AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Jacques Y..., demeurant ... (Finistère), en cassation d'un arrêt rendu le 14 avril 1993 par la cour d'appel de Rennes (2e chambre), au profit de :
1 ) M. Bernard X..., pris en sa qualité de représentant des créanciers du redressement judiciaire de M. Jacques Y..., demeurant ...,
2 ) la société à responsabilité limitée Raval'Ouest, actuellement en liquidation judiciaire, dont le siège est ... (Finistère), et prise en la personne de M. Bernard X..., son mandataire liquidateur, demeurant ..., défendeurs à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 13 juin 1995, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Badi, conseiller référendaire, Mme Pasturel, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mlle Barault, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Badi, les observations de la SCP Le Bret et Laugier, avocat de M. Y..., de la SCP de Chaisemartin et Courjon, avocat de M. X..., ès qualités et de la société Raval'Ouest, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., liquidateur de la société Raval'Ouest, a assigné M. Y..., directeur salarié des agences de Brest, Morlaix et Guingamp de ladite société, en redressement judiciaire, sur le fondement de l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985, en lui imputant, en tant que dirigeant de fait, des actes de disposition et d'utilisation des biens de la société dans son intérêt personnel ;
que le Tribunal a accueilli cette demande ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt d'avoir dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir sur l'action publique, mise en mouvement du chef d'abus de confiance au préjudice de la société Raval'Ouest, et d'avoir ordonné l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire commune à celle ouverte à l'égard de la société, alors, selon le pourvoi, que le criminel tient le civil en l'état, ce qui impose, dans une procédure d'extension du redressement judiciaire d'une personne morale exercée contre un dirigeant de droit ou de fait, à la juridiction civile de surseoir à statuer lorsque cette qualité dépend de la décision à intervenir sur l'action publique, mise en mouvement et non encore close ;
que tel était le cas vu que M. Y..., poursuivi pour abus de confiance comme mandataire social de la société Raval'Ouest, soutenait qu'il était demeuré simple exécutant salarié sans avoir jamais exercé un rôle de dirigeant de fait de ladite entreprise ; qu'ainsi, cette qualité contestée de dirigeant de fait était nécessairement l'élément commun des deux procédures, dont résultait que la solution à intervenir de l'instance pénale aurait une influence sur l'affaire civile ;
qu'en refusant d'ordonner le sursis à statuer, qui lui était demandé, l'arrêt a violé, par refus d'application, l'article 4 du Code de procédure pénale ;
Mais attendu qu'ayant relevé que l'action fondée sur les dispositions de l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 ne tendait pas aux mêmes fins que l'instance pénale dans la mesure où la matérialité de l'existence des comptes bancaires personnels du dirigeant n'était pas discutée et où l'appréciation de son intention coupable n'avait pas d'incidence sur l'application du texte susvisé, la cour d'appel a pu en déduire, que la décision à intervenir sur l'action publique n'était pas de nature à influer sur l'ouverture du redressement judiciaire de M. Y... et qu'il n'y avait, dès lors, pas lieu de surseoir à statuer ;
que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Attendu que, pour confirmer le jugement qui a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de M. Y..., l'arrêt, après avoir relevé que celui-ci avait encaissé une somme de 9 453 781 francs, pour laquelle, à concurrence de 1 180 000 francs, il ne possédait pas de justifications de reversement aux artisans ou à la société Raval'Ouest, a retenu qu'il était sorti du cadre de ses fonctions salariées de chef d'agences et avait de fait accompli de véritables actes indépendants de direction dans son intérêt personnel, ou en tous cas contrairement à celui de la société ;
Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à établir que M. Y... avait dirigé en fait la société Raval'Ouest, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 avril 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
REJETTE la demande présentée par M. X..., ès qualités sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne M. X..., ès qualités, envers M. Y..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Rennes, en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du dix octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
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