AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le huit juin mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller JOLY, les observations de Me BLONDEL et de Me de CHAISEMARTIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Y... Jacques, contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de PARIS en date du 30 mai 1994, qui l'a renvoyé devant le tribunal correctionnel sous la prévention d'abus de confiance et d'ingérence ;
Vu l'arrêt de la chambre criminelle du 10 janvier 1990 portant désignation de juridiction ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 406, 408 ancien du Code pénal, 314-1 du nouveau Code pénal, 19 de la loi n 90-55 du 15 janvier 1990, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Jacques Y... devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir, courant 1989, détourné ou dissipé au préjudice de l'association Tamarii Pare Arue des fonds qui ne lui avaient été remis qu'à titre de mandat à charge pour lui de les rendre ou de les représenter ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé ;
"aux motifs que le 9 septembre 1988, l'association dénommée Tamarii Pare Arue a été constituée ;
que selon les statuts, les opérations bancaires sur le budget de l'association devaient être obligatoirement revêtues des signatures conjointes du trésorier ou de son suppléant et de celle du président ou du vice-président ;
que le demandeur, le maire en exercice, était élu président d'honneur, Guy Y..., son demi-frère, était élu président et Marcel A..., demi-frère des deux précédents et chef de cabinet du maire était élu trésorier ;
par délibération du 12 octobre 1988, la commune attribuait à l'association une subvention de 25 millions de francs CFP que les seize chèques ont tous été signés par Guy Y... et Marcel A..., Filo Z... a déclaré que A..., directeur de cabinet du maire, lui avait d'abord refusé mais A... lui ayant dit que c'était un ordre du maire, il avait obtempéré de peur de perdre son emploi à la mairie (CA 62) ;
que c'est A... qui, à chaque fois, lui apportait les chèques à signer et aucune explication ne lui avait été donnée sur la destination des fonds ; qu'il ignorait, disait-il, que des employés de mairie allaient ensuite chercher l'argent en liquide à la banque et le remettaient à A... ;
qu'en ce qui concerne le financement du parti politique Tahoeraa, la preuve n'est pas suffisamment rapportée sur la réalité de l'affectation de ces fonds au fonctionnement du parti politique Tahoeraa ;
qu'en conséquence, l'utilisation de cette somme de 2 millions de francs CFP constitue un abus de confiance qui ne saurait bénéficier des dispositions de la loi d'amnistie du 15 janvier 1990, portant sur les infractions antérieures au 15 juin 1989, en relation avec le financement d'un parti politique ;
qu'en ce qui concerne les frais avancés pour le compte de la commune d'Arue portant sur une somme de 7 612 962 francs CFP, il apparaît que la majorité de ces dépenses n'entre pas dans l'objet de l'association tels la prise en charge d'un voyage du personnel de la mairie à hauteur de 3 619 166 francs CFP, l'achat de matériel informatique, à hauteur de 495 616 francs et de nombreuses avances pour la mairie ;
d'autres dépenses ne sont pas justifiées ; qu'en ce qui concerne les dépenses entrant dans l'objet de l'association évaluées à 5 640 183 francs, certaines dépenses s'analysant en différentes aides sociales et achat de matériel informatique, apparaissent étrangères au but de l'association ;
que le demandeur admet ne pouvoir justifier de l'affectation de 3 461 000 francs CFP de dépenses, et ce en raison de l'absence de tenue de comptabilité ;
qu'il résulte donc de l'information que la majeure partie du budget de l'association a été utilisée à des fins étrangères à son objet social, soit au profit personnel du maire (voyages, campagne électorale), soit au profit de tiers, ("aides sociales diverses"), soit à des fins inconnues que les personnes mises en examen, responsables de l'association et mandataires de celle-ci pour la gestion de ses fonds, sont incapables de justifier ;
qu'en ce qui concerne Jacques Y..., il est manifeste qu'il était le créateur réel de l'association et son dirigeant de fait et que A..., son chef de cabinet, n'a pu agir que sur ses instructions, les fonds détournés lui ayant essentiellement profité, ainsi qu'à la municipalité dont il était le maire ;
"alors que, d'une part, pour être délictueux, l'abus de confiance suppose un détournement accompli avec intention frauduleuse en exécution de l'un des contrats énumérés à l'article 408 ancien du Code pénal ;
qu'en l'espèce, le demandeur faisait valoir dans un chef péremptoire de son mémoire auquel la chambre d'accusation a omis de répondre qu'il n'exerçait aucune fonction au sein de l'association dont il n'était que le président d'honneur ;
qu'il n'était pas tenu d'exercer un contrôle sur la tenue de la comptabilité ni même sur la préservation des pièces justificatives des dépenses engagées par l'association ;
qu'ainsi le demandeur n'a pu commettre aucun détournement en l'absence de tout élément intentionnel et en l'absence de l'un des contrats visés par l'article 408 du Code pénal ;
qu'ainsi, l'arrêt de la chambre d'accusation ne satisfait pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale ;
"alors que, d'autre part, les faits constitutifs du délit d'abus de confiance entrent dans les prévisions de la loi d'amnistie du 15 janvier 1990 ; qu'en l'espèce, en ce qui concerne la somme de 2 millions de francs CFP ayant servi au financement du parti politique Tahoeraa, le demandeur a toujours soutenu que cette somme correspondait à un salaire mensuel de 250 000 francs versés à Mme Illona X... du mois d'août 1988 au mois de mars 1989 pour ses fonctions de secrétaire au parti Tahoeraa ;
