AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Mario Y..., demeurant "Rousset", 47130 Port Sainte-Marie, en cassation d'un arrêt rendu le 23 février 1993 par la cour d'appel d'Agen (chambre sociale), au profit :
1 / de la Caisse régionale d'assurance maladie d'Aquitaine (CRAMA), dont le siège est ...,
2 / de M. le directeur régional des affaires sanitaires et sociales de Bordeaux, domicilié ..., défendeurs à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 12 octobre 1995, où étaient présents :
M. Gélineau-Larrivet, président et rapporteur, MM.
Favard, Gougé, Ollier, Thavaud, Mme Ramoff, conseillers, MM. Choppin X... de Janvry, Petit, conseillers référendaires, M. Terrail, avocat général, M. Richard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le président Gélineau-Larrivet, les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de M. Y..., de la SCP Gatineau, avocat de la Caisse régionale d'assurance maladie d'Aquitaine, les conclusions de M. Terrail, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon les énonciations des juges du fonds, que, le 26 mai 1985, la caisse régionale d'assurance maladie a concédé à M. Y... une pension de retraite au taux plein calculée sur 150 trimestres d'activité avec jouissance à compter du 1er mai 1985 ; que le calcul de cette pension était erroné, la Caisse ayant pris en compte une période d'activité accomplie par un homonyme de M. Y... ;
que le 11 mars 1991, la Caisse, rectifiant sa précédente décision, a alloué à l'intéressé une pension au taux plein à compter du 1er novembre 1989, date de son soixante cinquième anniversaire, calculée sur 129 trimestres, avec, cependant, déduction, lors du versement de chaque arrérage, d'une fraction de la somme perçue à tort durant deux années par l'assuré ;
que M. Y... a contesté cette décision ;
que la cour d'appel n'a accueilli que partiellement cette contestation en faisant remise à l'assuré des deux tiers de la somme réclamée par la Caisse ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt attaqué (Agen, 23 février 1993) d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que la procédure sans représentation obligatoire, applicable au contentieux général de la sécurité sociale, est une procédure orale et que la représentation des parties y est soumise aux règles applicables devant la juridiction dont émane le jugement ;
qu'en conséquence, faute pour un appelant d'être représenté par l'une des personnes visées par ces règles, la cour d'appel n'est saisie d'aucun moyen ;
que, dès lors, en statuant sur l'appel de la CRAMA sans constater que la personne indiquée comme la représentant était un administrateur ou un employé de cette Caisse, ou un employé d'un autre organisme de sécurité sociale, seuls susceptibles, hors un avocat ou un avoué, de la représenter, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles R. 142-28, dernier alinéa, et R. 142-20 du Code de la sécurité sociale ainsi que 931 et 946 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que M. Y... n'a pas soutenu devant la cour d'appel que la personne munie d'un pouvoir spécial pour représenter la Caisse n'avait pas qualité pour le faire ;
qu'il est irrecevable à soulever une telle contestation pour la première fois devant la Cour de Cassation ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses cinq branches :
Attendu que M. Y... fait encore grief à l'arrêt attaqué d'avoir statué comme il l'a fait, alors, selon le moyen, que, d'une part, une Caisse ne peut, sur le fondement de la répétition de l'indu, revenir, après l'expiration du délai de recours contentieux, sur sa décision de liquidation des droits à prestations de vieillesse d'un assuré, fût-elle erronée ;
qu'il résultait des éléments non contestés de la cause qu'en 1985, la CRAMA avait notifié à l'assuré une décision de liquidation de ses droits à prestations de vieillesse, laquelle avait été acceptée, et que ce n'était qu'en 1991 qu'elle lui avait notifié la décision par laquelle elle révisait cette liquidation, déclarée erronée, et lui réclamait en conséquence les prestations trop perçues ; qu'en décidant néanmoins que, s'agissant d'une décision irrégulière, le principe de l'existence d'un paiement indu devait être admis et en rejetant le recours de l'intéressé contre la décision de révision de la Caisse, la cour d'appel a violé les articles 1235 et 1376 du Code civil, ensemble les articles R. 142-1 et R. 142-18 du Code de la sécurité sociale ;
alors que, de surcroît, les dispositions édictant le délai de prescription applicable aux demandes de remboursement d'un trop-perçu de prestations de vieillesse et les conditions mises à ce remboursement en cas d'erreur de l'organisme débiteur supposent l'existence d'un trop-perçu ;
que, dès lors, en se fondant sur elles pour déclarer indues des prestations conformes à la décision définitive de liquidation de la CRAMA, exclusive de trop-perçu, la cour d'appel a violé l'article L. 355-3 du Code de la sécurité sociale, ensemble les articles R. 142-1 et R. 142-18 du même code ;
alors que, d'autre part, tout jugement doit être motivé à peine de nullité ;
que l'assuré avait soutenu qu'il justifiait, par les éléments joints au dossier, de plus de 150 trimestres de cotisations d'assurance vieillesse au 1er mai 1985, au lieu des 129 retenus par la CRAMA, et celle-ci n'expliquait aucunement pourquoi elle refusait de prendre en considération ces justifications ;
que, pour rejeter ce chef de demande, les juges du fond se sont bornés à affirmer que M. Y... n'avait pas sérieusement contesté le nombre de trimestres de cotisations retenus par la Caisse ;
qu'en statuant ainsi par une simple affirmation sans analyser, même sommairement, les éléments fournis par l'assuré, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
alors que, en toute hypothèse, les droits à prestations de vieillesse d'un assuré doivent être liquidés conformément aux dispositions légales qui lui sont applicables ;
