorte qu'en décidant le contraire, l'arrêt attaqué a méconnu les textes susvisés ;
" alors, d'autre part, qu'en tout état de cause, l'erreur sur le droit exclut la responsabilité pénale de celui qui a légitimement cru pouvoir accomplir l'acte reproché ; qu'à supposer que le nom du propriétaire des alcools transportés doit figurer sur le titre de mouvement accompagnant les marchandises au lieu et place de celui de l'expéditeur expressément visé par l'article 446 du Code général des impôts, le prévenu a pu en toute bonne foi croire que le titre de mouvement accompagnant les marchandises était régulier lorsqu'y figurait le nom des expéditeurs ; qu'en s'abstenant de constater que Jacques X... avait été victime d'une erreur invincible sur l'interprétation de l'article 446 du Code général des impôts, les juges d'appel ont privé de base légale leur décision " ;
Vu lesdits articles, ensemble les articles 614 et 615 du Code général des impôts ;
Attendu que, selon les dispositions combinées des articles 443, 446 et 614 du Code général des impôts, la déclaration préalable à tout enlèvement, déplacement ou transport d'alcool, qui conditionne la délivrance des titres de mouvement et leur régularité, n'est imposée par ces textes, sous les sanctions de l'article 1791 du même Code, qu'à l'expéditeur ou à l'acheteur des produits ;
Qu'en outre, la souscription de l'acquit-à-caution prévue par l'article 615 dudit Code, pour la circulation en suspension des droits, incombe à titre principal à l'expéditeur, détenteur actuel de la marchandise, et accessoirement, à l'acheteur ou au transporteur ;
Attendu qu'il résulte du procès-verbal, base des poursuites, que Jacques X..., marchand de boissons en gros et bouilleur de cru professionnel, a, au cours des années 1988 à 1990, enlevé, chez des producteurs, des vins ou eaux de vie d'appellation Cognac, en vue de leur distillation ou de leur vieillissement dans ses chais ; que les acquits-à-caution couvrant la circulation des marchandises transportées dans tous les cas par X..., portaient au départ, à la rubrique " expéditeur ", le nom d'un producteur et à la rubrique " destinataire ", celui de Jacques X..., puis à la sortie, Jacques X... comme " expéditeur " et un négociant comme " destinataire " ; que, cependant, les agents verbalisateurs ont constaté que Jacques X... agissait en fait comme entrepositaire et distillateur à façon pour le compte d'Arys Y..., marchand de vin en gros non déclaré se dissimulant sous le titre de courtier, qui achetait les alcools aux viticulteurs et les revendait ensuite au négoce ;
Attendu qu'estimant que Arys Y..., qui réglait directement les producteurs et était de ce fait propriétaire des marchandises, aurait dû apparaître dans les acquits à la rubrique " expéditeur ", l'administration fiscale a cité directement devant la juridiction répressive Jacques X... et Arys Y... du chef d'expédition, transport et réception de 696, 66 hl de vin et d'eau-de-vie sous couvert de titres de mouvement inapplicables, et Arys Y..., seul, du chef d'exercice de la profession de marchand de vin en gros sans déclaration ;
Attendu que, pour déclarer X... et Y... coupables de la première infraction et les condamner solidairement à des pénalités fiscales, l'arrêt attaqué retient que l'expéditeur, au sens des articles 443 et 446 du Code général des Impôts, ne peut être que le propriétaire de l'alcool, quel que soit le lieu ou celui-ci est entreposé ; " que le viticulteur ou le bouilleur de cru non professionnel ayant vendu le vin ou l'alcool... ne peut prendre la qualité d'expéditeur lorsque ce vin ou cet alcool est expédié par son propre acheteur, qui en est devenu propriétaire, à un tiers auquel il entend le confier en vue de son vieillissement ou d'autres opérations " ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que les obligations déclaratives, ayant pour objet de suivre physiquement les alcools jusqu'à destination, sont indépendantes de la qualité de propriétaire de la marchandise, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Et attendu que l'intérêt d'une bonne administration de la justice commande que l'annulation prononcée ait effet à l'égard d'Arys Y... qui ne s'est pas pourvu, mais seulement en ce qui concerne sa condamnation solidaire du chef de l'infraction d'expédition, transport et réception d'alcool sous couvert de titres de mouvement inapplicables ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens produits :
CASSE ET ANNULE par voie de retranchement l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Poitiers du 6 octobre 1994, en celles de ses dispositions concernant Jacques X... ;
Vu l'article 612-1 du Code de procédure pénale ;
DIT que l'annulation ainsi prononcée aura effet à l'égard d'Arys Y..., également par voie de retranchement, en celles de ses dispositions concernant l'infraction d'expédition, transport et réception d'alcool sous couvert de titres de mouvement inapplicables ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.