AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mlle Claude X..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 5 novembre 1991 par la cour d'appel de Bordeaux (Chambre sociale), au profit de la société Polyclinique Jean Y..., dont le siège est ..., défenderesse à la cassation ;
la société Polyclinique Jean Y... a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 5 juillet 1995, où étaient présents : M. Waquet, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Desjardins, conseiller rapporteur, Mme Ridé, conseiller, Mlle Sant, Mmes Bourgeot, Trassoudaine-Verger, conseillers référendaires, M. de Caigny, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Desjardins, les observations de Me Odent, avocat de la société Polyclinique Jean Y..., les conclusions de M. de Caigny, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mlle X... a été engagée, le 18 janvier 1975, par la société nouvelle d'exploitation de la Polyclinique Jean Y..., en qualité de standardiste, puis promue facturière le 20 octobre 1976 ;
que ses responsabilités ont été accrues par deux avenants des 1er juin et 1er septembre 1983, comportant augmentation de ses rémunérations, qui ont été à nouveau revalorisées le 27 octobre 1986 ;
que, par lettre du 20 janvier 1987, elle a reçu notification d'un avertissement pour absence sans autorisation de son lieu de travail dans l'après-midi du 17 décembre 1986 ;
que, le 2 mars 1987, elle a été convoquée à un entretien préalable en raison d'agissements présentant un caractère fautif et appelant une sanction disciplinaire ;
qu'à l'issue de cet entretien, elle a reçu une lettre du 9 mars 1987 lui fixant un délai jusqu'au 20 mars 1987 pour mettre à jour le travail dont elle assumait la responsabilité et lui notifiant, à titre de sanction, un avertissement ;
que, par une nouvelle lettre recommandée du 27 mars 1987, l'employeur, faisant état de son inaptitude à diriger et à organiser le service de facturation dans lequel les retards avaient été constatés, lui a notifié sa décision de la relever de ses fonctions et de la muter, à compter du 20 mars suivant, au poste de déléguée informatique auprès du bloc opératoire en lui précisant que ses conditions de rémunération, dans la limite des avantages acquis, ne seraient pas modifiées ;
que Mlle X... a contesté cette décision, mais occupé son nouveau poste ;
que, le 16 janvier 1989, elle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de rappel de salaire ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident de l'employeur :
Attendu que la société Polyclinique Jean Y... fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à verser à la salariée une somme à titre de complément de salaire, alors, selon le moyen, d'une part, que l'employeur est juge, sauf détournement de pouvoir, des mesures les mieux appropriées pour redresser la situation de l'entreprise et de l'aptitude de chacun pour atteindre ce résultat ; qu'en considérant comme une sanction le changement de poste de la salariée sans rechercher si celui-ci n'était pas justifié par l'insuffisance de son activité, préjudiciable pour la polyclinique, la cour d'appel a entaché sa décision de défaut de base légale au regard de l'article L. 122-40 du Code du travail ;
alors, d'autre part, que ne constitue pas une sanction pécuniaire prohibée la diminution de salaire qui correspond à une affectation à une fonction ou à un poste inférieur, liée à une baisse de responsabilité ;
que la cour d'appel, qui en a décidé autrement, a violé les articles L. 122-42 du Code du travail et 1134 du Code civil ;
et alors, enfin, que, quelle que soit sa dénomination, la prime qualifiée de rendement est un complément variable que l'employeur se réserve d'allouer en sus du salaire en fonction de l'activité personnelle de l'agent ;
que la suppression de cette prime, liée à une baisse de responsabilité, n'est pas une sanction ;
que, par suite, la cour d'appel, qui en a décidé autrement, a violé les articles L. 122-42 du Code du travail et 1134 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel, ayant constaté que l'affectation décidée par l'employeur à un poste de moindre responsabilité s'analysait en un déclassement, faisant suite à l'appréciation qu'il portait sur les aptitudes professionnelles de l'intéressée, à laquelle un avertissement avait déjà été notifié pour le même motif, en a exactement déduit qu'il s'agissait d'une sanction disciplinaire qui ne pouvait être réitérée ;
D'où il suit que le moyen, inopérant dans ses deux premières branches, est mal fondé pour le surplus ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal de la salariée, pris en sa première branche :
Vu les articles 946 du nouveau Code de procédure civile et R. 516-6 du Code du travail ;
Attendu que, pour déclarer irrecevables les demandes de la salariée tendant à ce que lui soient allouées une somme au titre d'un rappel de salaire pour la période postérieure à la date du jugement et une autre somme sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel a énoncé que l'intéressée n'avait fait connaître ses nouvelles prétentions que par des conclusions déposées le 14 octobre 1991, soit la veille de l'audience, et que le principe de la contradiction n'avait pas été respecté ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la procédure prud'homale étant orale, le juge doit se prononcer sur toutes les demandes formulées contradictoirement devant lui lors des débats, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche du moyen unique du pourvoi principal :
CASSE ET ANNULE, en ses dispositions ayant déclaré irrecevables les demandes formées par Mlle X... en cause d'appel, l'arrêt rendu le 5 novembre 1991, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;
Condamne la société Polyclinique Jean Y..., envers Mlle X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Bordeaux, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale , et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-cinq octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
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