AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept aout mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller Le GALL, les observations de Me A... et THOUIN-PALAT, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général AMIEL ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- DELCOURT Jacques, contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, chambre correctionnelle, en date du 27 mai 1994, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre lui du chef d'infraction à l'article 26 de la loi du 20 juillet 1988, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Jacqueline Y..., journaliste spécialisée en matière sportive, a cité directement devant le tribunal correctionnel, du chef ci-dessus, Jacques Delcourt, président de la fédération française de karaté, à qui elle reprochait d'avoir, dans une lettre du 17 novembre 1989, à en-tête de cette fédération et adressée au journal "l'Equipe" à l'intention de son directeur, M. Z..., fait état d'une sanction disciplinaire la concernant et amnistiée par la loi précitée ;
que le tribunal l'a déclarée irrecevable en son action, au motif que la lettre incriminée aurait été obtenue de façon illicite ;
que, sur son seul appel, cette décision a été confirmée par la cour d'appel de Paris ;
que cet arrêt a été cassé par la chambre criminelle, le 15 juin 1993 ;
que, saisie comme juridiction de renvoi, la cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt attaqué ;
En cet état :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, 7, 8, 10 et 17 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 14, 23 et 26 de la loi du 20 juillet 1988, 226-15 du nouveau Code pénal, 475-1, 485, 567, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel déclare X... coupable du chef d'infraction à l'article 26 de la loi du 20 juillet 1988 et le condamne à payer à Melle Y... les sommes de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts et de 10 000 francs au titre des frais irrépétibles ;
"aux motifs que l'argumentation du prévenu est contraire à ses déclarations devant le tribunal correctionnel ;
qu'il ne peut donc contester avoir écrit et envoyé la lettre du 17 novembre 1989 versée au dossier d'instruction de la plainte pour vol de document ;
qu'il y a fait état d'une sanction disciplinaire entrant dans le champ d'application de l'article 14 de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988 ;
"1 ) alors que, en ayant accueilli la poursuite après avoir constaté que la lettre portait la mention "confidentielle" et que son destinataire affirmait détenir l'original qu'il n'avait communiqué à personne, ce qui impliquait la captation et l'utilisation illicites de l'écrit par la partie civile, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"2 ) alors que, en se faisant juge de l'amnistie des faits disciplinairement sanctionnés, sans répondre au mémoire (p. 5) du prévenu faisant valoir que la partie civile n'avait pas demandé dans le délai légal au juge administratif le bénéfice de l'article 14 de la loi de 1988, ce qui excluait qu'elle pût s'en prévaloir devant le juge pénal, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
3) alors que, au surplus, en statuant ainsi, quand les faits sanctionnés disciplinairement constituaient un manquement à la probité, aux bonnes moeurs et à l'honneur, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"4 ) alors que, enfin, en allouant des dommages-intérêts "en réparation du dommage causé par l'infraction", sans s'être davantage expliquée sur l'existence d'un dommage susceptible d'avoir été personnellement et directement subi par la partie civile qui avait la charge de la preuve, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu que, pour déclarer les faits établis et allouer, en conséquence, des dommages-intérêts à la partie civile, la cour d'appel, après avoir rappelé que, dans la lettre incriminée, Jacques Delcourt informait le directeur de "l'Equipe" que Jacqueline Y..., candidate à un emploi offert par ce journal, avait fait l'objet, en 1987, d'une sanction disciplinaire infligée par l'assemblée générale de la fédération de karaté, énonce que "les griefs retenus par cet organisme à l'encontre de Mlle Y..., s'ils avaient le caractère d'une faute justifiant une sanction disciplinaire, ne constituent pas des manquements à la probité, aux bonnes moeurs ou à l'honneur, au sens de la loi du 20 juillet 1988" et que, dès lors, ils sont amnistiés de plein droit ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, les juges ont justifié leur décision ;
Qu'en sa première branche, le moyen, qui se borne à reprendre les motifs de l'arrêt censurés par la Cour de Cassation le 15 juin 1993, est irrecevable ; qu'en ses deuxième et troisième branches, il est inopérant, dès lors que les juges ont estimé que les faits incriminés ne constituaient pas des manquements à la probité, aux bonnes moeurs ou à l'honneur et qu'ainsi les dispositions de l'article 14, alinéa 3, de la loi d'amnistie n'avaient pas à s'appliquer ;
qu'enfin, le demandeur n'ayant contesté, devant les juges du fond, ni l'existence d'un préjudice personnel et direct, ni le montant des dommages-intérêts réclamés, le moyen pris en sa quatrième branche, mélangé de fait, est nouveau et, comme tel, irrecevable ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Milleville conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Le Gall conseiller rapporteur, M. Guilloux conseiller de la chambre, Mme Batut, M. Poisot conseillers référendaires appelés à compléter la chambre, Mme Fayet conseiller référendaire, M. Amiel avocat général, Mme Nicolas greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;