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04/07/1995 | FRANCE | N°93-16355

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 04 juillet 1995, 93-16355


Statuant sur les pourvois principal et incident :

Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué, que la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), titulaire de la marque Orient-Express dont le dépôt effectué, le 7 septembre 1977, a été enregistré sous le numéro 1.027.854 et renouvelé, le 2 décembre 1987, pour désigner dans les classes 12, 39 et 42, les transports, l'hôtellerie et la restauration, en a concédé, en 1982, la licence d'exploitation aux sociétés Venice Simplon Orient Express Ltd et Venice Simplon Orient Express Inc (société VSOE) ; que

celles-ci ont déposé la marque Orient-Express, le 16 mai 1979, dépôt enregis...

Statuant sur les pourvois principal et incident :

Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué, que la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), titulaire de la marque Orient-Express dont le dépôt effectué, le 7 septembre 1977, a été enregistré sous le numéro 1.027.854 et renouvelé, le 2 décembre 1987, pour désigner dans les classes 12, 39 et 42, les transports, l'hôtellerie et la restauration, en a concédé, en 1982, la licence d'exploitation aux sociétés Venice Simplon Orient Express Ltd et Venice Simplon Orient Express Inc (société VSOE) ; que celles-ci ont déposé la marque Orient-Express, le 16 mai 1979, dépôt enregistré sous le numéro 1.202.539, le 17 septembre 1981, dépôt enregistré sous le numéro 1.199.061, le 1er décembre 1981, dépôt enregistré sous le numéro 1.202.539, le 6 décembre 1983, dépôt enregistré sous le numéro 1.253.279 pour la totalité des classes de la nomenclature internationale et le 20 mars 1984, dépôt enregistré sous le numéro 1.265.811 pour désigner les produits et les services dans la classe 33 ; que la SNCF a assigné, en annulation de leurs dépôts, ces sociétés qui ont demandé l'annulation du dépôt de la marque dont se prévaut la SNCF ; que les sociétés Sealink Ltd, devenue la société SEA Containers (société SEA) et la société Intraflug sont volontairement intervenues à l'instance, la première s'associant à la société VSOE pour demander l'annulation de la marque de la SNCF, la seconde demandant l'annulation du contrat de licence et le remboursement des redevances ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal pris en ses deux branches :

Attendu que les sociétés VSOE, Intraflug et SEA font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande en annulation, pour fraude, de la marque enregistrée sous les numéros 1.027.854 alors, selon le pourvoi, d'une part, que, dans ses conclusions de première instance, la SNCF avait elle-même reconnu avoir eu connaissance, antérieurement au dépôt de la marque Orient Express effectué le 7 septembre 1977, du projet d'exploitation d'un nouveau train Orient Express à l'initiative de M. Sherwood, président de la société SEA ; que la SNCF s'était bornée à alléguer qu'un projet n'est pas constitutif du caractère frauduleux d'un dépôt ; qu'il y avait donc là un véritable aveu judiciaire portant sur un point de fait, liant le juge ; qu'ainsi en affirmant qu'il n'était pas établi que la SNCF ait su que M. Sherwood entendait " ressusciter" un train Orient Express, la cour d'appel a modifié les termes du litige et violé les articles 4 et 7 du nouveau Code de procédure civile et 1356 du Code civil ; et alors, d'autre part, que celui qui dépose un signe comme marque en sachant qu'un tiers forme le projet d'utiliser ce même signe comme marque agit frauduleusement ; que ce dépôt frauduleux est nul ; qu'en refusant d'annuler le dépôt de la marque Orient Express effectué par la SNCF le 7 septembre 1977 en parfaite connaissance du projet qu'avait la société VSOE d'exploiter à nouveau un train Orient Express, la cour d'appel a violé l'article 4 de la loi du 31 décembre 1964 ;

Mais attendu, d'une part, qu'il n'apparaît ni de l'arrêt ni des conclusions des sociétés VSOE, Intraflug et SEA que le moyen tiré de l'aveu judiciaire par la SNCF de la connaissance d'un projet d'exploitation d'un nouveau train Orient Express, contenu dans les conclusions de cette société devant le tribunal de grande instance, ait été soulevé devant la cour d'appel ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait ;

