AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / la société Polish Ocean lines (POL), société de droit polonais, dont le siège est 10 Lutego 24-PO Box 265, 81-364 Gydnia (Pologne),
2 / la société The West of England ship owners mutual insurance association (Luxembourg), dont le siège est International House 1, St Katharine's Way London E 1 9 UE (Angleterre), , en cassation d'un arrêt rendu le 8 avril 1993 par la cour d'appel de Paris (5e Chambre, Section C), au profit de la société Atlantica, société de droit suédois, dont le siège est Sodra Hamngatan 5 - Goteborg (Suède), défenderesse à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 17 octobre 1995, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Nicot, conseiller rapporteur, M. Leclercq, conseiller, M. de Gouttes, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Nicot, les observations de la SCP Richard et Mandelkern, avocat de la société POL et de la société The West of England ship owners mutual insurance association (Luxembourg), de la SCP Delaporte et Briard, avocat de la société Atlantica, les conclusions de M. de Gouttes, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 8 avril 1993), qu'une quantité de pâte à papier achetée en Argentine par la société Cellmark a été transportée de Buenos-Aires à La Pallice à bord du navire Warzawa II appartenant à la compagnie de navigation Polish ocean lines (le transporteur maritime), laquelle avait pour assureur la West of England shipowners mutual insurance association (l'assureur) ;
que la pâte à papier a été avariée au cours de la traversée à la suite du chargement par le transporteur maritime d'autres produits dans la même cale ;
que, lors du déchargement, la société Cellmark a refusé la marchandise ;
qu'elle a assigné le transporteur maritime et l'assureur en paiement de la contrevaleur en francs français de la valeur de la marchandise en dollars des Etats-Unis d'Amérique ;
Attendu que le transporteur maritime et son assureur font grief à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, selon l'article 4, 5, de la convention de Bruxelles du 25 août 1924, modifié par le protocole du 23 février 1968, l'indemnité due au propriétaire de la marchandise endommagée doit être calculée par référence à la valeur des marchandises au lieu et au jour de leur déchargement, la valeur de la marchandise étant déterminée d'après le cours en Bourse ou, à défaut, d'après le prix courant sur le marché ou, à défaut de l'un et de l'autre, d'après la valeur usuelle de marchandises de mêmes nature et qualité ;
que la cour d'appel qui, pour déterminer le montant de l'indemnité qu'elle a allouée à la compagnie d'assurances Atlantica, subrogée dans les droits du propriétaire de la marchandise, a pris en considération la valeur de la marchandise déterminée par référence au prix d'achat résultant de la facture établie par le vendeur, a violé l'article 4, 5, de la convention de Bruxelles du 25 août 1924, dans la rédaction de ce texte résultant du protocole du 23 février 1968 ;
alors, d'autre part, qu'en déterminant le montant de l'indemnité destinée à réparer les dommages occasionnés à la marchandise en se fondant sur le prix d'achat de celle-ci sans constater que ce prix coïncidait avec le prix calculé par référence à la valeur de la marchandise au lieu et au jour de son déchargement, et par référence au cours en Bourse ou, à défaut, au prix courant sur le marché ou, à défaut, à la valeur usuelle de marchandises de mêmes nature et qualité, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 4, 5, de la convention de Bruxelles du 25 août 1924, dans la rédaction résultant du protocole du 23 février 1968 ; alors, en outre, qu'il incombe à la partie qui prétend à la réparation des dommages causés à la marchandise de justifier que l'indemnité dont elle demande le paiement correspond à la valeur des marchandises au lieu et au jour de leur déchargement, la valeur de la marchandise étant déterminée par le cours en Bourse, à défaut le prix courant du marché, à défaut la valeur usuelle de marchandises de mêmes nature et qualité ;
qu'en faisant peser sur le transporteur maritime la charge de la preuve que le montant de l'indemnité calculée selon les règles qui précèdent diffère du prix d'achat de la marchandise sur lequel elle s'est fondée, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve, violant ainsi, une fois encore, l'article 4, 5, de la convention de Bruxelles du 25 août 1924, dans sa rédaction issue du protocole du 23 février 1968 ;
et alors, enfin, que, dans l'attestation qui a été produite par le transporteur maritime, le président de l'Association des agents pour pâtes à papier et textiles, qui indiquait qu'il n'existait pas, pour ce type de produit de mercuriales, faisait état d'une baisse constante du prix du marché pendant les mois de janvier, février, mars et avril 1989 et procédait à une comparaison entre le prix du marché à la fois de l'année 1989 et le prix au mois de mars 1990, époque du déchargement de la marchandise ;
qu'en énonçant, contre les termes clairs et précis de ce document, qu'il ne reflétait ni un cours en Bourse, ni un prix courant du marché, ni une valeur usuelle auxquels on pût donner une portée générale, la cour d'appel l'a dénaturé, violant, en tout état de cause, l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient qu'aucun élément probant ne permettait de considérer comme modifiée, au 19 mars 1990, la valeur de 765 dollars la tonne qui était celle de la pâte à papier le 31 janvier 1990 -lors de l'achat de la marchandise- ; qu'ainsi, c'est donc bien la valeur de cette marchandise au jour du débarquement que la cour d'appel a retenue, conformément aux dispositions invoquées de la convention internationale de Bruxelles du 25 août 1924 modifiée ; que la cour d'appel a justifié sa décision au regard de ladite convention en estimant souverainement, hors toute dénaturation et sans inverser la charge de la preuve, que l'attestation produite par le transporteur maritime et visée au pourvoi n'était pas probante parce que ce document avait un caractère "strictement privé" et ne reflétait ni un cours de Bourse, ni un prix courant du marché, ni, non plus, une valeur usuelle auquel on puisse donner une portée générale ;
que le moyen n'est fondé en aucune de ses quatre branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Rejette la demande présentée par les demanderesses sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne la société Polish ocean lines et the West of England ship owners mutual association à payer la somme de quinze mille francs à la société Atlantica sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne la société POL et la société The West of England ship owners mutual insurance association (Luxembourg), envers la société Atlantica, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-huit novembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
1955