AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société de bourse Meunier de la Fournière, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 21 janvier 1994 par la cour d'appel de Paris (21e chambre, section B), au profit de M. Michel X..., demeurant ..., défendeur à la cassation ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 20 septembre 1995, où étaient présents : M. Lecante, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Boubli, conseiller rapporteur, M. Carmet, conseiller, Mmes Girard-Thuilier, Brouard, conseillers référendaires, M. Lyon-Caen, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Boubli, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société de bourse Meunier de la Fournière, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de M. X..., les conclusions de M. Lyon-Caen, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 janvier 1994), qu'en application d'une loi du 22 janvier 1988, le Conseil des bourses de valeurs a pris une décision générale relative aux cartes professionnelles exigées pour tout intervenant à la Bourse ;
que la société Meunier de la Fournière a informé M. X..., qu'elle employait depuis 1973 et qui occupait divers mandats représentatifs, qu'il était concerné par la mesure et lui a demandé le 7 août 1989 de retourner un exemplaire de la lettre de notification revêtu de sa signature ;
que le salarié, s'estimant insuffisamment informé et soutenant que le comité d'entreprise devait être consulté sur la portée de la mesure consécutive à la suppression de la fonction d'agent de change au profit des sociétés de Bourse, n'a pas retourné le document signé ;
qu'il a été convoqué à un entretien à l'issue duquel la société a pris acte de la rupture du contrat de travail à ses torts et griefs exclusifs ;
Attendu que la société Meunier de la Fournière fait grief à l'arrêt d'avoir dit que la rupture du contrat de travail lui était imputable et de l'avoir condamnée à payer diverses indemnités à M. X... alors, selon le moyen, d'une part, que le refus par un salarié de se soumettre à une obligation légale subordonnant l'exercice normal de ses fonctions lui rend imputable la rupture du contrat de travail ;
que la détention d'une carte professionnelle était devenue obligatoire en application de la loi n 88-70 du 28 janvier 1988 et de la décision n 89-7 du Conseil des bourses de valeurs, pour tous les salariés des sociétés de Bourse agissant pour le compte de celle-ci ;
qu'il n'était pas contesté en l'espèce que M. X... était au nombre des salariés concernés par cette disposition ;
qu'en décidant néanmoins que le refus du salarié était justifié et que la rupture du contrat de travail par l'employeur était abusive, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble l'article L. 122-14-4 du Code du travail ;
alors, d'autre part, que l'application par l'employeur de textes légaux s'imposant à lui ne saurait constituer une modification du contrat de travail nécessitant pour les salariés protégés l'autorisation de l'Inspection du Travail ou la consultation du comité d'entreprise ;
qu'en énonçant néamoins que l'attribution d'une carte professionnelle à M. X..., dont les fonctions étaient au nombre de celles qui nécessitaient la détention d'une telle carte, aurait dû faire l'objet d'une demande préalable d'autorisation à l'inspecteur du Travail, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 412-18, L. 425-1 et L. 436-1 du Code du travail ;
Mais attendu, en premier lieu, que, sauf manifestation de volonté non équivoque du salarié de donner sa démission, le contrat de travail d'un salarié protégé ne peut être rompu que par un licenciement et qu'il appartient à l'employeur d'obtenir l'autorisation de l'inspecteur du Travail ;
qu'ayant constaté que M. X... n'avait pas manifesté l'intention de démissionner et que l'employeur n'avait pas sollicité l'autorisation de l'inspecteur du Travail, la cour d'appel a exactement décidé que le salarié avait fait l'objet d'un licenciement irrégulier ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant relevé que l'employeur avait fait preuve d'une légèreté blâmable, et qu'il avait refusé une régularisation proposée par le salarié qui était encore possible, elle a décidé en exerçant le pouvoir qu'elle tient de l'article L. 122-14-3 du Code du travail, et abstraction faite de motifs surabondants, que le licenciement de M. X... était sans cause réelle et sérieuse ;
que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur la demande présentée par M. X... sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que M. X... sollicite, sur le fondement de ce texte, l'allocation d'une somme de 12 000 francs ;
Attendu qu'il y a lieu de faire droit partiellement à cette demande ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société de bourse Meunier de la Fournière à payer à M. X... la somme de 10 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
La condamne également, envers M. X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du huit novembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
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