Attendu, d'autre part, que la cour d'appel, qui retient que la preuve n'est pas rapportée que la SNCF ait su que M. Sherwood entendait recréer le train Orient Express, a, par l'appréciation souveraine des preuves, décidé qu'il n'a pas été démontré que la SNCF ait eu connaissance, à la date du dépôt de sa marque, d'un projet tendant à remettre en service un train portant la dénomination Orient-Express ni qu'elle n'ait déposé la marque que dans l'intention d'interdire l'usage de cette dénomination à des tiers ;

D'où il suit que le moyen irrecevable en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal :

Attendu que les sociétés VSOE, Intraflug et SEA font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande en annulation, en raison de son caractère usuel, générique et descriptif, de la marque enregistrée sous les numéros 1.027.854 alors, selon le pourvoi, qu'on ne peut se prévaloir du dépôt d'une marque devenue, dès avant son dépôt, une dénomination générique à partir du moment où son usage a abouti dans l'esprit d'une notable partie du public concernée à la création d'un concept automatiquement lié par celui-ci à cet ensemble verbal ; qu'en se contentant de dénier tout caractère usuel ou descriptif à la marque Orient Express sans rechercher, ainsi qu'elle y était justifiée par leurs écritures d'appel, si la dénomination Orient Express ne désignait pas pour le public concerné, au jour du dépôt de la marque, un type ou un genre de train particulier, celui d'un train de luxe dont le nom est attaché à de nombreuses oeuvres littéraires ou cinématographiques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1 et 3 de la loi du 31 décembre 1964 ;

Mais attendu que l'arrêt, après avoir constaté que la marque litigieuse a été déposée par la SNCF pour désigner les produits ou les services de transport, d'hôtellerie, de restauration et de tourisme, retient que les clients et les professionnels ne désignent pas ces produits et ces services par l'expression Orient Express et que, pour désigner un train, l'expression " train Express d'Orient " a été utilisée par un traité de 1883 ; que la cour d'appel qui a déduit de ces constatations et appréciations, que le signe Orient Express est arbitraire pour les produits et les services protégés par la marque a donc procédé à la recherche prétendument omise ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal : (sans intérêt) ;

Sur le quatrième moyen du pourvoi principal :

Attendu que les sociétés VSOE font grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'en déposant et en exploitant des marques incluant les termes Orient-Express pour des produits et des services non compris dans le dépôt effectué par la SNCF pour sa propre marque avaient eu un comportement parasitaire alors, selon le pourvoi, qu'en matière de marque notoire ne constitue un agissement parasitaire que le dépôt ou l'utilisation d'une marque par un tiers susceptible soit de créer une confusion soit de porter atteinte au caractère distinctif ou attractif d'une marque précédemment déposée en l'affaiblissant ; qu'en l'espèce n'a pas commis d'agissements parasitaires la société VSOE qui ayant obtenu de la SNCF, après que celle-ci ait déposé la marque notoire Orient Express dans des conditions critiquées, l'autorisation de l'utiliser dans l'expression correspondant à son propre nom commercial, dont l'usage était préexistant à cette utilisation, procède au dépôt reconnu valable et dépourvu de toute fraude de la marque Venice Simplon Orient Express dans des classes différentes et pour des produits de luxe qu'elle commercialise sous ce nom ou signe qui ne sont ni similaires ni comparables à ceux ayant fait l'objet du dépôt initial par la SNCF ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui constate que la société VSOE bénéficiait de contrat de licence d'exploitation de la marque Orient Express pour des produits et services limitativement énumérés, a pu décider que le fait pour le licencié de déposer la même marque pour des services et produits non protégés tendait à lui permettre de bénéficier ainsi de la renommée du titre et constituait un agissement parasitaire ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le cinquième moyen pris en ses trois branches du pourvoi principal :