qu'en l'espèce, les juges du fond ont énoncé que la demande en cours d'examen de l'assuré tendant à la prise en compte de la durée de son engagement dans la résistance constituait une contestation sérieuse de la liquidation de ses droits nouvellement décidée par la CRAMA et qu'elle pourrait donner lieu à une révision du dossier ; que, cependant, ils ont confirmé la décision de la Caisse et se sont bornés à assortir de réserves, quant à leur montant, le recouvrement des prestations trop perçues ; qu'en statuant de la sorte, bien qu'elle eût ainsi reconnu que la CRAMA n'avait pas liquidé les droits de M. Y... conformément aux dispositions applicables, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses énonciations en violation de l'article L. 351-1 du Code de la sécurité sociale ;
et alors, enfin, qu'en cas d'erreur de l'organisme débiteur, aucun remboursement de trop-perçu de prestations de retraite n'est réclamé à l'assuré de bonne foi dont les ressources sont inférieures à un montant spécifié et, lorsque ces ressources sont comprises entre ce montant et son double, le remboursement ne peut être effectué d'office par prélèvement sur les prestations, le cas et la situation de l'assuré devant alors être soumis à la Commission de recours amiable ;
qu'en l'espèce, les juges du fond ont retenu à la fois l'erreur grossière commise par la CRAMA dans la situation initiale de la pension de l'assuré et l'entière bonne foi de celui-ci ;
que, saisis du recours contre la décision de la Commission de recours amiable, qui se bornait à lui rappeler de produire une déclaration de ses ressources, ils ont cependant autorisé la CRAMA à poursuivre le remboursement des prestations trops perçues après avoir fait état, dubitativement, du recouvrement d'office par cette Caisse des prestations trop perçues à défaut de fourniture par l'assuré des justifications réclamées ;
que, dès lors, en refusant en l'état d'appliquer ses dispositions, la cour d'appel a violé l'article L. 355-3 du Code de la sécurité sociale ;
Mais attendu que, s'il est vrai qu'après l'expiration du délai de recours contentieux, la Caisse ne peut remettre en cause rétroactivement, quel qu'en soit le mérite, la décision qu'elle a prise en connaissance de cause, il en est autrement lorsque cette décision est intervenue, non par suite d'une interprétation erronée des textes applicables, mais du fait de renseignements qui, par la suite, se sont révélés inexacts ;
qu'en ce cas, elle peut reconsidérer la situation de l'assuré et, quelle que soit la bonne foi de ce dernier, lui réclamer, dans les limites du délai de prescription, la restitution des sommes payées par erreur ;
que la cour d'appel, qui a retenu que la Caisse avait fait bénéficier M. Y... de cotisations d'assurance vieillesse réglées par un tiers et ayant donné lieu à versement de prestations ne correspondant pas aux droits auxquels il pouvait prétendre, a pu en déduire que l'assuré était tenu de restituer les sommes indument perçues ;
qu'ensuite, constatant qu'aussi bien en ce qui concerne le montant de ses ressources que les droits qu'il aurait pu acquérir du fait de services dans les rangs de la résistance, les allégations de M. Y... n'étaient étayées d'aucune justification, la cour d'appel a décidé à bon droit qu'il ne pouvait en être tenu compte ;
que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu, enfin, que M. Y... reproche à la cour d'appel d'avoir statué comme elle l'a fait, alors, selon le moyen, que, d'une part, les juges du fond sont liés par les prétentions des parties ;
qu'à titre de dommages-intérêts, il demandait exclusivement la condamnation de la CRAMA à le rétablir dans ses droits à pension de vieillesse spécifiés dans la notification de 1985 ;
que, dès lors, en lui attribuant une demande implicite qu'il ne formulait pas, la cour d'appel a dénaturé ses prétentions en méconnaissance de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
alors que, d'autre part, celui qui cause à autrui un dommage doit le réparer ;
qu'en cas de versement de l'indu, la créance restituable se trouve diminuée ou complètement absorbée par les dommages-intérêts dus à l'accipiens en raison de la faute du solvens ;
que, pour refuser de faire droit à la demande tendant au rétablissement de la pension initiale à titre de dommages-intérêts, les juges du fond se sont référés à des décisions rendues dans d'autres litiges selon lesquelles la responsabilité de l'organisme débiteur permettrait à l'assuré de bonne foi de conserver seulement une partie des sommes reçues ;
qu'en statuant ainsi, tout en relevant que le préjudice causé à M. Y... de bonne foi consistait dans la révision de sa pension initiale, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que, d'une part, contrairement aux allégations du moyen, M. Y..., qui avait demandé le maintien de sa pension de vieillesse telle que liquidée par la décision du 26 mars 1985, avait, par là même, demandé à être exonéré du remboursement des sommes qui lui avaient été réglées, en exécution de cette décision ; que c'est sans sortir des limites du litige que la cour d'appel a accueilli partiellement cette demande ;
que, d'autre part, la Caisse, en cas de paiement indu, ne peut se voir entièrement privée du droit qu'elle tient de la loi de répéter les sommes perçues à tort par l'assuré ; que la cour d'appel, appréciant le préjudice subi par ce dernier du fait de la faute commise par la Caisse en l'incitant à prendre une retraite anticipée, a légalement justifié sa décision ;
d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Y..., envers la Caisse régionale d'assurance maladie d'Aquitaine et M. le directeur régional des affaires sanitaires et sociales de Bordeaux, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-trois novembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
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