AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. X..., mandataire liquidateur, agissant en son nom personnel, demeurant ... (Seine-Maritime), en cassation d'un arrêt rendu le 16 décembre 1993 par la cour d'appel de Rouen (2ème chambre civile), au profit :
1 ) de M. Alain Y..., administrateur judiciaire, demeurant ... (Seine-Maritime),
2 ) de la société Les Docks Fouquet, dont le siège est ... (Seine-Maritime), défendeurs à la cassation ;
M. Y... ès qualités, défendeur au pourvoi principal, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Le demandeur au pourvoi principal, invoque à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Le demandeur au pourvoi incident, invoque à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 30 mai 1995, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Tricot, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, MM. Edin, Grimaldi, Mme Clavery, MM. Lassalle, Badi, Armand Prévost, conseillers, MM. Le Dauphin, Rémery, conseillers référendaires, M. Mourier, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Tricot, les observations de Me Vuitton, avocat de M. X..., de Me Baraduc-Benabent, avocat de M. Y..., les conclusions de M. Mourier, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant sur le pourvoi principal formé par M. X... et sur le pourvoi incident relevé par M. Y... ;
Attendu, selon l'arrêt partiellement confirmatif déféré, que la société Les Docks Fouquet, qui avait livré à la Société des fluides français sous le bénéfice d'une clause de réserve de propriété diverses marchandises demeurées impayées, a fait procéder à l'inventaire des stocks de cette société peu avant l'ouverture de son redressement judiciaire le 8 novembre 1988, et a revendiqué, le 17 novembre 1988, les marchandises inventoriées pour un montant de 306 579,80 francs ;
qu'après la mise en liquidation judiciaire de la Société des fluides français le 21 février 1989, le juge-commissaire a ordonné, le 20 mars 1989, la restitution des marchandises à la société Les Docks Fouquet ou, à défaut, le paiement de la somme de 306 579,80 francs ;
que n'ayant pu obtenir l'exécution de cette ordonnance, la société Les Docks Fouquet a demandé que M. Y..., qui avait reçu la mission d'administrer seul l'entreprise, et M. X..., représentant des créanciers puis liquidateur de la Société des fluides français, soient condamnés solidairement à lui payer la somme de 306 579,80 francs ;
que le Tribunal a mis hors de cause M. X... et condamné M. Y... à payer cette somme ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que l'administrateur judiciaire reproche à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'administrateur est tenu de garantir le paiement du prix des marchandises vendues avec clause de réserve de propriété, lorsque ce prix est payé à l'issue de la période d'observation, suivant le délai fixé par le juge-commissaire ;
qu'en énonçant que l'administrateur est tenu de garantir le paiement du prix des marchandises revendiquées sans constater qu'il n'y est tenu que lorsque des délais sont imposés au vendeur par le juge-commissaire, la cour d'appel a violé l'article 121 de la loi du 25 janvier 1985 ;
et alors, d'autre part, qu'il appartient à la victime d'un dommage d'apporter la preuve de la faute qu'elle invoque ;
qu'en énonçant que l'administrateur judiciaire n'apportait pas la preuve des diligences qu'il aurait accomplies, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, violant en cela l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel a constaté, tant par motifs propres qu'adoptés, que l'administra- teur judiciaire, qui avait légitimement accepté que les fournitures en cause soient utilisées au cours de la période d'observation, n'avait pris aucune mesure de nature à assurer l'éventuelle indemnisation du créan- cier revendiquant ;
qu'elle a pu en déduire, sans inverser la charge de la preuve, que l'administrateur avait commis une faute dès la période qui a précédé l'ordonnance par laquelle le juge-commissaire a reconnu les droits du revendiquant et a ainsi légalement justifié sa décision, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants visés à la première branche ;
que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi princi- pal, pris en sa première branche :
Vu l'article 122 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Attendu que pour condamner le représentant des créanciers à payer in solidum avec l'administrateur judiciaire, la somme de 306 579,80 francs, l'arrêt énonce que le premier ne pouvait utiliser les fonds provenant de la vente des marchandises pour payer des créanciers privilégiés dès lors qu'il lui appartenait de veiller à la conservation de ces fonds qui étaient devenus la propriété du revendiquant ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le vendeur des marchandises dont la propriété est réservée ne peut revendiquer le prix, subrogé aux biens, qu'à défaut de paiement, de règlement en valeur ou de compensation en compte courant par le sous-acquéreur, la cour d'appel, qui a constaté le paiement par ce dernier, a violé le texte susvisé ;
Et attendu qu'en application de l'article 625 du nouveau Code de procédure civile, la cassation du chef de l'arrêt relatif à la demande que la société Les Docks Fouquet avait dirigée contre le représentant des créanciers atteint, par voie de dépendance nécessaire, le chef de l'arrêt concernant les condamnations prononcées contre M. X... sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du premier moyen et sur le second moyen du pourvoi principal :
REJETTE le pourvoi incident formé par M. Y... ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné M. X... à payer à la société Les Docks Fouquet la somme de 306 579,80 francs avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 1989 outre 3 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et 11 860 francs pour ceux exposés en appel, et en ce qu'il l'a condamné aux dépens, l'arrêt rendu le 16 décembre 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne M. Y... ès qualités et la société Docks Fouquet, envers M. X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Rouen, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du onze juillet mil neuf cent quatre-vingt-quinze.