AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mme Y..., épouse séparée de biens de M. X..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 25 juin 1993 par la cour d'appel de Paris (25e chambre section B), au profit de la société La Cancava assurance vieillesse des artisans, dont le siège est ..., défenderesse à la cassation ;
EN PRESENCE DE :
- M. Gérard X..., demeurant ...,
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 4 juillet 1995, où étaient présents : M. Grégoire, conseiller doyen faisant fonctions de président, Mme Bignon, conseiller référendaire rapporteur, M. Renard-Payen, conseiller, M. Roehrich, avocat général, Mlle Barault, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire Bignon, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de Mme Y... épouse X..., de la SCP Peignot et Garreau, avocat de la société La Cancava assurance vieillesse des artisans, les conclusions de M. Roehrich, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que M. X..., artisan, marié avec Mme Y... sous le régime de la séparation de biens, a cessé de régler, en 1979, ses cotisations d'assurance vieillesse à la caisse professionnelle à laquelle il était affilié ; qu'après avoir tenté de recouvrer les cotisations et majorations de retard dues au titre des années 1979 à 1988 en faisant signifier, en vain, des contraintes exécutoires à son débiteur, la caisse Assurance vieillesse artisanale (CANCAVA) a effectué une saisie exécution à l'encontre de M. X..., sur les meubles se trouvant au domicile conjugal où Mme X... exploite un fonds de commerce d'antiquités ;
que cette dernière a assigné M. X... et la CANCAVA en revendication des objets saisis ;
que la CANCAVA a assigné Mme X... en paiement des cotisations sociales dues ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 25 juin 1993), de l'avoir condamnée à payer à la CANCAVA la somme de 171 901,21 francs, alors, selon le moyen, d'une part que les cotisations vieillesse-invalidité décès dues par un époux n'ont pas pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants, en tant que, s'agissant de dépenses d'assurance sociale fondées sur une idée d'épargne forcée, elles ne tendent pas à l'entretien immédiat du ménage, et que l'avantage escompté en contrepartie de leur versement apparaît aléatoire ;
qu'en les soumettant néanmoins à la solidarité des dettes ménagères, la cour a violé l'article 220 du Code civil par fausse application, ensemble l'article 1202 du Code civil, par refus d'application ;
alors, d'autre part, qu'aux termes mêmes de l'article 220 du Code civil, la solidarité des dettes ménagères est subordonnée à l'existence d'obligations contractuelles ;
qu'en estimant ce texte applicable à des dettes de cotisations sociales envers un régime obligatoire, la cour d'appel a violé l'article 220 du Code civil, par fausse application, et l'article 1202 du Code civil, par refus d'application ;
Mais attendu, d'abord, que l'article 220 du Code civil, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s'appliquer à toute dette, même non contractuelle, ayant pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants, et n'opère aucune distinction entre l'entretien actuel et futur du ménage ;
que le versement de cotisations de vieillesse ayant pour but de permettre au titulaire de la pension d'assurer, après la cessation de son activité professionnelle, l'entretien du ménage et, en cas de décès, l'entretien de son conjoint survivant par réversion de l'avantage, la cour d'appel a décidé, à bon droit, qu'il constituait une dette ménagère pour laquelle les époux Y... étaient solidairement tenus ;
que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que Mme X... reproche encore à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande en revendication des meubles saisis à son domicile, alors, selon le moyen, d'une part, qu'il résulte des articles 1538 et 815-17 du Code civil que le créancier personnel d'un débiteur marié sous le régime de la séparation de biens ne peut pas saisir les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d'une propriété exclusive, qui sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié ;
qu'en statuant de la sorte après avoir constaté que la preuve de la propriété exclusive de l'un ou de l'autre des époux X... sur les meubles saisis à la requête de la CANCAVA n'était pas rapportée, la cour d'appel a violé les articles précités ;
et alors, d'autre part, qu'il appartenait à la CANCAVA, créancière, d'administrer la preuve du droit de propriété exclusif de son débiteur sur le mobilier litigieux ;
qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil, ensemble les articles 1538 et 815-17 du Code civil ;
Mais attendu que la décision se trouvant légalement justifiée par les motifs vainement critiqués par le premier moyen, le second moyen est relatif à des motifs surabondants de l'arrêt ;
qu'il est par suite inopérant ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Rejette en conséquence la demande formée par Mme Y... épouse X... sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne Mme Y... épouse X..., envers la société La Cancava assurance vieillesse des artisans, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-quatre octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
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