Attendu que les sociétés VSOE, Intraflug et SEA font grief à l'arrêt de les avoir condamnées au paiement des redevances, après avoir déclaré valables les contrats de traction et de licence conclus entre la SNCF et elles-mêmes alors, selon le pourvoi, d'une part qu'une société en situation de monopole ne peut subordonner des contrats relevant de son objet commercial à l'acceptation par l'autre partie contractante d'obligations supplémentaires qui ne sont pas liées directement au contrat principal ; qu'en estimant que la SNCF qui détient le monopole de traction sur le réseau ferroviaire public en France pouvait subordonner les contrats de traction au bénéfice de VSOE ou de la société Intraflug à l'acceptation par ces dernières de contrats de concession de licence d'une marque assortis du paiement de redevances très élevées dont le montant est fixé à un pourcentage même des sommes payées pour le contrat de traction ou sur le chiffre d'affaires réalisé et qu'ainsi la SNCF n'aurait commis aucun abus de position dominante, la cour d'appel a violé l'article 86 du Traité de Rome de même que l'article 8-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d'autre part, qu'en toute hypothèse, en ne recherchant pas si en subordonnant la conclusion de contrats de traction à l'acceptation par la société VSOE d'un contrat de licence d'exploitation de la marque Orient Express lui interdisant d'utiliser cette marque dans toutes autres classes que celles où elle avait fait l'objet d'un dépôt et encore dans la seule expression Venice Simplon Orient Express, la SNCF n'avait pas abusé de sa position dominante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 86 du Traité de Rome et de l'article 8-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, enfin, qu'aux termes de l'article 86 du Traité de Rome les restrictions à la libre circulation des marchandises et des services ne peuvent être justifiées que pour des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale ; qu'en l'espèce les sociétés VSOE et Intraflug avaient souligné dans leurs écritures d'appel que les licences d'exploitation de la marque Orient Express qui leur avaient été concédées par la SNCF avaient été assorties du paiement de très importantes redevances dès que leur exploitation avait été bien lancée et profitable ; que le défaut de paiement des redevances exigées était notamment justifié par l'importance des sommes réclamées qui était telle qu'elle revenait à les empêcher d'exploiter librement leur train en Europe ; qu'ainsi en ne recherchant pas si le fait par la SNCF, entreprise publique ayant le monopole de la traction ferroviaire, de leur imposer, après leur avoir concédé une licence d'exploitation de la marque Orient Express, le paiement de redevances très élevées ne constituait pas une restriction à la libre circulation des trains Orient Express en Europe comme telle contraire à l'article 36 du Traité de Rome, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la disposition précitée ;

Mais attendu que la cour d'appel, après avoir rappelé que si la SNCF dispose, exclusivement en France, d'un monopole d'exploitation du réseau ferroviaire, elle possède également un droit absolu sur le signe Orient Express, et avoir énoncé que dès lors qu'un particulier souhaitait utiliser le signe protégé pour l'exploitation d'un train de luxe dénommé Venice Simplon Express Orient ou d'un bateau portant le même nom, cet usage devait être réglementé et donner lieu au paiement d'une redevance, dont elle relève que le calcul effectué sur la base des redevances antérieurement réglées " n'est pas en lui-même contesté ", a pu, à partir de ces constatations et appréciations, après avoir effectué la recherche relative à une prétendue obligation de contracter imposée par la SNCF et sans avoir à procéder à la recherche, qui ne lui avait pas été demandée relative au montant excessif des redevances, décider, que la SNCF, qui n'a pas refusé de tracter les trains de l'exploitant dans l'hypothèse où ce dernier aurait refusé de conclure ce contrat, n'avait fait qu'exercer un droit légitime, attaché à la marque, en cédant temporairement l'usage de celle-ci moyennant le paiement d'une redevance, ce dont il résultait qu'elle n'avait pas abusé d'une position dominante et n'avait pas apporté de restriction à la libre circulation des marchandises ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le pourvoi incident :

Vu l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 4 de la loi du 31 décembre 1964 ;

