AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société La Panetière du Rouergue "Les Délices du Mitron", société anonyme, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 11 octobre 1993 par la cour d'appel de Toulouse (1re chambre), au profit de la Chambre professionnelle de la boulangerie du Tarn-et-Garonne, dont le siège est ..., défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 4 juillet 1995, où étaient présents : M. Waquet, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, Mlle Sant, conseiller référendaire rapporteur, M. Ferrieu, Mme Ridé, M. Desjardins, conseillers, Mmes Bourgeot, Trassoudaine-Verger, conseillers référendaires, M. de Caigny, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mlle le conseiller référendaire Sant, les observations de Me Delvolvé, avocat de la société La Panetière du Rouergue, de Me Jacoupy, avocat de la Chambre professionnelle de la boulangerie du Tarn-et-Garonne, les conclusions de M. de Caigny, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué que par arrêté du 17 décembre 1951, pris pour l'application de l'article 43-a ancien, devenu l'article L. 221-17, du livre II du Code du travail, le préfet du Lot et Garonne a fait obligation aux boulangeries et dépôts de pain du département de se tenir fermer (de fermer leur magasin) au public, et de ne pas vendre de pain toute la journée du lundi sauf à Caussade, Lauzerte et Saint Nicolas de la Grave où ils doivent fermer le jeudi, et dans les communes où les circonstances locales ou la tenue d'une foire ou d'une fête locale impose la fermeture un autre jour fixé par décision municipale ou le lendemain de l'évènement en cause ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société La Panetière du Rouergue fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à fermer son magasin de Septfonds le lundi conformément à l'arrêté préfectoral, alors, selon le moyen, que d'une part, un arrêté préfectoral pris comme en l'espèce sur le fondement de l'article L. 221-17 du Code du travail, n'est applicable qu'à la profession représentée par les organisations syndicales de la profession lors de l'accord au vu duquel il est pris, qu'il appartient aux juges du fond de rechercher si, compte tenu de son objet et de ses méthodes de travail, l'activité de l'établissement en cause appartient en fait à cette profession, et que, à défaut d'avoir précisé quelles étaient l'activité et les méthodes de l'établissement litigieux, ni même quelles étaient les conditions posées par l'accord inteprofessionnel qu'il vise, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 221-17 du Code du travail ; alors, d'autre part, qu'en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, elle n'a pas répondu aux conclusions tirées de ce que l'établissement était un terminal de cuisson, se bornant à cuire une pâte faconnée, pétrie et fabriquée en dehors de lui, ce qui le distinguait de la profession de boulangerie artisanale visée par l'arrêté préfectoral ;
Mais attendu d'abord, que la cour d'appel a constaté que la société n'établissait pas que son activité relevait de la boulangerie industrielle ;
Attendu ensuite, qu'ayant exactement relevé que l'arrêté préfectoral visait toutes les boulangeries et dépôts de pain, la cour d'appel, répondant aux conclusions invoquées, a fait ressortir que l'activité de la société était la vente de pain ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret de fructidor an III ;
Attendu que, pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel a énoncé que, par application du principe de la séparation des pouvoirs, le juge civil ne peut se prononcer sur la légalité de l'arrêté, ce qui conduit à rejeter les moyens tirés des excès de pouvoirs allégués par la société La Panetière ;
Attendu cependant que si le principe de la séparation des pouvoirs des autorités administratives et judiciaires interdit au juge civil de se prononcer sur la légalité d'un acte administratif, il lui appartient lorsqu'il est saisi d'une contestation de la légalité d'un tel acte, de se prononcer sur le caractère sérieux de cette contestation et dans ce cas de renvoyer à l'appréciation de la légalité de l'acte par la juridiction administrative ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 octobre 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Agen ;
Condamne la Chambre professionnelle de la boulangerie du Tarn-et-Garonne, envers la société La Panetière du Rouergue, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Toulouse, en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-quatre octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
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