AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept août mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire POISOT, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général AMIEL ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Jean-Christophe, contre l'arrêt de la cour d'appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 28 octobre 1994, qui, pour désertion en temps de paix, l'a condamné à 3 ans de suspension de son permis de conduire ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 4-3b, 9, 10 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 18, 19 et 26 du pacte des droits civils et politiques de New-York, L.116-6 du Code du service national pour fausse application et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Jean-Christophe X... à la peine de suspension du permis de conduire pour une durée de 3 années, du chef de désertion à l'intérieur en temps de paix ;
"aux motifs que d'une part, s'ils proclament la liberté de pensée, de conscience, de religion et d'opinion, les articles 9 et 10 de la Convention européenne rappellent que ces libertés peuvent faire l'objet de restrictions prévues par la loi et constituant, dans une société démocratique, des mesures nécessaires à la sécurité publique, la protection de l'ordre ou des droits et libertés d'autrui ;
que l'allongement de la durée du service des objecteurs de conscience par rapport à celle du service armé ne constitue pas une discrimination, mais poursuit un objectif nécessaire, justifié et légitime dans une société démocratique, en ne favorisant pas ces objecteurs dont le service présente des risques et contraintes moindres ;
que, d'autre part, la combinaison des articles 4-3b et 14 de la Convention européenne n'interdit pas d'imposer aux objecteurs un service de substitution d'une durée excédant celle du service militaire obligatoire ;
qu'enfin, les articles 18, 19 et 26 du pacte de New-York ne font pas obstacle à l'instauration de traitements différenciés dès lors qu'ils reposent sur des critères objectifs et mesurés, tel que l'établissement d'une égalité dans la somme des contraintes que chaque forme de service contient ;
"alors que l'objection de conscience à l'usage personnel des armes et l'accomplissement consécutif d'un service non militaire est un droit reconnu et protégé par les Conventions susvisées et ne saurait donc faire l'objet d'aucune restriction ou discrimination fondée sur la conviction de son titulaire ;
que l'accomplissement d'un service civil d'une durée double à celle du service militaire constitue une atteinte à ces textes supérieurs à la loi, en ce qu'il institue une discrimination à raison des opinions et des convictions des objecteurs ; que cette discrimination n'est pas nécessaire aux objectifs fondamentaux d'une société démocratique et que ni la prétendue recherche d'une égalité dans la somme de contraintes imposées par chaque forme de service ni la volonté de tester la sincérité du candidat, ne peuvent constituer des critères raisonnables ou objectifs susceptibles de justifier cette discrimination, d'autant plus que les autres formes de service civil, à savoir la coopération et l'aide technique, ont une durée de moitié seulement plus élevée que celle du service armé ; qu'ainsi, les dispositions de l'article L. 116-6 du Code du service national sont contraires aux dispositions internationales susvisées" ;
Attendu qu'en estimant par les motifs reproduits au moyen que les contraintes imposées aux objecteurs de conscience pour l'accomplissement de leur service national, comparées à celles inhérentes aux autres formes de service, n'étaient ni excessives, ni discriminatoires, la cour d'appel n'a pas méconnu les dispositions de la Convention et du Pacte susvisées, lesquelles ne font pas obstacle à ce que les objecteurs de conscience soient assujettis par la loi interne à un service dont la durée est supérieure à celle du service militaire actif lorsque cette durée, comme celle fixée par l'article L.116-6 du Code du service national, alors applicable, n'excède pas une limite raisonnable et ne porte pas atteinte à leurs libertés fondamentales ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Milleville conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Poisot conseiller rapporteur, MM. Guilloux, Le Gall conseillers de la chambre, Mme Batut conseiller référendaire appelé à compléter la chambre, Mme Fayet conseiller référendaire, M. Amiel avocat général, Mme Nicolas greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;