Attendu que, pour rejeter la demande de la SNCF tendant à l'annulation des marques déposées par la société VSOE l'arrêt, après avoir énoncé qu'une marque notoire n'échappe pas au principe de la spécialité qui autorise des tiers à déposer valablement la marque pour des produits non identiques ou non similaires, retient qu'en déposant les marques litigieuses pour des produits et services non protégées par le dépôt effectué par la SNCF, la société VSOE n'a pas abusé de son droit d'acquérir un titre de propriété industrielle ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle retenait que la société VSOE, en déposant les marques litigieuses, avait cherché à tirer profit de la marque dont la licence lui avait été concédée et avait eu, ainsi, un comportement parasitaire, ce dont il résultait que le dépôt des marques litigieuses avait été effectué en fraude des droits du concédant, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de la SNCF tendant à l'annulation du dépôt des marques enregistrées sous les numéros 1.097.175, 1.199.061, 1.202.539, 1.253.279 et 1.265.811, l'arrêt rendu le 10 mars 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 93-16355
Date de la décision : 04/07/1995
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

1° MARQUE DE FABRIQUE - Dépôt - Annulation - Cause - Fraude - Connaissance d'un projet - Preuve - Appréciation souveraine.

1° Ayant retenu que la preuve n'est pas rapportée que le déposant ait su qu'un tiers entendait recréer le train Orient-Express, une cour d'appel a, par l'appréciation souveraine des preuves, décidé qu'il n'a pas été démontré que le déposant ait eu connaissance, à la date du dépôt de sa marque, d'un projet tendant à mettre en service un train portant la dénomination Orient-Express ni qu'il n'ait déposé la marque que dans l'intention d'interdire l'usage de cette dénomination à des tiers.

2° MARQUE DE FABRIQUE - Protection - Conditions - Caractère de fantaisie et d'originalité - Signe arbitraire pour les produits et services protégés.

2° MARQUE DE FABRIQUE - Objet - Produits ou services de transport Orient Express.

2° Ayant constaté que la marque Orient-Express avait été déposée pour les produits ou les services de transport, d'hôtellerie, de restauration et de tourisme, et retenu que les clients et les professionnels ne désignent pas ces produits et ces services par l'expression déposée à titre de marque et que, pour désigner un train, l'expression " train Orient-Express " a été utilisée par un traité de 1883, une cour d'appel en déduit que le signe Orient-Express est arbitraire pour les produits et les services protégés par la marque.

3° MARQUE DE FABRIQUE - Dépôt - Licencié - Même marque - Produits et services non protégés - But de bénéfice de la marque concédée - Effets - Agissement parasitaire.

3° Une cour d'appel a pu décider que le fait pour le titulaire d'un contrat de licence d'exploitation de marque de déposer la même marque pour des services et produits non protégés tendait à lui permettre de bénéficier ainsi de la renommée du titre et constituait un agissement parasitaire.

4° MARQUE DE FABRIQUE - Dépôt - Annulation - Cause - Fraude des droits du concédant de la marque.

4° Viole l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 4 de la loi du 31 décembre 1964 la cour d'appel qui, pour rejeter la demande du titulaire de la marque en annulation des marques déposées par son licencié, énonce qu'une marque notoire n'échappe pas au principe de la spécialité qui autorise des tiers à déposer valablement la marque pour des produits non identiques ou non similaires et retient que le licencié n'a pas abusé ainsi de son droit d'acquérir un titre de propriété industrielle, alors qu'elle retenait que le licencié, en déposant les marques, avait cherché à tirer profit de la marque dont la licence lui avait été concédée et avait eu ainsi un comportement parasitaire, ce dont il résultait que le dépôt des marques par le licencié avait été effectué en fraude des droits du concédant.


Références :

4° :
4° :
Code civil 1382
Loi 64-1360 du 31 décembre 1964

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 10 mars 1993


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 04 jui. 1995, pourvoi n°93-16355, Bull. civ. 1995 IV N° 205 p. 190
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 1995 IV N° 205 p. 190

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Bézard .
Avocat général : Avocat général : M. de Gouttes.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Gomez.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Gatineau, M. Odent.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1995:93.16355
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