AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / M. Z...,
2 / Mme Z..., née Y..., demeurant ensemble "Le Casseul", Le Val Saint-Père, Avranches (Manche), en cassation d'un arrêt rendu le 1er juillet 1993 par la cour d'appel de Caen (3e chambre), au profit de :
1 / la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Manche, dont le siège est sise avenue de Paris à Saint-Lo (Manche),
2 / M. Z..., demeurant ... (Manche), défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 23 mai 1995, où étaient présents : M. Grégoire, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Thierry, conseiller rapporteur, M. Renard-Payen, conseiller, Mme Le Foyer de Costil, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Thierry, les observations de la SCP Peignot et Garreau, avocat des époux Z..., avocat de M. Z..., les conclusions de Mme Le Foyer de Costil, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, par acte notarié du 3 novembre 1987, les époux Z... ont consenti une donation-partage à leurs quatre fils ;
qu'il était stipulé que les biens donnés seraient frappés d'inaliénabilité durant la vie des donateurs ;
que, désireux de se reconvertir dans le commerce des voitures, M. Z... a demandé à ses parents l'autorisation de vendre une maison d'habitation implantée sur une parcelle qu'il avait reçue au titre de cette donation-partage ;
que cette autorisation a été accordée par acte sous seing-privé du 10 janvier 1990 ;
qu'ultérieurement, les parents ont rétracté leur consentement et refusé la réitération de cet acte en la forme authentique ;
que M. X... a alors saisi le tribunal sur le fondement de l'article 900-1 du Code civil, à l'effet d'être autorisé à vendre la maison litigieuse, en dépit de la clause d'inaliénabilité ;
que l'arrêt attaqué (Caen, 1er juillet 1993) a accueilli sa requête, admis en son principe sa demande accessoire de dommages-intérêts, et sursis à statuer sur leur montant jusqu'à ce que la vente ait été réalisée et les créanciers désintéressés ;
Sur le premier moyen pris en ses deux branches :
Attendu que les époux Z... font grief à l'arrêt d'avoir autorisé leur fils à vendre la maison d'habitation sise à Saint-Ovin et reçue de ses parents en donation-partage, alors, selon le moyen, d'une part, qu'en omettant de répondre aux conclusions d'appel faisant valoir que, non seulement M. Z... avait perçu des sommes importantes à la suite de la vente de son cheptel, mais qu'il était par ailleurs propriétaire d'autres biens qui n'étaient soumis à aucune interdiction d'aliéner, l'arrêt attaqué n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
et alors, d'autre part, que la situation financière de M. Z... résultait de sa seule initiative ;
qu'en s'abstenant de rechercher si, comme le soutenaient les époux Z..., ce dernier n'avait pas contracté un emprunt auprès du Crédit agricole, puis un second emprunt auprès du Crédit industriel de Normandie avant que, placés devant ce fait accompli, ses parents ne lui donnent, le 10 janvier 1990, l'autorisation de vente qu'ils ont rétracté par la suite, la cour d'appel, de nouveau, n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'abord, qu'ayant relevé par motifs adoptés que M. X..., ayant abandonné son exploitation pour se reconvertir dans le commerce de voitures, se trouvait dans l'obligation de rembourser l'emprunt par lui contracté auprès du Crédit agricole dans le cadre de son activité antérieure, sous peine de voir mise en règlement judiciaire la nouvelle entreprise qu'il venait de créer, et ayant retenu que seule la vente de la maison litigieuse lui permettrait d'apurer sa situation financière, la cour d'appel a répondu, en les écartant, aux conclusions invoquées ;
Attendu, ensuite, que sous couvert d'un grief non fondé de manque de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des juges du fond, selon laquelle, cette vente constituait pour M. Z... le seul moyen d'éviter la mise en règlement judiciaire de son entreprise ;
Qu'il s'ensuit que le premier moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Mais sur le second moyen pris en ses deux branches :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que, pour retenir le principe de la responsabilité des époux Z..., l'arrêt attaqué se borne à énoncer que la rétractation de leur autorisation de vendre la maison litigieuse, ainsi que l'appel par eux interjeté du jugement du 24 octobre 1991, ont retardé de plus de trois ans la vente de cette maison ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans relever aucun fait de nature à faire dégénérer en abus le droit d'agir des époux Z..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir la demande de M. Z... fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a retenu le principe de la responsabilité des époux Z..., l'arrêt rendu le 1er juillet 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen autrement composée ;
Rejette la demande de M. Z... formée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Caen, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du quatre juillet mil neuf cent quatre-vingt-quinze.