AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Verneuil semences, dont le siège est Ferme de l'Etang, ..., en cassation d'un arrêt rendu le 6 janvier 1994 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (1re Chambre civile, Section A), au profit de la société Calberson international, société anonyme, dont le siège est ..., défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 24 octobre 1995, où étaient présents : M. Bézard, président, Mme Clavery, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Clavery, les observations de Me Choucroy, avocat de la société Verneuil semences, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de la société Calberson international, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 janvier 1994), que la société Calberson International (société Calberson), ayant acquitté à l'administration des Douanes la somme de 183 355,90 francs pour l'importation de semences, en a réclamé le paiement à la société Verneuil Semences ;
que celle-ci, pour justifier son refus, a fait valoir qu'elle n'avait aucun lien de droit avec elle, que la commande et l'ordre de transport émanaient de la société Claeys Luck international(CLI), mise depuis en redressement, puis en liquidation judiciaires ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Verneuil Semences fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Calberson la somme de 183 355,90 francs, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il résultait des documents de la cause, notamment de plusieurs télex échangés par la société Calberson et la société CLI entre le 15 septembre et le 11 octobre 1988, que la commande d'avoine avait été effectuée par la société CLI ;
que l'ordre de transport avait été donné par cette même société à Calberson ;
que la réception avait été effectuée par un sous-traitant de CLI dans ses propres locaux ;
que les difficultés de poids avaient été réglées entre les mêmes sociétés sans que la société Verneuil n'intervienne à aucun moment ; qu'en outre, les télex expédiés par la société Calberson à CLI portaient tous la mention "Vos Importations d'avoine de semence Livourne/Saleilles d'Aube" ; qu'ainsi, les juges du fond ne pouvaient, sans dénaturer ces documents, estimer que la société Verneuil s'était présentée à la société Calberson comme l'acheteur réel de la marchandise, peu important, par ailleurs, que l'exportateur italien ait reçu paiement de cette société ou que le service des douanes l'ait tenu pour l'importateur, ces personnes étant des tiers par rapport à la société Calberson ;
que, ce faisant, la cour d'appel a dénaturé les documents de la cause et violé l'article 1134 du Code civil ;
alors, d'autre part, qu'en présence de ces éléments, la société Calberson ne pouvait se prévaloir de l'apparence qui suppose une ignorance légitime de la réalité ;
qu'en effet, les documents de la cause et notamment les télex qu'elle avait échangés avec la société CLI n'étaient aucunement susceptibles d'introduire le doute sur la personne du donneur d'ordre et qu'à supposer qu'au moment de contracter, la société Calberson ait cru que cette société agissait comme mandataire et non pour son propre compte, cette croyance n'était pas légitime, en l'absense de vérification sur cette qualité ;
d'où il suit qu'en écartant toute faute de la société Calberson, la cour d'appel a violé l'article 1998 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que n'est pas recevable le grief de dénaturation portant sur un ensemble de documents, sans que soit précisé ceux de ces documents qui en font l'objet ;
Attendu, d'autre part, que l'arrêt a relevé que les factures avaient été établies par la société Italienne fournisseur de semences au nom de la société Verneuil semences, qui passait ainsi pour l'acheteur réel aux yeux du vendeur, que les services douaniers ont également tenu cette société comme l'acheteur, tant pour le dédouanement que dans les certificats de subrogation de privilège, que la raison sociale de l'importateur était de nature à confirmer son activité de commerçant en semences ;
que, de ces constatations, la cour d'appel a pu déduire la croyance légitime de la société Calberson que le mandant était la société Verneuil semences et le mandataire la société CLI, dès lors qu'il est d'usage, comme le relève l'arrêt, qu'une société commercialisant un produit déterminé mandate d'autres sociétés pour s'occuper des opérations de transit et que celles-ci se substituent des commissionnaires en douane pour exécuter une partie de leur mission ;
D'où il suit qu'irrecevable en sa première branche, le moyen est mal fondé pour le surplus ;
Sur le second moyen :
Attendu que la société Verneuil semences reproche encore à l'arrêt d'avoir statué ainsi qu'il a fait, alors, selon le pourvoi, que si les tiers peuvent se prévaloir, à leur choix, de la contre-lettre ou de l'acte ostensible, il ne s'agit là que d'une option ; qu'un tiers, qui s'est prévalu d'abord de la contre-lettre, ne saurait ultérieurement invoquer l'acte ostensible et cumuler à son profit les effets de l'une et de l'autre ;
qu'en l'espèce, la société Calberson, qui avait déclaré sa créance à la liquidation de biens de la société CLI, en vertu de la contre-lettre, et avait été admise à son passif, ne pouvait postérieurement formuler la même demande contre la société Verneuil semences en se prévalant de l'acte ostensible, ce d'autant plus qu'elle avait déjà renoncé à invoquer tout droit contre elle en refacturant ses frais à la société CIL ;
d'où il suit qu'en jugeant que sa production au passif de la société CLI ne pouvait l'empêcher de demander à la société Verneuil semences, la cour d'appel a violé l'article 1321 du Code civil ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni de ses conclusions, ni de l'arrêt que la société Verneuil semences ait soutenu que, sur le fondement de l'article 1321 du Code civil, la société Calberson ne disposait contre elle d'aucune action sur la base de l'acte ostensible dans la mesure où elle s'était adressée préalablement à la société CLI en vertu de la contre-lettre ;
que le moyen nouveau, mélangé de fait et de droit, est irrecevable ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Verneuil semences, envers la société Calberson international, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
La condamne également à payer à la société Calberson la somme de 12 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du cinq décembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
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