AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / la société La Grande Immobilière Joffre "GIJ", société à responsabilité limitée, dont le siège est ...,
2 / M. Pierre X..., agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de gérant de la société La Grande Immobilière Joffre "GIJ", demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 26 avril 1990 par la cour d'appel de Paris (5e chambre, section C), au profit :
1 / de la société Slibail, société lyonnaise, dont le siège est ...,
2 / de la société Kis Photo, dont le siège est ..., défenderesses à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 4 juillet 1995, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Leclercq, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Leclercq, les observations de la SCP Jean-Pierre Ghestin, avocat de la société La Grande Immobilière Joffre "GIJ", de M. X..., de la SCP Boré et Xavier, avocat de la société Slibail, de Me Choucroy, avocat de la société Kis Photo, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 avril 1990), que la société La Grande Immobilière Joffre (société GIJ) a conclu avec la société Slibail un contrat de crédit-bail pour le financement d'un matériel de développement de photographies commandé à la société Kis Photo ;
que M. X... s'est porté caution ;
qu'après avoir cessé le paiement des loyers et s'être vu, en conséquence, notifier la résiliation du crédit-bail par la société Slibail, la société GIJ a demandé l'annulation de la vente pour dol et demandé que la société Kis soit condamnée à la garantir des condamnations pouvant être prononcées contre elle au profit de la société bailleresse ;
qu'elle a également demandé la réduction de la créance invoquée par la bailleresse en invoquant que, fautivement, celle-ci avait revendu le matériel à vil prix ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société GIJ et M. X... font grief à l'arrêt de rejeter sa contestation relative aux conditions de la revente du matériel, alors, selon le pourvoi, d'une part, que dans sa lettre adressée le 3 avril 1987, visée et citée dans l'arrêt, la société GIJ avait indiqué une personne intéressée par la reprise du matériel en leasing "mais seulement dans un an" ;
qu'en retenant que, dans sa lettre, la société GIJ reconnaissait elle-même ne pouvoir présenter aucune autre personne solvable, la cour d'appel a dénaturé les termes de la lettre du 3 avril 1987, et partant, violé l'article 1134 du Code civil ;
et alors, d'autre part, que les contrats s'exécutent de bonne foi ;
que, pour écarter la contestation de la société GIJ, relative au prix de revente du matériel, la cour d'appel retient qu'il ne pouvait être fait grief à la société Slibail d'avoir fait procéder à une vente aux enchères publiques, et qu'elle ne pouvait avoir aucune responsabilité dans les circonstances de la vente réalisée par un officier public ;
qu'il résulte cependant des énonciations des juges du fond que le matériel, acquis moins de trois ans plus tôt, pour le prix de 219 000 francs hors taxes, a été vendu pour une somme de 1 200 francs, dont il convenait de déduire des frais d'enlèvement pour 593 francs ;
qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher concrètement si, en l'espèce, la société Slibail n'avait pas manqué à ses obligations en se désintéressant des conditions de la vente et en laissant la vente s'effectuer pour un prix dérisoire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel n'a pas dénaturé la lettre visée au moyen, mais en a apprécié la portée, en retenant que l'indication d'une personne pouvant racheter le matériel après un délai d'une année ne constituait pas la présentation d'un acheteur solvable dans des conditions imposant à la société Slibail de renoncer à la revente aux enchères publiques ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel a pu retenir que la société Slibail n'a pas commis de faute envers la société crédit-preneuse en faisant procéder à la revente aux enchères publiques par un officier ministériel ;
Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur les deuxième et troisième moyens, réunis :
Attendu que la société GIJ et M. X... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leurs demandes à l'encontre de la société Kis, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la cour d'appel, qui constatait que par l'effet du contrat de crédit bail, le locataire était, en principe, en droit d'agir en garantie à l'encontre du vendeur, ne pouvait lui dénier ce droit au motif qu'il ne l'avait pas exercé avant la résiliation du contrat de crédit-bail, dès lors que les griefs invoqués par le locataire à l'encontre du vendeur étaient antérieurs à la résiliation du contrat de crédit-bail et avaient, selon le locataire, un lien direct avec les difficultés financières qui avaient abouti à la résiliation dudit contrat ;
qu'ainsi, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1625 et suivants du Code civil ; et alors, d'autre part, que, dans leurs conclusions régulièrement déposées et signifiées (page 9 des conclusions signifiées le 29 juin 1989), la société GIJ et M. X... faisaient valoir qu'il résultait des pièces du dossier que la Grande Immobilière Joffre avait, à plusieurs reprises, alerté la société KIS sur les difficultés qu'elle rencontrait dans l'utilisation du matériel dont les cuves n'étaient pas hermétiques, les produits à utiliser étant, quant à eux, périmés au bout de huit jours et les déchets de pellicules ainsi que le temps passé étant énormes, ce qui ne permettait d'obtenir des photos acceptables qu'au prix de manipulations répétées et d'un gaspillage éhonté ;
qu'en retenant que la société GIJ ne rapportait pas la preuve d'une publicité fallacieuse dès lors qu'elle a reconnu que les mauvais résultats obtenus dans l'exploitation étaient dûs à un emplacement peu favorable et à une incompatibilité avec sa propre activité principale, sans mettre en cause la qualité du matériel et même la responsabilité du fournisseur, la cour d'appel a dénaturé les conclusions dont elle était saisie et partant, violé les articles 1134 du Code civil et 4 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que retenant qu'aucun dol n'a été commis par la société Kis envers la société GIJ, c'est surabondamment que l'arrêt dénie, par des motifs erronés, la recevabilité de l'action en annulation pour dol soutenue par cette société ;
Attendu, d'autre part, que retenant que les mauvais résultats obtenus dans l'exploitation de l'appareil en litige étaient dûs pour une grande part à un emplacement peu favorable et à une incompatibilité avec l'activité principale de la société GIJ elle-même, sans que la qualité du matériel fût en cause, la cour d'appel a pu écarter le grief de dol formulé par cette société contre le fournisseur ;
Que les moyens ne peuvent être accueillis ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société La Grande Immobilière Joffre "GIJ" et M. X..., envers les sociétés Slibail et Kis Photo, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du dix-sept octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
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