AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / la compagnie Le Continent, dont le siège est ...,
2 / la société Degrande Burette, dont le siège est ..., en cassation de deux arrêts rendus les 15 décembre 1992 et 5 octobre 1993 par la cour d'appel de Douai (2ème chambre civile), au profit :
1 / de la compagnie La Concorde, dont le siège est ...,
2 / de la compagnie Milano Assicurazioni, dont le siège est Via Del Lauro 7, 20121 Milan,
3 / de la compagnie Spa Italia X..., dont le siège est Via Fieschi 9, 16121 Gênes,
4 / de M. Michele Z..., demeurant 24-02 Plazza Maititi Della Y..., Ovada, défendeurs à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 28 juin 1995, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Rémery, conseiller référendaire rapporteur, Mme Pasturel, MM. Edin, Grimaldi, Mme Clavery, MM. Lassalle, Tricot, Badi, Armand-Prévost, conseillers, M. Le Dauphin, conseiller référendaire, Mme Piniot, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Rémery, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la compagnie Le Continent et de la société Degrande Burette, de la SCP Le Bret et Laugier, avocat de la compagnie La Concorde, de Me Blanc, avocat de la compagnie Milano Assicurazioni et de la compagnie SPA Italia X..., les conclusions de Mme Piniot, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Douai, 15 décembre 1992 et 5 octobre 1993), que les marchandises dont la société Vanderberghe avait confié le transport par voie terrestre de France en Italie à la société Degrande-Burette, assurée par la compagnie Le Continent, ayant été dérobées au cours de leur déplacement, la cour d'appel, par un arrêt du 16 janvier 1992, après avoir retenu la responsabilité de la société Degrande-Burette, l'a condamnée avec son assureur à payer à la compagnie La Concorde, subrogée dans les droits de l'expéditeur pour l'avoir indemnisé, une certaine somme en réparation du dommage, avec intérêts au taux légal depuis l'assignation ;
que la société Degrande-Burette et son assureur ont formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt du 16 janvier 1992, puis ont saisi la cour d'appel d'une demande en rectification d'une erreur matérielle qui aurait affecté cet arrêt et d'une requête en interprétation de ce même arrêt en ce qu'il a dit que le taux des intérêts de la somme allouée était le taux légal, sans préciser qu'il s'agissait du taux de 5 % prévu à l'article 27, 1er, de la convention de Genève du 19 mai 1956 relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite CMR, applicable en la cause ;
que par l'arrêt du 15 décembre 1992, la cour d'appel a rejeté la requête en rectification d'erreur matérielle ;
que par l'arrêt du 5 octobre 1993, elle a rejeté la requête en interprétation ;
Sur le pourvoi, en tant qu'il attaque l'arrêt du 15 décembre 1992 :
Attendu que la déclaration de pourvoi faite le 2 décembre 1993 par la société Degrande-Burette et la compagnie Le Continent contre l'arrêt du 15 décembre 1992 n'a pas été suivie du dépôt au greffe de la Cour de Cassation, et de la signification aux défendeurs, dans le délai prévu à l'article 978, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile, d'un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre cette décision ;
qu'il y a lieu de constater la déchéance du pourvoi en tant qu'il concerne l'arrêt du 15 décembre 1992 ;
Sur le pourvoi, en tant qu'il attaque l'arrêt du 5 octobre 1993, et en demande la cassation par voie de conséquence :
Attendu que la société Degrande-Burette et la compagnie Le Continent demandent la cassation de l'arrêt du 5 octobre 1993 par voie de conséquence de la cassation de l'arrêt rendu le 16 janvier 1992 et faisant l'objet du pourvoi n S 92-13.493 ;
Mais attendu que ce dernier pourvoi a été rejeté le 25 octobre 1994 par la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation ;
que le moyen manque en fait ;
Et sur le moyen unique, pris en ses deux branches, de ce même pourvoi :
Attendu que la société Degrande-Burette et la compagnie Le Continent reprochent à l'arrêt d'avoir rejeté leur requête en interprétation alors, selon le pourvoi, d'une part, que la société Degrande-Burette et la compagnie Le Continent ayant, dans leurs conclusions signifiées le 29 décembre 1990, déclaré "qu'il y a lieu de noter que le taux d'intérêt tel que prévu par la CMR est de 5 % maximum et que le commissionnaire, au cas où cette qualification serait retenue, ne pouvant être condamné plus haut que son voiturier en l'absence de faute personnelle, doit se voir appliquer le même taux", la cour d'appel ne pouvait refuser d'interpréter l'arrêt qui lui était déféré en se déterminant par le fait que les sociétés requérantes n'avaient émis ni réserve, ni remarque quant au taux de l'intérêt applicable et qu'elles n'avaient, sur cette question, rien demandé ; qu'en rejetant sur ce seul fondement erroné la requête en interprétation formée par la société Degrande-Burette et la compagnie Le Continent, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile et violé l'article 461 du même Code ;
et alors, d'autre part, que le juge a le pouvoir d'interpréter une décision dont le sens est obscur, spécialement lorsqu'il a usé d'une "formule" qui, en raison de son caractère général, impose d'être adaptée au litige examiné ;
que la cour d'appel qui, pour rejeter la requête en interprétation formée par la société Degrande-Burette et la compagnie Le Continent s'est déterminée par le fait que celles-ci n'avaient pas "à se plaindre" de ce que l'arrêt dont l'interprétation était requise comportait une "formule" relative au taux d'intérêt applicable aux parties qui n'avaient "rien demandé" a, en statuant ainsi, violé l'article 461 du nouveau Code de procédure civile pour avoir refusé d'exercer un pouvoir d'interprétation que l'usage d'une "formule" générale rendait obligatoire ;
Mais attendu, d'abord, que la mention au dispositif de l'arrêt du 16 janvier 1992 que la condamnation prononcée à l'encontre de la société Degrande-Burette et de la compagnie Le Continent était assortie des intérêts au taux légal est dépourvue d'ambiguïté, dès lors que ce taux ne peut être que celui fixé pour la durée de l'année civile par le décret prévu à l'article 1er de la loi du 11 juillet 1975, et non celui de 5 % fixé par l'article 27, paragraphe1er, de la CMR ; qu'ensuite, sous couvert d'interprétation d'une décision, les droits et obligations qu'elle a reconnus aux parties ne peuvent être modifiés ;
que c'est donc à bon droit que la cour d'appel a décidé qu'il n'y avait pas lieu d'interpréter son précédent arrêt pour dire que le taux légal des intérêts était de 5 % ;
que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
CONSTATE LA DECHEANCE du pourvoi en tant que dirigé à l'encontre de l'arrêt du 15 décembre 1992 ;
LE REJETTE en tant que dirigé à l'encontre de l'arrêt du 5 octobre 1993 ;
Condamne la compagnie Le Continent et la société Degrande Burette, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-quatre octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
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