LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze décembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller SCHUMACHER, les observations de Me ODENT, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DINTILHAC ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- VINCENT X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BESANçON, chambre correctionnelle, en date du 27 septembre 1994, qui, pour infractions à la législation sur les stupéfiants et infractions douanières, l'a condamné à 1 an d'emprisonnement dont 9 mois avec sursis et à des pénalités douanières ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 385 et 386 du Code de procédure pénale, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et défaut de réponse à conclusions ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable l'exception d'inconstitutionnalité contre l'arrêté du 22 février 1990 soumettant, du fait du classement du cannabis et de sa résine parmi les substances stupéfiantes, l'achat, la détention et la cession de résine de cannabis à des fins de consommation personnelle, à un régime de peines disproportionnées au regard de la gravité de l'acte, et ce, en violation de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme ;
"aux motifs que, en application de l'article 385 du Code de procédure pénale, une telle exception est irrecevable pour le première fois en cause d'appel ;
"alors que l'exception d'inconstitutionnalité d'un texte réglementaire est en réalité une exception d'illégalité, et qu'une exception d'illégalité est une défense au fond visant à contester la régularité de l'élément légal d'une infraction, et non une nullité de procédure au sens de l'article 385 du Code de procédure pénale, ni une question préjudicielle au sens de l'article 386 du Code de procédure pénale" ;
Attendu que le demandeur ne saurait se faire un grief de la réponse apportée par la cour d'appel à l'exception tirée de l'illégalité de l'arrêté du 22 février 1990 dès lors que ce texte ne sert pas de fondement unique aux poursuites ;
Qu'ainsi, le moyen, inopérant, ne saurait être accueilli ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, de l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 55 de la Constitution, des articles 111-2 et 111-3 du nouveau Code pénal, des articles L. 627 et L. 628 du Code de la santé publique, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et défaut de réponse à conclusions ;
"en ce que l'arrêt attaqué, refusant de statuer sur la légalité de l'arrêté du ministre de la Santé du 22 février 1990 classant le cannabis et sa résine parmi les substances stupéfiantes, a condamné le prévenu à 1 an d'emprisonnement, dont 3 mois avec sursis pour trafic de résine de cannabis sur le fondement de l'article R. 5181 du Code de la santé publique ;
"au motif que l'article 111-1 du Code pénal ne prescrit l'examen de la légalité et de la constitutionnalité des actes réglementaires, pénalement sanctionnés, que si en dépend la solution du procès pénal ; qu'or l'article R. 5181 du Code de la santé publique résultant d'un décret en Conseil d'Etat, norme juridique supérieure à l'arrêté dont l'illégalité est soulevée, interdit la production, la mise sur le marché, l'emploi et l'usage du cannabis de sa plante et de sa résine, au titre des substances stupéfiantes (paragraphe 3, section 2, chap. 1, titre 3, livre 5, de la 2ème partie du Code de la santé publique) ; que, par voie de conséquence, l'examen de la légalité de l'arrêté sollicité n'est pas utile à la solution du procès pénal, et que l'exception n'est pas recevable ;
"alors que la violation des dispositions de l'article R. 5181 du Code de la santé publique n'est plus sanctionnée d'aucune peine depuis que la loi n 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du Code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes, entrée en vigueur le 1er mars 1994, a abrogé les dispositions de l'article L. 627 du Code de la santé publique qui réprimaient les infractions "aux règlements d'administration publique concernant les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants par voie réglementaire", et les punissaient d'une peine de dix ans d'emprisonnement, et les a remplacées par les dispositions des articles 222-34 et 222-51 du nouveau Code pénal qui constituent une loi pénale plus douce d'application rétroactive ; que donc la cour d'appel ne pouvait, sans violer le principe de rétroactivité in mitius, fonder une condamnation à une peine d'emprisonnement sur le seul article R. 5181 du Code de la santé publique ; par voie de conséquence, l'appréciation de la légalité de classement de la résine de cannabis et de l'arrêté du 22 février 1990 était indispensable à la solution du procès pénal, et la cour d'appel ne pouvait refuser de statuer sur sa régularité, sans violer le principe de légalité criminelle" ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, de l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, de l'article 111-3 du nouveau Code pénal, des articles L. 627 et L. 628 du Code de la santé publique, de l'article 222-41 du nouveau Code pénal, l'article 5 du décret n 88-1232 du 29 décembre 1988, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, refusant de statuer sur la légalité de l'arrêté du ministère de la Santé du 22 février 1990 classant la résine de cannabis parmi les substances stupéfiantes, a condamné le prévenu à une peine d'emprisonnement pour des infractions à la législation sur les stupéfiants ;
"aux motifs que "l'article 111-1 du Code pénal ne prescrit l'examen de la légalité et de la constitutionnalité des actes réglementaires, pénalement sanctionnés, que si en dépend la solution du procès pénal ; qu'or l'article R. 5181 du Code de la santé publique résultant d'un décret en Conseil d'Etat, norme juridique supérieure à l'arrêté dont l'illégalité est soulevée, interdit la production, la mise sur le marché, l'emploi et l'usage du cannabis de sa plante et de sa résine, au titre des substances stupéfiantes (paragraphe 3, section 2, chap. 1, titre 3, livre 5, de la 2ème partie du Code de la santé publique) ; et que, par voie de conséquence, l'examen de la légalité de l'arrêté sollicité n'est pas utile à la solution du procès pénal" ;
"alors que la rédaction des articles L. 628, L. 627 du Code de la santé publique et des articles 222-37, 222-39, 222-41 du nouveau Code pénal exigeant que toute infraction à la législation sur les stupéfiants soit précédée du classement d'une substance parmi les substances stupéfiantes, cette procédure préalable de classement ne pouvait être confondue avec les dispositions de l'article R. 5181 du Code de la santé publique, qui se rapportent à des opérations particulières résultant dudit classement, comme la production, la mise sur marché, l'emploi et l'usage, et que de ce fait, la cour d'appel de Besançon ne pouvait condamner le prévenu sans violer le principe de légalité criminelle et entacher sa décision d'un manque de base légale" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour déclarer Mickaël Y... coupable des délits de détention, offre ou cession et usage de haschisch, la cour d'appel, sans se prononcer sur l'exception d'illégalité de l'arrêté du 22 février 1990 invoquée par le prévenu, retient que le classement de la résine de cannabis comme stupéfiant résulte de l'article R.5181 du Code de la santé publique, introduit dans la partie réglementaire de ce Code par le décret du 29 décembre 1988 ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que tant les articles L.627 et L.628 du Code de la santé publique que les articles 222-37 et 222-41 du Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994, qui punissent de peines correctionnelles ceux qui auront contrevenu aux dispositions des règlements concernant les substances ou plantes classées comme stupéfiants, laissent au gouvernement le soin de déterminer les modalités de ce classement, les juges du second degré ont justifié leur décision dans encourir aucun des griefs allégués ;
Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Culié conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Schumacher conseiller rapporteur, MM. Roman, Martin, Mmes Françoise Simon, Chevallier, M. Farge conseillers de la chambre, MM. de Mordant de Massiac, de Larosière de Champfeu conseillers référendaires, M. Dintilhac avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;