que la seule circonstance qu'aucune fiche de paie n'ait été fournie n'implique aucunement que les fonds litigieux n'aient pas servi au financement direct ou indirect du parti politique Tahoeraa et n'établit pas le détournement ;
que les faits incriminés entrent dans les prévisions de la loi d'amnistie ;
que pour en avoir autrement décidé, l'arrêt ne satisfait pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale ;
"et alors enfin qu'en ce qui concerne les frais avancés pour le compte de la commune d'Arue concernant la somme de 7 612 francs CFP, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que les dépenses ont été engagées pour assurer les frais de mission et transport du maire et de certains conseillers, l'achat de matériel informatique, des aides sociales, la construction des locaux de la brigade de police municipale d'Arue ;
que, par suite, la chambre d'accusation n'a pu, sans se contredire, retenir tout à la fois que les frais engagés par l'association n'étaient pas destinés au demandeur et imputer à celui-ci un détournement" ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 175 ancien du Code pénal, 432-12 du nouveau Code pénal, 19 de la loi n 90-55 du 15 janvier 1990, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Jacques Y... devant le tribunal correctionnel pour avoir, courant 1989, en sa qualité de maire de la commune d'Arue, reçu un intérêt personnel dans la répartition de la subvention allouée par la commune à l'association Tamarii Pare Arue dont il avait l'administration et la surveillance, en bénéficiant d'une partie de cette subvention dans la prise en charge de sa campagne électorale ;
"aux motifs que la somme de 6 126 854 francs aurait été prélevée sur le compte de l'association et utilisée dans le cadre de la campagne menée pour le maire sortant qui n'était autre que Jacques Y..., le président d'honneur de l'association ;
qu'il résulte des documents fournis et des éléments du dossier la justification, notamment au moyen de factures, de dépenses engagées pour l'acquisition de tee-shirts, casquettes, l'impression de bulletins électoraux, de frais de photographie ainsi que de frais divers pouvant entrer dans le cadre de la campagne électorale, à hauteur de la somme indiquée par le conseil de Jacques Y... ; que toutefois, si ces faits, constitutifs du délit d'abus de confiance, sont susceptibles de bénéficier de la loi d'amnistie du 15 janvier 1990, il n'en est pas de même du délit d'ingérence dont les éléments constitutifs apparaissent réunis à l'égard de Jacques Y... ;
qu'en effet il résulte des éléments du dossier que Jacques Y... était maire de la commune d'Arue, lorsque le conseil municipal a, d'une part, voté la création de l'association et a, d'autre part, voté l'attribution à cette association d'une subvention de 15 millions de francs CFP, Y... a participé à ces deux délibérations ; que cette association était sous l'administration et la surveillance de Jacques Y..., en sa qualité de maire, l'intéressé étant par ailleurs à la fois président d'honneur et membre de droit du conseil d'administration de l'association, au sein duquel la commune était représentée en vertu des statuts (articles 22 et 23) ; que tout en ayant ces pouvoirs d'administration et de surveillance à l'égard de cette association, Jacques Y... a bénéficié, sur la subvention allouée à l'association, d'importantes sommes qui ont été utilisées pour financer sa campagne électorale personnelle en tant que candidat au poste de maire ;
qu'il a ainsi reçu un intérêt personnel dans une entreprise dont il avait l'administration et la surveillance en tant que maire de la commune d'Arue ;
"alors que le délit d'ingérence, exclut de la loi d'amnistie du 15 janvier 1990, suppose de la part du maire d'une commune, une prise d'intérêt dans une affaire dont il avait la surveillance ;
qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que le demandeur n'était que le président d'honneur de l'association, qu'il n'exerçait ni l'administration, ni la surveillance de l'association ;
que s'il a bénéficié d'importantes sommes sur la subvention allouée à l'association, sommes qui ont été utilisées pour financer la campagne électorale personnelle, les faits peuvent constituer un abus de confiance entrant dans les prévisions de la loi d'amnistie, mais ne relèvent aucunement du délit d'ingérence prévu par l'article 175 ancien du Code pénal ;
que, par suite, l'arrêt qui s'appui sur des considérations erronées, vagues et imprécises, ne satisfait pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les moyens reviennent à critiquer les énonciations de l'arrêt relatives aux charges que la chambre d'accusation a retenues contre le prévenu et à la qualification qu'elle a donnée aux faits poursuivis ; que, ces énonciations ne contenant aucune disposition définitive que le tribunal n'aurait pas le pouvoir de modifier, de tels moyens sont irrecevables en application de l'article 574 du Code de procédure pénale ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Milleville conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Joly conseiller rapporteur, MM. Guerder, Pinsseau, Pibouleau conseillers de la chambre, Mmes Batut, Fossaert-Sabatier conseillers référendaires, M. Galand avocat général, Mme Ely greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
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