AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) des Bouches-du-Rhône, dont le siège social est ... (Bouches-du-Rhône), en cassation d'un arrêt rendu le 13 mai 1993 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (11ème chambre civile), au profit de Mme Anne-Marie X..., demeurant 74, avenue A. Mathieu, Mare Nostrum 3, à Sausset-les-Pins (Bouches-du-Rhône), défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 23 mai 1995, où étaient présents : M. Grégoire, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Renard-Payen, conseiller rapporteur, M. Lemontey, conseiller, Mme Le Foyer de Costil, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Renard-Payen, les observations de Me Ryziger, avocat de la CRCAM des Bouches-du-Rhône, de Me Le Prado, avocat de Mme X..., les conclusions de Mme Le Foyer de Costil, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Bouches-du-Rhône, devenu Crédit agricole Alpes-Provence, (la Caisse) fait grief à l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 mai 1993) de l'avoir déclarée responsable pour moitié de l'endettement de Mme X..., à raison des prêts qu'elle a octroyés à cette dernière, alors, selon le moyen, d'une part, que les faits juridiques doivent être prouvés par celui qui en allègue l'existence ;
qu'il en est de l'usage ;
qu'en l'espèce, en énonçant qu'il convient d'examiner la responsabilité du banquier au regard de l'usage reconnu et pratiqué par tout le système bancaire, en matière de prêt aux particuliers, selon lequel l'endettement ne doit pas dépasser le tiers des ressources de l'emprunteur, les juges du fond qui ne relèvent aucun élément de preuve constatant l'existence de cet usage ont violé les articles 1315 du Code civil et 9 du nouveau Code de procédure civile ;
alors enfin, que l'usage conventionnel suppose nécessairement constaté qu'il ait été accepté par toutes les parties contractantes, l'insérant par là -même dans la convention ;
qu'en affirmant l'existence d'un usage reconnu et pratiqué par tout le système bancaire en matière de prêt aux particuliers selon lequel l'endettement ne doit pas dépasser le tiers des ressources de l'emprunteur, sans aucunement constater que ce prétendu usage ait été accepté par Mme X... lors de la conclusion des prêts, les juges du fond ont violé l'article 1135 du Code civil, ensemble les articles 1134 dudit Code et 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que le juge du fond apprécie souverainement l'existence d'un usage, dont il n'est pas tenu de préciser les éléments ni de constater l'intention dans une convention ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que la Caisse fait encore grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, d'une part, que la cour d'appel n'a pas pris en considération, ainsi que le faisait valoir la Caisse, le fait que Mme X... avait volontairement occulté la baisse de ses revenus en vue d'obtenir de nouveaux concours financiers, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
alors d'autre part que les juges du fond doivent caractériser l'existence d'un préjudice ;
qu'en l'espèce, en condamnant la Caisse à supporter la moitié du passif dû par Mme X..., sans préciser le préjudice subi par cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
alors enfin, que la caisse avait fait valoir que Mme X... avait sciemment continué à s'endetter cependant que ses revenus diminuaient plutôt que de se défaire du bien immobilier qu'elle venait d'acquérir ;
qu'en ne recherchant pas si ce fait n'était pas la cause de l'endettement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel, qui a constaté que, dès 1987, les charges mensuelles et Mme X... étaient supérieures au tiers de ses revenus, à une époque où la banque ne lui reprochait pas d'avoir majoré ses ressources, a souverainement constaté que cet organisme lui avait, en connaissance de cause, accordé des crédits excessifs et a pu en déduire qu'il avait agi avec une légèreté blâmable ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel a jugé que la banque devait garder à sa charge la moitié de la créance de Mme X..., dont elle a chiffré le montant dans son dispositif ;
Attendu, enfin, que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à l'argument pris du refus par Mme X... de se défaire d'un bien immobilier ;
D'où il suit que le moyen non fondé en sa première branche, manque en fait dans la deuxième et est inopérant dans la troisième ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la CRCAM des Bouches-du-Rhône à une amende civile de 10 000 francs, envers le Trésor public ;
la condamne, envers M. le trésorier-payeur général, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du quatre juillet mil neuf cent quatre-vingt-quinze.