AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Auguste X..., demeurant la Croix Rouge à Vitré (Ille-et-Vilaine), en cassation d'un arrêt rendu le 18 février 1992 par la cour d'appel de Rennes (8e chambre), au profit :
1 / de l'entreprise Baglione Joseph, sise ... (Ille-et-Vilaine),
2 / de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine, sise ... (Ille-et-Vilaine),
3 / de la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) de Bretagne, sise ... (Ille-et-Vilaine), défenderesses à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 8 juin 1995, où étaient présents : M. Kuhnmunch, président, M. Ollier, conseiller rapporteur, MM. Vigroux, Berthéas, Favard, Gougé, Thavaud, conseillers, M. Petit, conseiller référendaire, M. Kessous, avocat général, M. Richard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Ollier, les observations de la SCP Peignot et Garreau, avocat de M. X..., de la SCP Le Bret et Laugier, avocat de l'entreprise Baglione Joseph, les conclusions de M. Kessous, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu que, le 16 juillet 1981, M. X..., chauffeur poids-lourds de l'entreprise Joseph Baglione, a été blessé aux pieds par la chute du plateau d'un véhicule porte-char, à la suite de la rupture du câble au moyen duquel un autre salarié de l'entreprise remettait à niveau le plateau et le châssis du véhicule ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué (Rennes, 18 février 1992) d'avoir dit que l'accident n'est pas dû à une faute inexcusable de l'employeur, alors, selon le moyen, d'une part, que la faute inexcusable de l'employeur s'entend d'une faute dérivant, notamment, d'un acte ou d'une omission volontaire ;
qu'en ne recherchant pas en l'espèce si les éléments du dossier, et notamment l'enquête ordonnée par les premiers juges, n'établissaient pas la négligence de cet employeur dans l'entretien, qui lui incombait, du cable à l'origine de l'accident, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 452-1 à L. 452-4 du Code de la sécurité sociale ;
alors, d'autre part, que, pour caractériser la faute de la victime excluant le caractère déterminant de la faute de l'employeur, la cour d'appel, qui a constaté que M. X... n'avait participé que deux fois à la manoeuvre à l'origine de l'accident, ne pouvait retenir qu'il a pris un risque démesuré compte tenu de son expérience professionnelle de plus de 13 ans dans cette entreprise, sans préciser en quoi cette expérience professionnelle aurait dû l'avertir des risques de cette manoeuvre qu'il avait si peu pratiquée ;
qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard des mêmes articles ;
alors, de troisième part, qu'en tout état de cause, la cour d'appel aurait dû examiner si l'absence de consigne de sécurité dispensée à la victime et la parfaite ignorance qui en résultait pour celle-ci des risques auxquels l'exposait son travail n'avaient pas eu un rôle déterminant dans la réalisation de l'accident et ne caractérisaient pas une faute inexcusable de l'employeur qui absorbait l'imprudence de son salarié ;
qu'en ayant refusé de procéder à cette recherche nécessaire, elle a privé sa décision de base légale au regard des mêmes articles ;
alors, enfin, qu'en refusant également de rechercher si le comportement de la victime lors de l'accident ne constituait pas un état de fait habituel auquel l'employeur aurait dû remédier par l'exercice de son pouvoir hiérarchique, ce qui caractérisait encore la faute inexcusable de celui-ci, la cour d'appel a privé, à nouveau, sa décision de base légale au regard des mêmes textes de loi ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, énonce qu'aucun élément n'établit que la rupture du câble ait eu pour origine un défaut d'entretien de celui-ci, que M. X... était un salarié expérimenté qui avait déjà participé deux fois au même type d'opération que celle au cours de laquelle s'est produit l'accident, et que l'intéressé avait pris un risque "démesuré" en se plaçant sous la plate-forme du véhicule sans attendre que l'ensemble du plateau soit stabilisé par la pose de goupilles de sécurité ;
qu'elle a pu en déduire, répondant aux conclusions, que cette imprudence imprévisible de la victime constituait la cause déterminante de l'accident, excluant ainsi que le défaut de consignes particulières données avant l'opération litigieuse ait pu constituer une faute inexcusable de la part de l'employeur ;
d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X..., envers les défenderesses, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. Favard, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, en remplacement de M. le président Kuhnmunch, conformément à l'article 452 du nouveau Code de procédure civile, en son audience publique du vingt juillet mil neuf cent quatre-vingt-quinze.