AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la banque de Baecque Beau, dont le siège est ... (9ème), en cassation d'un arrêt rendu le 27 mars 1992 par la cour d'appel de Paris (25e chambre, section B), au profit de la société Basic Moderne, dont le siège est ... (2ème), défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 8 novembre 1994, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Dumas, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, Mme Piniot, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Dumas, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la banque de Baeque Beau, de Me Choucroy, avocat de la société Basic Moderne, les conclusions de Mme Piniot, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt critiqué, que, le 21 juillet 1989, la banque de Baecque Beau (la banque) a escompté une lettre de change à échéance du 30 octobre, tirée par la société Sydfil sur la société Basic Moderne, qui l'a acceptée ; que, le 10 octobre, la société Sydfil a informé la banque de ce que son contrat avec la société Basic Moderne avait été amiablement résilié, et lui a demandé la restitution de l'effet ; qu'ayant présenté vainement celui-ci au paiement lors de son échéance, la banque a, le 6 novembre, contrepassé son écriture d'escompte en débitant le compte de la sociét Sydfil, puis, le 7 novembre, crédité à nouveau ce compte du montant de la lettre de change ; que la société Sydfil a été déclarée en redressement judiciaire le 24 novembre, la date de cessation des paiements étant fixée au 31 octobre ; que, s'estimant tiers porteur de bonne foi, la banque a ensuite assigné la société Basic Moderne en paiement ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la banque de Baecque Beau fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le pourvoi, qu'elle avait fait valoir en appel que la société Basic Moderne et la société Sydfil, qui n'ignoraient ni l'une ni l'autre qu'elle avait réglé depuis longtemps le montant de la lettre de change et que le dépôt de bilan de la société Sydfil était imminent, avaient décidé d'un commun accord, 20 jours avant l'échéance de la traite, de résilier leur contrat ; qu'elle même avait présenté, à son échéance du 30 octobre 1989, la traite à la BNP, banque de la société Basic Moderne, mais que cette traite était revenu impayée le 3 novembre 1989, la société Basic Moderne ayant décidé unilatéralement de se soustraire à ses obligations, pour un motif totalement étranger au tiers porteur, et donné instruction de ne pas régler la traite ;
qu'elle stigmatisait ainsi, dans ses écritures d'appel, la collusion frauduleuse du tireur et du tiré au préjudice de ses droits, fraude qui devait avoir pour sanction sa propre inefficacité ; que la cour d'appel, qui s'est abstenue de répondre à ces conclusions, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient qu'en contrepassant l'écriture d'escompte, la banque s'est payée, perdant ainsi la propriété de l'effet et le bénéfice des recours cambiaires ; qu'en fondant sa décision sur cette motivation, non critiqué par le pourvoi, la cour d'appel a nécessairement écarté les conclusions invoquées dans le moyen ; que, dès lors, celui-ci ne peut être accueilli ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que, pour condamner la banque à payer 20 000 francs à la société Basic Moderne à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, et décider que les sommes payées en exécution du jugement et devant être restituées par la banque, porteraient intérêt au taux légal à compter de la date de l'arrêt, ce à titre de dommages-intérêts complémentaires, l'arrêt retient que la banque a usé de multiples voies de droit pour tenter d'obtenir le paiement de l'effet litigieux, avant comme après le jugement querellé ;
Attendu qu'en se déterminant par un tel motif, insusceptible de caractériser un abus, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision, au regard du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la banque Baeque Beau à payer à la société Basic Moderne la somme de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts, et dit que les sommes qui ont été payées en exécution du jugement et devront être restituées par la banque porteront intérêts au taux légal à compter de la date de l'arrêt, ce à titre de dommages-intérêts complémentaires, l'arrêt rendu le 27 mars 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société Basic Moderne, envers la banque de Baecque Beau, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Paris, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du dix janvier mil neuf cent quatre-vingt-quinze.