AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Francis Y..., demeurant chez Mme Nathalie X..., Résidence Simbats II, entrée 7, appartement 125, à Blanquefort (Gironde), en cassation d'un arrêt rendu le 23 janvier 1992 par la cour d'appel de Bordeaux (2e Chambre), au profit de M. Alain Z..., demeurant ... (Gironde), défendeur à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 14 mars 1995, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Nicot, conseiller rapporteur, M. Vigneron, conseiller, Mme Piniot, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Nicot, les observations de Me Garaud, avocat de M. Y..., de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. Z..., les conclusions de Mme Piniot, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué, que M. Y... a vendu à M. Z... le chalutier "Lys de Mer" qu'il avait lui-même utilisé auparavant pour les besoins de son activité professionnelle de pêcheur ;
qu'ayant constaté des défectuosités dans le fonctionnement du navire, et au vu des conclusions du rapport de l'expertise judiciaire qu'il avait demandée, selon lesquelles des vices cachés existaient au moment de la vente et rendaient le navire impropre à la pêche, M. Z... a assigné M. Y... en diminution du prix de vente ainsi qu'en dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. Y... reproche à l'arrêt de l'avoir condamné à rembourser à M. Z... les travaux de remise en état du chalutier vendu, alors, selon le pourvoi, que l'acte de vente du chalutier en date du 8 septembre 1988 était conclu entre lui-même, pêcheur propriétaire du chalutier, et M. Z..., pêcheur ;
que cet acte avait pour objet un chalutier d'occasion de dix-huit ans, étant précisé que l'Administration avait délivré le certificat de navigabilité, d'où il suit qu'en déclarant responsable de plein droit le vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés, sans constater qu'il s'agissait d'un vendeur professionnel, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1641 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le navire avait été vendu d'occasion -circonstance qui ne soustrait pas le vendeur à la garantie des vices cachés-, après avoir constaté que M. Z... avait renoncé à sa demande d'échouage du navire pour examiner la coque, au vu des certificats de l'inscription maritime et sur l'affirmation de la femme du vendeur selon laquelle la coque était saine, puis après avoir estimé, en outre, qu'en réalité, les vérifications de l'inscription maritime ne portaient pas sur les points exigeant un examen minutieux de l'état du navire et sur lesquels les vices avaient été décelés par l'expert, l'arrêt retient que le vendeur était tenu de ces vices cachés ;
qu'au vu de ces constatations et appréciations, la cour d'appel n'avait pas à procéder à d'autres recherches, notamment sur le point de savoir si le vendeur était vendeur professionnel, ce que n'impliquait pas la profession de pêcheur, puisque tout vendeur, conformément à l'article 1643 du Code civil, est tenu des vices cachés même s'il ne les a pas connus ;
que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que M. Y... fait en outre le même grief à l'arrêt, alors, selon le pourvoi, que, s'agissant de la vente d'un chalutier d'occasion par un pêcheur à un autre pêcheur, la cour d'appel ne pouvait pas condamner le vendeur à payer les travaux préconisés par l'expert sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions, si les défectuosités constatées n'étaient pas dues à la vétusté normale du chalutier, qui avait navigué dix-huit ans ;
d'où il suit qu'elle n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1641 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le navire avait été vendu d'occasion, l'arrêt procède à l'analyse de chacun des vices constatés par l'expert, à savoir les défectuosités d'un cylindre, le manque d'étanchéité de la coque par suite d'un défaut de calfatage, ainsi que la défectuosité d'une partie de l'installation électrique ;
que, par les constatations et appréciations qu'elle a ainsi faites, la cour d'appel a distingué les vices affectant le navire par rapport à la vétusté normale ;
qu'elle n'avait donc pas à procéder à de plus amples recherches ;
que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu l'article 1645 du Code civil ;
Attendu que, selon ce texte, c'est s'il connaissait les vices de la chose que le vendeur est tenu de tous les dommages-intérêts envers l'acheteur ;
Attendu que, pour condamner le vendeur du navire à payer des dommages-intérêts à l'acheteur, l'arrêt retient qu'il devait réparer le préjudice occasionné par l'immobilisation de ce navire ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il n'était pas allégué que M. Y... connaissait les vices de la chose, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné M. Y... à payer à M. Z... la somme de cinquante mille francs à titre de dommages-intérêts "toutes causes de préjudice confondues", l'arrêt rendu le 23 janvier 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Condamne M. Z..., envers M. Y..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Bordeaux, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du seize mai mil neuf cent quatre-vingt-quinze.