AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
I - Sur le pourvoi n° P 92-11.006 formé par Mme B..., Félicité Sinephro, épouse A..., demeurant ... ;
Par conclusions déposées au greffe le 8 septembre 1994 :
1 / Mme D..., Candide A..., épouse Christine, demeurant à Fort-de-France (Martinique), 2,500 Km, route de Redoute,
2 / Mlle Carmen A..., demeurant à Fort-de-France (Martinique), 3,500 Km, route de Redoute,
3 / Mlle F..., Josiane A..., demeurant à Fort-de-France (Martinique), 3,500 Km, route de Redoute,
4 / Mlle Z..., Nicaise A..., demeurant à Carrière-sous-Poissy (Yvelines), 32, place des Fleurs, ont déclaré reprendre l'instance, en qualité d'héritières de Mme G..., épouse A..., décédée le 18 août 1994, en cassation d'un arrêt rendu le 6 décembre 1991 par la cour d'appel de Fort-de-France (1re chambre), au profit :
1 / de M. Marie-Catherine, Jude H..., demeurant à Fort-de-France (Martinique), Sainte-Catherine, lotissement Monplaisir,
2 / de Mme Jeanne C..., demeurant à Noyant (Maine-et-Loire), La Pellerine,
3 / de Mme Anne-Marie Y..., demeurant à Montauban (Tarn-et-Garonne), ...,
4 / de M. Gérard Y..., demeurant à Noyant (Maine-et-Loire), La Pellerine,
5 / de la Banque française commerciale (BFC), dont le siège est ..., prise en la personne de ses représentants légaux y domiciliés en cette qualité,
6 / de M. Jean-Pierre Y..., demeurant à Montauban (Tarn-et-Garonne), ..., défendeurs à la cassation ;
II - Sur le pourvoi n° X 92-13.107 formé par M. Marie-Catherine, Jude H..., en cassation du même arrêt, rendu au profit :
1 / de Mme B..., Félicité Sinephro,
2 / de Mme Jeanne, Andrée C...,
3 / de Mme X..., Maxime, Amélida Y...,
4 / de M. Jean-Pierre, Ernest Y...,
5 / de M. Gérard, Philippe Y..., défendeurs à la cassation ;
Sur le pourvoi n° P 92-11.006 :
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Sur le pourvoi n° X 92-13.107 :
Le demandeur invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation, également annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 6 décembre 1994, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Boscheron, conseiller rapporteur, MM. Douvreleur, Peyre, Mme Giannotti, MM. Aydalot, Toitot, Mmes Di Marino, Borra, M. Bourrelly, conseillers, MM. Chollet, Pronier, conseillers référendaires, M. Sodini, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Boscheron, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat des consorts A..., de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. H..., de Me Blondel, avocat de Mme C... et des consorts Y..., les conclusions de M. Sodini, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Joint les pourvois n° s P 92-11.006 et X 92-13.107 ;
Sur les premier et second moyens des pourvois n P 92-11.006 et X 92-13.107, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 6 décembre 1992), statuant en référé, que, par acte notarié du 16 mars 1979, M. Y..., aux droits duquel se trouvent ses héritiers, les consorts Y..., a consenti à M. H... un bail sur des locaux à usage commercial, étant précisé que le preneur ne pourrait céder son droit au bail sans le consentement exprès du bailleur qu'à un successeur dans le fonds de commerce de pharmacie ;
que M. H... a obtenu des quatre héritiers indivisaires l'autorisation de céder le bail à Mme E... avec possibilité, pour cette dernière, d'exploiter tout commerce ; que cependant, le bail a été cédé par acte du 7 et 8 mars 1985 à Mme A..., aux droits de laquelle se trouvent les consorts A..., et que, les 5 et 25 janvier 1988, l'un des indivisaires, M. Jean-Pierre Y..., a adressé des courriers à Mme A... valant ratification par lui même de la cession ;
que par acte du 9 février 1990, visant la clause résolutoire, les consorts Y... ont fait sommation à M. H... de rendre les lieux libres de toute occupation du chef de cette dernière ;
Attendu que M. H... et les consorts A... font grief à l'arrêt de constater l'acquisition de la clause résolutoire, alors, selon le moyen, "1 ) qu'excède ses pouvoirs, le juge des référés qui déclare acquise la clause résolutoire d'un bail commercial en écartant une contestation sérieuse soulevée par le preneur quand bien même sa saisine aurait été conventionnellement prévue par les parties ;
qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 848 et 849 du nouveau Code de procédure civile ; 2 ) qu'en tout état de cause, les parties ne s'étaient bornées, dans la clause résolutoire du bail, qu'à prévoir la compétence du juge des référés sans indiquer que celui-ci resterait compétent, même en cas de contestation sérieuse ; qu'ainsi, la convention n'ayant pas expressément dérogé au principe essentiel attribuant compétence exclusive au juge du fond pour trancher une contestation sérieuse, la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil et 848 et 849 du nouveau Code de procédure civile ; 3 ) qu'il n'appartenait pas au juge des référés, même statuant en application des stipulations du bail lui attribuant compétence pour constater la résiliation du bail et ordonner l'expulsion du locataire, de trancher une contestation sérieuse soulevée par le preneur ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé l'article 848 du nouveau Code de procédure civile ; 4 ) que l'agrément donné par l'un des copropriétaires de l'immeuble indivis à la cession du droit au bail commercial consenti sur cet immeuble par leur auteur commun est un simple acte d'administration opposable aux autres coïndivisaires ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 815-3, alinéa 2, du Code civil ; 5 ) que les coïndivisaires avaient autorisé la cession du droit au bail commercial à une personne ne succédant pas au commerce du preneur initial ;
que le simple fait pour l'un des coïndivisaires d'autoriser la substitution d'une autre personne au bénéfice de cette autorisation constituait un acte d'administration opposable à ses coïndivisaires ;
qu'ainsi la cour d'appel a violé l'article 815-3, alinéa 2, du Code civil ; 6 ) que le consentement donné à la cession du bail en cours relève des actes d'administration normale du bien loué pour lesquels un indivisaire agissant seul dans le cadre d'un mandat tacite prévu par l'article 815-3 du Code civil, n'a pas besoin de justifier d'un mandat spécial ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; 7 ) que la cour d'appel ne pouvait se borner à affirmer, pour écarter l'existence d'un mandat apparent, qu'il n'était démontré aucune circonstance légitime dispensant Mme A... de vérifier l'étendue des pouvoirs de M. Jean-Pierre Y... dans la gestion des biens relevant de l'indivision sans rechercher si l'utilisation par celui-ci d'un papier à l'entête de l'ensemble des héritiers Y... n'était pas de nature à faire croire à Mme A... que son interlocuteur habituel avait qualité pour acquiescer au nom de tous les indivisaires à la cession de bail ; qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1985 du Code civil ; 8 ) qu'en aucun de ses termes la sommation du 9 février 1990 invoquant la clause résolutoire, qui se bornait à inviter M. H... à rendre les lieux libres de toute occupation du chef de Mme A..., ne visait une clause ou stipulation précise du bail dont le respect pourrait constituer une infraction ;
qu'en énonçant, pour débouter M. H... de son action en nullité, qu'elle faisait expressément état de la création des stipulations contractuelles que constituait la cession du droit au bail sans l'autorisation prévue et nécessaire, la cour d'appel a dénaturé ladite sommation, en violation de l'article 1134 du Code civil" ;
Mais attendu qu'ayant relevé que pour le projet initial de cession à Mme E..., le preneur avait sollicité l'autorisation écrite de tous les indivisaires et non pas seulement celle de M. Jean-Pierre Y... , que l'autorisation de cession donnée par les bailleurs faite en considération de la personne du nouveau preneur était insusceptible de valoir indifféremment au profit d'autres preneurs et qu'il n'était démontré aucune circonstance dispensant Mme A... de vérifier l'étendue des pouvoirs de M. Jean-Pierre Y... dans la gestion des biens relevant de l'indivision, la cour d'appel a, par motifs propres et adoptés, abstraction faite d'un motif surabondant, légalement justifié sa décision, sans dénaturer le commandement du 9 février 1990, ni trancher de contestation sérieuse, en retenant que, la cession du bail étant dissociée de celle du fonds de commerce, le preneur ne pouvait céder le bail sans l'accord des bailleurs et que M. Jean-Pierre Y... n'était pas en possession du mandat spécial visé par l'article 815-3 du Code civil lorsqu'il a pris l'initiative d'adresser les courriers du 5 et 25 janvier 1988 ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chaque demandeur la charge des dépens afférents à son pourvoi et les condamne, ensemble, aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du dix-huit janvier mil neuf cent quatre-vingt-quinze.