AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société anonyme Bata, dont le siège est à Moussey (Moselle), en cassation d'un arrêt rendu le 19 novembre 1992 par la cour d'appel de Caen (1ère chambre civile et commerciale), au profit de M. Georges Y..., demeurant ..., défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt :
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 15 mai 1995, où étaient présents : M. de Bouillane de Lacoste, président, Mme Lescure, conseiller rapporteur, M. Fouret, conseiller, M. Gaunet, avocat général, Mme Lefort, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Lescure, les observations de la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde, avocat de la société Bata, de la SCP Boré et Xavier, avocat de M. Y..., les conclusions de M. Gaunet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique pris en ses deux branches :
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, suivant acte sous seing privé du 1er février 1984, la société Bata a cédé à Mme de Meyer un droit au bail sur des locaux à usage d'habitation et de commerce ;
que cette cession a été régularisée, le 23 mars 1984, par acte authentique reçu par M. Y..., notaire ;
que la mention suivante a été portée à l'acte, sous le titre "occupation précaire" :
"le cédant s'oblige à faire son affaire personnelle de la libération des locaux occupés par un tiers ... de façon à ce que le cessionnaire ne soit jamais inquiété ni recherché à ce sujet et puisse prendre possession desdits locaux au plus tard le 31 mars 1984" ;
qu'à cette date, néanmoins, les locaux n'ont pas été libérés par l'occupant, M. X... ;
que Mme de Meyer a assigné la société Bata en exécution de son engagement, ainsi qu'en réparation du préjudice par elle subi ;
que la société Bata a, dans le même temps, engagé une procédure en expulsion contre M. X..., procédure dont elle a été déboutée, la juridiction ayant décidé que M. X... bénéficiait d'une sous-location commerciale ;
que la société Bata a formé contre M. Y... une action en responsabilité ;
Attendu que cette société fait grief à l'arrêt attaqué (Caen, 19 novembre 1992) d'avoir rejeté son action, alors, selon le moyen, de première part, que, tenu en sa qualité de rédacteur d'un acte authentique d'éclairer les parties sur la portée et les conséquences de leurs engagements et de prendre toutes dispositions utiles pour en assurer l'efficacité eu égard au but poursuivi par celles-ci, le notaire a l'obligation de vérifier l'exactitude de la qualification juridique des informations qui lui sont données par ses clients ;
qu'en considérant que le notaire, qui avait inséré dans l'acte de cession de bail une clause mettant à la charge de la cédante, sous le titre "occupation précaire", toutes les conséquences d'un éventuel maintien dans les lieux de l'occupant, n'avait pas à vérifier l'exactitude des informations qu'elle lui avait données quant à la nature juridique de cette occupation, ni à s'assurer que l'occupant ne bénéficiait pas du statut des baux commerciaux en qualité de sous-locataire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
alors, d'autre part, que le notaire n'est dispensé de tout devoir de conseil que dans l'hypothèse où son client est un professionnel avisé, apte à mesurer la parfaite exactitude et la portée juridique des informations données ;
qu'en décidant qu'il ne pouvait être reproché à M. Y... de ne pas avoir vérifié si l'occupant bénéficiait bien d'une convention d'occupation précaire sans rechercher si le salarié du service location de la société Bata, qui la représentait à l'acte, pouvait être considéré comme un professionnel avisé de la négocation des baux commerciaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a constaté que l'engagement de libérer les lieux, souscrit par le représentant du service location de la société Bata, émanait "d'une personne particulièrement compétente dans le domaine locatif d'une importante société commerciale" ;
qu'elle a ensuite relevé que la société Bata n'avait pas allégué avoir informé M. Y... de la correspondance échangée entre son représentant et M. X... au cours des années 1978 à 1983, correspondance sur laquelle le Tribunal s'était fondé pour retenir l'existence d'une sous-location commerciale au profit de ce dernier, et énoncé que, dans ces conditions, il ne pouvait être reproché à ce notaire de n'avoir pas suspecté la déclaration de sa cliente sur la nature de ses relations avec M. X... qu'elle lui avait volontairement dissimulée ;
qu'en l'état de ces constatations et énonciations, elle a pu déduire l'absence de manquement de l'officier public à son devoir de conseil ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Attendu que le pourvoi revêt un caractère abusif ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Bata à une amende civile de 20 000 francs, envers le Trésor public ;
la condamne, envers M. Z..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-sept juin mil neuf cent quatre-vingt-quinze.