AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la Caisse régionale de crédit maritime mutuel "La Méditerranée", prise en la personne de son directeur en exercice domicilié en cette qualité audit siège est .... 188, 34203 Sète, en cassation d'un arrêt rendu le 14 janvier 1993 par la cour d'appel de Montpellier (2ème chambre section A), au profit de M. Jean-Baptiste X..., demeurant ..., défendeur à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 4 juillet 1995, où étaient présents : M. Bezard, président, M. Dumas, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Dumas, les observations de Me Cossa, avocat de la Caisse régionale de crédit maritime mutuel "La Méditerranée", de Me Vincent, avocat de M. X..., les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses sept branches :
Attendu, selon l'arrêt critiqué (Montpellier, 14 janvier 1993), que M. X... a déposé des fonds sur un compte ouvert à son nom dans les livres de la Caisse régionale de crédit maritime mutuel La Méditerranée (la banque) ;
qu'il était convenu qu'un intérêt de 7 %, net d'impôt, lui serait versé et que les fonds resteraient disponibles ;
qu'ultérieurement, le 12 juillet 1989, la banque lui a demandé son accord par écrit pour qu'elle gère son épargne ;
que le 12 décembre suivant, elle lui a précisé que les opérations de gestion de cette épargne étaient faites "dans le cadre d'un montage financier de dix ans" ;
que, le 22 janvier 1990, elle lui a donné l'assurance que les différents placements étaient disponibles à tout moment ;
qu'estimant que ses dépôts n'avaient pas été rémunérés comme il avait été convenu, il a assigné la banque en paiement ;
Attendu que la banque reproche à l'arrêt infirmatif de l'avoir déclarée responsable du préjudice subi par M. X... du fait des conséquences pénalisantes du montage financier proposé selon la lettre de décembre 1989, non accepté expressément par lui, alors, selon le pourvoi, de première part, que, dans sa lettre du 12 décembre 1989, la banque indiquait exactement à M. X... : "pour faire suite à nos différents entretients, nous vous précisons que vous avez souscrit dans nos livres les formules d'épargne suivantes" ;
que, dès lors, en affirmant que par cette lettre "la Caisse faisait connaître à M. X... les formules d'épargne qu'elle avait souscrites pour son compte à sa demande", la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce document, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ; alors, de deuxième part, qu'en relevant dans un premier temps que les formules d'épargne avaient été souscrites par la banque pour le compte de M. X..., à la demande de celui-ci, puis dans un second temps, que les souscriptions avaient été réalisées par M. X... à la demande de la banque, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de troisième part, qu'en déduisant d'un motif entaché de dénaturation et de contradiction que la banque avait passé outre au fait que M. X... n'avait pas donné suite à sa lettre du 12 juillet 1989 lui demandant son accord par écrit pour gérer son épargne et avait ainsi commis une faute engageant sa responsabilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil et en tant que de besoin au regard de l'article 1382 du même code ;
alors, de quatrième part, que, si la cour d'appel doit être régardée comme ayant finalement admis que c'est bien M. X... qui a personnellement décidé de souscrire les formules d'épargne en cause, comme cela résulte d'ailleurs des documents produits devant les juges du fond, elle ne pouvait utilement retenir que l'interessé n'avait pas donné suite à la lettre du 12 juillet 1989 lui demandant son accord par écrit pour gérer son épargne sans relever aucun fait établissant que la banque avait passé outre à cette absence d'accord ;
que, faute d'avoir relever un tel fait, elle a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil et en tant que de besoin au regard de l'article 1382 du même code ;
alors, de cinquième part, qu'en définitive, en laissant incertains aussi bien la nature de la faute reprochée à la banque que le fondement légal de sa condamnation, en s'abstenant de déterminer clairement si les formules d'épargne avaient été souscrites par M. X... personnellement, ou par la banque agissant pour son compte, et dans cette dernière hypothèse de sa propre initiative malgré l'absence de mandat ou à la demande de l'intéressé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil et en tant que de besoin au regard de l'article 1382 du même code ;
alors, de sixième part, qu'il résulte nécessairement des propres énonciations de l'arrêt attaqué que la circonstance que la lettre adressée par la Banque à M.
X...
le 22 janvier 1990 ait omis de préciser qu'il subirait des pertes s'il entendait disposer de son capital avant l'expiration du délai de dix ans, n'a strictement rien modifié à une situation de fait et de droit née dès la souscription des formules d'épargne ;
qu'ainsi, en toute hypothèse, il ne peut exister aucun lien de causalité entre cette lettre, à supposer même qu'elle puisse être regardée comme imprécise, et le préjudice allégué par M. X... ;
qu'en considérant néanmoins qu'elle constituait une faute engageant la responsabilité de la banque, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
alors, de septième part, qu'au surplus, ayant constaté à plusieurs reprises que la banque détenait les fonds de M. X... à titre de dépôt, ce dont il résultait nécessairement qu'elle avait pour seule obligation de les restituer avec les fruits perçus, la cour d'appel ne pouvait retenir à sa charge une obligation d'information et de conseil quant aux conditions dans lesquelles les sommes qu'elle avait en dépôt fructifiaient ;
qu'en faisant néanmoins peser sur la Banque une telle obligation, la cour d'appel a violé les articles 1932 et 1933 du Code civil ;
Mais attendu qu'il résulte de l'arrêt qu'en n'informant pas M. X... de ce que "le montage financier sur dix ans", qu'elle lui avait proposé par lettre du 12 décembre 1989, n'était pas compatible avec ce qui avait été initialement convenu, à savoir la certitude d'une rémunération de 7 %, nette d'impôt, des fonds déposés, la banque avait engagé sa responsabilité civile à son égard ;
que la cour d'appel, qui n'a pas retenu par ailleurs, à la charge de la Banque, un manquement à une obligation d'information et de conseil quant aux conditions dans lesquelles les sommes qu'elle avait en dépôt fructifiaient, a ainsi précisé le fondement de sa décision ;
qu'ainsi, abstraction faite des motifs surabondants critiqués dans les quatre premières branches du moyen, l'arrêt se trouve légalement justifié ;
d'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli dans ses quatre premières branches, n'est pas fondé en ses autres éléments ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Caisse régionale de crédit maritime mutuel "la Méditerranée" à payer à M. X... la somme de 12 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne la Caisse régionale de crédit maritime mutuel"La Méditerranée", envers M. X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du dix sept octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
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