AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Jean-Claude Héraut, société anonyme, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 14 décembre 1992 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1ère section), au profit de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de l'Union Nord-Est, dont le siège est ..., défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 2 novembre 1995, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Dumas, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Lafortune, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Dumas, les observations de la SCP Peignot et Garreau, avocat de la société Jean-Claude Héraut, de Me Blondel, avocat de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de l'Union Nord-Est, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Attendu, selon l'arrêt critiqué (Reims, 14 décembre 1992), que M. Y... a émis un chèque à l'ordre de la société Heraut, en règlement du prix d'un véhicule acheté à celle-ci par M. X... ;
que ce chèque n'a pas été payé, faute de provision ;
que la cour d'appel a décidé que, si la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de l'union Nord-Est (le Crédit agricole), à laquelle la société Heraut avait remis le chèque en vue de son encaissement, avait été négligente en informant tardivement cette société de l'absence de provision, cette faute n'était pas la cause du préjudice allégué ;
Attendu que la société Heraut reproche à l'arrêt infirmatif de l'avoir condamnée à restituer au Crédit agricole la somme de 258 710 francs, correspondant au montant du chèque impayé, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la délivrance des documents administratifs lors de la vente d'un véhicule constituant une obligation liée au transfert de propriété, le report de la date de délivrance fait présumer l'accord des parties de subordonner la vente à la réalisation d'une condition telle que l'encaissement d'un chèque représentant la satisfaction par l'acquéreur de son obligation de paiement, de sorte qu'en affirmant que la remise des papiers du véhicule avec retard n'impliquait pas nécessairement que les parties aient entendu subordonner la vente à la certitude du paiement, sans procéder à une recherche approfondie de l'attitude des parties, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1583 du Code civil ;
et alors, d'autre part, que, dès lors que le concessionnaire a, satisfaisant son obligation de délivrance, remis le véhicule, objet de la commande, au garagiste qui l'avait passée pour le compte de son client, il ne lui incombe pas d'établir que l'automobile a effectivement été livrée par ce dernier au client, de sorte qu'en énonçant qu'il lui appartenait de prouver que le véhicule était encore en possession de M. Y..., à la date où elle aurait pu être avisée du défaut de provision du chèque, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve qui incombait à celui qui, excipant de sa qualité de possesseur de bonne foi, prétendait avoir été mis en possession du véhicule, en violation de l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu que c'est par une interprétation souveraine de la commune intention des parties, que l'arrêt retient que rien ne démontre que celles-ci aient entendu déroger au principe posé par l'article 1583 du Code civil, selon lequel la vente est parfaite dès qu'on est convenu de la chose et du prix, et que la remise des papiers du véhicule avec retard n'implique pas nécessairement que les parties aient entendu subordonner la vente à la certitude du paiement, alors qu'il est habituel en la matière que le vendeur ne soit pas en possession de la carte grise définitive le jour où la vente se réalise ;
qu'ainsi, abstraction faite du motif surabondant critiqué dans la deuxième branche, la cour d'appel a justifié sa décision ;
que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Jean-Claude Héraut, envers la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de l'Union Nord-Est, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du douze décembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
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