AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Jean-Yves X..., demeurant ... à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), agissant en sa qualité de représentant des créanciers, puis de liquidateur de la société anonyme Imprimerie Bourgeois, dont le siège social est Zone industrielle des Alouettes à Saint-Rémy (Saône-et-Loire), en cassation d'un arrêt rendu le 26 novembre 1992 par la cour d'appel de Dijon (1re Chambre, 2e Section), au profit de la société Maunoury, société anonyme dont le siège social est 12, Cours Louis Lumière à Vincennes (Val-de-Marne), défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 13 juin 1995, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Lassalle, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mlle Barault, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Lassalle, les observations de Me Choucroy, avocat de M. X..., ès qualités, de la SCP Defrenois et Levis, avocat de la société Maunoury, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Imprimerie Bourgeois (la société Bourgeois) a été mise, le 20 juillet 1989, en redressement judiciaire simplifié, sans avoir payé le prix d'une certaine quantité de papier livré par la société Maunoury ;
qu'excipant d'une clause de réserve de propriété, la société Maunoury, après inventaire dressé les 21 et 24 juillet 1989, a, le 7 août 1989, revendiqué cette marchandise ;
que la demande, rejetée par le juge-commissaire, a, sur recours de la société Maunoury, été accueillie par le Tribunal ;
que partie de la marchandise inventoriée ayant été consommée par la société Bourgeois, la société Maunoury a demandé que le caractère privilégié soit, à concurrence de sa valeur, reconnu à sa créance, et que celle-ci bénéficie d'une priorité de paiement tant sur les créances antérieures au jugement d'ouverture de la procédure collective que sur celles relevant de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que le liquidateur judiciaire de la société Bourgeois fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande de la société Maunoury, bien qu'aucune décision définitive ne soit intervenue sur la revendication, avant la consommation des marchandises, alors, selon le pourvoi, que le droit de s'opposer à la revendication, reconnu par l'article 121, alinéa 2, de la loi du 25 janvier 1985, ne peut être exercé qu'à l'issue de l'instance en revendication ;
qu'en énonçant qu'il importait peu qu'une décision définitive soit intervenue dans l'instance en revendication, la cour d'appel a violé cette dernière disposition ;
Mais attendu que la faculté pour l'administrateur ou pour le débiteur, en cas de procédure simplifiée sans désignation d'un administrateur, de s'opposer à la revendication n'est pas subordonnée, dans son exercice, à l'existence d'une décision sur la demande du revendiquant ;
qu'ayant relevé que le débiteur avait été informé, depuis l'ouverture de la procédure, de l'intention du créancier de faire jouer la clause de réserve de propriété, la cour d'appel en a, à bon droit, déduit qu'il appartenait au débiteur de prendre les mesures nécessaires pour permettre la revendication ou pour payer le prix de la marchandise ;
que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur la quatrième branche :
Vu les articles 2095 du Code civil et 40, paragraphe 2, alinéa 5, de la loi du 25 janvier 1985 ;
Attendu que la disposition de biens vendus avec réserve de propriété, existant en nature à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective, fait naître au profit du vendeur qui les a revendiqués dans le délai légal une créance bénéficiant du privilège prévu par l'article 40, paragraphe 2, alinéa 5, précité ;
Attendu que, pour conférer à la société Maunoury le bénéfice d'une priorité de paiement tant sur les créances antérieures au jugement d'ouverture que sur les créances prévues par cet article, l'arrêt relève que le débiteur a fait obstacle à la revendication ;
Attendu qu'en statuant ainsi et en instituant une telle priorité hors toute prévision légale, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 novembre 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;
Rejette la demande présentée par la société Maunoury sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne la société Maunoury, envers M. X..., ès qualités, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Dijon, en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du dix octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
1655