AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mme Antoinette X..., demeurant ... et ... à Pantin (Seine-Saint-Denis), en cassation d'un arrêt rendu le 14 janvier 1994 par la cour d'appel de Paris (2e chambre, section B), au profit de la société IRES, dont le siège social est ... (7e), défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 13 juin 1995, où étaient présents : M. Beauvois, président, Mme Giannotti, conseiller rapporteur, M. Douvreleur, conseiller doyen, M. Weber, avocat général, Mme Pacanowski, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Giannotti, les observations de la SCP de Chaisemartin et Courjon, avocat de Mme X..., de Me Choucroy, avocat de la société IRES, les conclusions de M. Weber, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier mmoyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 janvier 1994), que, par acte sous seing privé du 10 avril 1989, Mme X... a vendu à M. Y..., ou à toute personne physique ou morale qu'il se substituerait, des lots d'un immeuble en copropriété ;
que la vente était convenue sous la condition suspensive d'obtention d'un prêt avant le 1er juillet 1989 ;
que, le 28 mai 1990, la société IRES agissant en la personne de son gérant, M. Y..., a fait sommation à Mme X... de régulariser la vente par acte authentique ;
que, devant son refus, cette société l'a assignée en réitération forcée de la vente ;
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de déclarer valide l'acte de vente au profit de la société IRES, alors, selon le moyen, "1 / que, contestant la réalité de la substitution au profit de la société IRES, Mme X... invoquait, d'une part, l'aveu contenu dans l'assignation de la société, selon lequel c'était M. Y... et non la société qui avait manifesté son intention d'acquérir et, d'autre part, le procès-verbal de carence du 29 juin 1990 rappelant que M. Y... s'était présenté comme ayant contracté à titre personnel ;
que, dès lors, en se bornant à déduire l'existence de la substitution de la sommation délivrée par la société IRES, le 28 mai 1990, sans s'expliquer sur les conclusions susvisées de la venderesse, de nature à exclure toute substitution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code Civil ;
2 / qu'il résulte de la combinaison de la clause imposant la réalisation de la condition suspensive d'obtention du prêt, ou la renonciation à son bénéfice, au plus tard le 1er juillet 1989, de la stipulation contractuelle prévoyant la possibilité pour l'acquéreur de se substituer toute personne sans que cette dernière puisse cependant bénéficier de la condition suspensive, que la substitution d'un tiers à l'acquéreur dans l'achat en cause financé sans aucun prêt devait être établie au 1er juillet 1989 au plus tard ;
qu'en donnant effet à la substitution litigieuse opérée le 28 mai 1990, c'est-à -dire postérieurement à la date contractuelle de réalisation de la condition suspensive, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
3 / que l'acte de vente sous condition suspensive soumis à l'examen des juges prévoyait en toute hypothèse la rédaction d'un acte authentique qui devait être passé au plus tard le 20 août 1989 ;
qu'en ne s'expliquant pas sur la caducité de la vente poursuivie par l'acquéreur substitué près d'un an après ce terme contractuel, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil" ;
Mais attendu qu'ayant constaté que la sommation, délivrée le 28 mai 1989 par la société IRES, établissait l'existence de la substitution de cette société à M.
Y...
et la portait à la connaissance de Mme X... et retenu que, par son courrier du 19 juin 1989, M. Y... avait renoncé sans équivoque à la condition suspensive stipulée à son profit dans l'acte du 10 avril 1989, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, ni à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, en a déduit, à bon droit, que la condition suspensive étant levée, la vente était devenue irrévocable, et que la société IRES, valablement susbtituée à l'acquéreur, avait qualité pour faire constater la validité de cette vente ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que, pour condamner Mme X... à payer des dommages-intérêts à la société IRES, l'arrêt retient que sa résistance injustifiée a obligé la société à diverses vaines démarches et, notamment, à faire délivrer une sommation restée sans effet, qu'elle a ainsi subi un préjudice ;
Qu'en statuant ainsi, sans relever un fait de nature à faire dégénérer en abus le droit de Mme X... d'agir en justice, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné Mme X... à payer des dommages-intérêts à la société IRES, l'arrêt rendu le 14 janvier 1994, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
Les condamne, ensemble, aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Paris, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du dix-huit juillet mil neuf cent quatre-vingt-quinze.