AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / M. Jean-Georges X..., demeurant ...,
2 / Mme Yvette X... née Z..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 4 juillet 1991 par la cour d'appel de Colmar (3e chambre civile), au profit de la société Coopérative d'habitations à loyer modéré, dont le siège est ..., défenderesse à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 3 octobre 1995, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Bourrelly, conseiller rapporteur, MM. Douvreleur, Aydalot, Boscheron, Toitot, Mmes Di Marino, Borra, conseillers, MM. Chollet, Pronier, Mme Masson-Daum, conseillers référendaires, M. Sodini, avocat général, Mme Pacanowski, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Bourrelly, les observations de la SCP Defrenois et Levis, avocat des époux X..., de Me Ricard, avocat de la société Coopérative d'habitations à loyer modéré, les conclusions de M. Sodini, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier et deuxième moyens, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 4 juillet 1991), que les époux X..., preneurs à bail de locaux d'habitation appartenant à la société Coopérative d'habitations à loyer modéré d'Illkirch (société d'HLM), ont quitté les lieux pour occuper ceux dont cette société était aussi propriétaire, que le décès des parents de M. X... venait de rendre libres ;
que la société d'HLM les a assignés en expulsion et paiement d'une indemnité d'occupation ;
Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt d'ordonner sous astreinte l'évacuation des lieux, alors, selon le moyen, "1 ) que le droit à l'occupation provisoire de locaux d'habitation constitue, en présence d'une situation d'extrême misère, un droit fondamental garanti tant par l'article 1er de la loi n 90-449 du 31 mai 1990 que par les dispositions des articles L. 613-1 et L. 613-2 du Code de la construction et de l'habitation autorisant les occupants d'un logement, dont l'expulsion a été ordonnée, à se maintenir dans les lieux, avec l'accord du juge, pendant un délai de trois mois à trois ans, chaque fois que leur relogement ne pourra être assuré dans des conditions normales ;
qu'ainsi, en se déterminant comme elle l'a fait, en l'état d'une mesure d'expulsion ordonnée et sans prendre en considération l'état de grande pauvreté de la famille X..., la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ; 2 ) que constitue un traitement inhumain et dégradant ainsi qu'une atteinte au respect des droits familiaux, contraires aux articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute mesure d'expulsion prononcée à l'encontre d'une famille nombreuse, en situation d'extrême pauvreté, ayant pour conséquence inéluctable de priver celle-ci de tout logement et domicile fixe, et donc de toute possibilité de vie familiale normale ; qu'ainsi, en se déterminant comme elle l'a fait, alors même qu'il était notoire et qu'il résultait des pièces du dossier que la mesure d'expulsion ordonnée aurait pour effet de replonger les époux X... et leur dernier enfant (Katy, née le 16 septembre 1991) dans le monde des sans-logis, et au surplus, non seulement de s'opposer à la réunion des parents avec leurs enfants mais encore de provoquer le placement du dernier d'entre eux âgé de quelques mois, la cour d'appel a violé les articles 3 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3 ) que l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme proscrit, à l'égard des droits et libertés reconnus, toute mesure discriminatoire fondée notamment sur l'origine sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ;
qu'ainsi, en ordonnant la mesure d'expulsion sollicitée, laquelle faisait suite au refus d'attribution du logement opposé par l'organisme HLM pour un motif tiré de la "personnalité" de la famille, la cour d'appel a violé l'article susvisé de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4 ) que les délais dérogatoires au droit commun prévus par les articles L. 613-1 et L. 613-2 du Code de la construction et de l'habitation étant stipulés au bénéfice des personnes démunies de titre à l'origine de l'occupation et dont l'expulsion a été ordonnée judiciairement, l'occupation sans droit des locaux ne saurait constituer un motif de nature à justifier un refus de délais par application de ces textes ;
qu'ainsi, en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
5 ) que de la même façon et, pour les mêmes raisons, le mauvais état de l'appartement précédemment loué aux époux X..., s'il pouvait justifier une éventuelle action contractuelle en réparation de la part du bailleur, n'était en revanche pas susceptible de faire obstacle à l'octroi de délais par application des articles L. 613-1 et L. 613-2, dès lors que les occupants réunissaient les conditions requises pour en bénéficier ;
qu'ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de ces textes" ;
Mais attendu, d'une part, que les époux X... n'ayant pas invoqué dans leurs conclusions les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le moyen est, de ce chef, nouveau, mélangé de fait et de droit ;
Attendu, d'autre part, qu'en refusant d'octroyer des délais, la cour d'appel n'a fait qu'user du pouvoir discrétionnaire qu'elle tient des articles L. 613-1 et L. 613-2 du Code de la construction et de l'habitation ;
D'où il suit que, pour partie irrecevable, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt d'évaluer l'indemnité d'occupation due par les époux X... à la somme de 2 000 francs par mois, alors, selon le moyen, "d'une part, que l'occupation sans droit d'un logement HLM par des personnes défavorisées assumant toutes les obligations incombant normalement aux locataires, préjudicie non pas à l'organisme HLM propriétaire, mais aux bénéficiaires potentiels et éventuellement prioritaires privés de leur droit d'attribution ;
qu'ainsi, en indemnisant, par le biais d'une indemnité d'occupation supérieure au montant du loyer, un préjudice qui n'était nullement constitué à l'égard de la société coopérative d'Illkirch, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
d'autre part, qu'en s'abstenant de prendre en considération la mesure dans laquelle le préjudice constaté n'était pas déjà réparé par les sommes versées, à titre de "loyer", par les époux X... depuis leur entrée dans les lieux (550 francs par mois), la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil" ;
Mais attendu qu'ayant exactement retenu que l'indemnité d'occupation représentait, non le loyer d'un logement régulièrement loué, mais le dédommagement dû à un organisme chargé d'assurer le droit au logement de citoyens aux ressources modestes et privé d'un local destiné à cette fin, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié le montant du préjudice ainsi créé, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Et attendu qu'il est équitable de laisser à la société d'HLM les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Dit n'y avoir lieu à condamnation en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la société d'HLM ;
Dit n'y avoir lieu à indemnité en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit des époux Y... ;
Condamne les époux A..., envers la société Coopérative d'habitations à loyer modéré, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du huit novembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
1972