La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/12/1994 | FRANCE | N°93-80267

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 20 décembre 1994, 93-80267


REJET du pourvoi formé par :
- X... Patrice,
- la société Editions Choc, civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 9 décembre 1992, qui, pour contestation de crimes contre l'humanité, a condamné le prévenu à 30 000 francs d'amende, déclaré la société civilement responsable, et prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 1, 2 du décret du Gouvernement provisoire de la Défense

Nationale du 5 novembre 1870, 4 du Code pénal, 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, 4...

REJET du pourvoi formé par :
- X... Patrice,
- la société Editions Choc, civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 9 décembre 1992, qui, pour contestation de crimes contre l'humanité, a condamné le prévenu à 30 000 francs d'amende, déclaré la société civilement responsable, et prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 1, 2 du décret du Gouvernement provisoire de la Défense Nationale du 5 novembre 1870, 4 du Code pénal, 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, 427 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Patrice X... coupable du délit de contestation de crimes contre l'humanité ;
" aux motifs que "les principes régissant la publicité des lois et décrets n'ont pas à être appliqués au jugement du tribunal militaire international de Nuremberg auquel il est fait référence dans la définition du délit de contestation de crimes contre l'humanité" ; qu'"il suffit de rappeler que ce jugement a été prononcé le 1er octobre 1946 après s'être déroulé dans les conditions définies par l'accord de Londres du 8 août 1945 et le statut de Tribunal militaire international de Nuremberg ayant valeur de traités internationaux" ; qu'"aux termes de l'article 26 dudit statut, le jugement a eu un caractère définitif dès son prononcé" ; qu'"il a fait l'objet d'une transcription en langue française, déposée à la Cour internationale de justice de La Haye" ; qu'"il est accessible à tous" ; que "le moyen d'inopposabilité développé par les prévenus sera donc rejeté" et que "leurs protestations, formulées par conclusions incidentes, du fait qu'aucun exemplaire dudit jugement n'avait été régulièrement versé aux débats, seront déclarées mal fondées" ;
" alors qu'il résulte de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 que le délit de contestation de crimes contre l'humanité n'est constitué que si le ou les auteurs du crime contesté sont soit membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 du statut du Tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945, soit reconnus coupables de crimes contre l'humanité par une juridiction française ou internationale ; que l'existence d'une décision de justice qualifiant le crime contesté de crime contre l'humanité est donc un élément constitutif du délit de contestation de crimes contre l'humanité ; que, dès lors, ce texte ne saurait s'appliquer que si cette décision a satisfait aux mêmes conditions de publicité que la loi, à savoir sa publication au Journal officiel et qu'en l'espèce, à défaut de toute publication au Journal officiel du jugement de Nuremberg, les juges du fond ne pouvaient pas légalement condamner Patrice X... pour avoir contesté un crime contre l'humanité constaté dans ce jugement ;
" alors qu'en toute hypothèse, si l'on considère, pour les seuls besoins de la discussion, que l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 peut recevoir application bien que le jugement de Nuremberg n'ait pas été publié au Journal officiel, il fallait au moins que ce jugement soit versé aux débats par l'accusation à titre d'élément de preuve susceptible d'établir l'existence du délit de contestation de crimes contre l'humanité reproché à Patrice X... et qu'en fondant sa décision de condamnation sur ledit jugement sans que cet élément de preuve n'ait été contradictoirement discuté, la Cour a violé l'article 427, alinéa 2, du Code de procédure pénale ;
Attendu que la cour d'appel a rejeté, à bon droit, par les motifs reproduits au moyen, le grief d'inopposabilité pris par le prévenu de l'absence de publication, au Journal officiel de la République française, du jugement du Tribunal militaire international de Nuremberg, et du défaut de production de ce jugement aux débats ;
Qu'en effet, d'une part, l'autorité des décisions de justice résulte de leur prononcé et de leur caractère définitif, indépendamment d'une publication qui n'est pas prescrite par le décret du 5 novembre 1870 régissant la publicité des lois et décrets ;
Que, d'autre part, le prévenu d'infraction à l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 ne saurait se prévaloir de l'ignorance de la teneur du jugement du Tribunal militaire international de Nuremberg, en date du 1er octobre 1946, qui a fait l'objet, conformément à l'article 25 du statut de ce Tribunal, d'une transcription officielle en français ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 427 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Patrice X... coupable du délit de contestation de crimes contre l'humanité, délit prévu et réprimé par l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 ;
" aux motifs que si l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pose, en son premier alinéa, le principe de la liberté d'expression et d'opinion, le deuxième alinéa de cet article prévoit que l'exercice de cette liberté puisse être soumis à certaines restrictions prévues par la loi ; que "l'incrimination de contestation de crimes contre l'humanité... s'inscrit dans le cadre de la lutte contre le racisme et répond aux engagements pris par la France qui a adhéré... à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de racisme" ; que "l'article 24 bis de la loi de 1881 modifiée soumet l'exercice de la liberté d'expression et d'opinion à des restrictions constituant des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui ainsi qu'à la sécurité publique, au sens de l'article 10, alinéa 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales" ; et qu'"en effet, les propos contestant l'existence de crimes contre l'humanité, tels que définis par un traité international (le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945) et établis par une juridiction française ou internationale, portent atteinte à la mémoire des victimes du nazisme et sont susceptibles de troubler la coexistence harmonieuse des personnes au sein de l'Etat français du fait qu'ils propagent des idées tendant à réhabiliter la doctrine et la politique de discriminations raciales nazies" ;
" alors que l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnaît à toute personne le droit à la liberté d'expression, l'exercice de cette liberté pouvant toutefois être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, que cette réserve ne permet nullement aux Etats la suppression totale du droit de communiquer des informations ou idées sur un sujet déterminé décrété tabou ou d'instituer ainsi un délit d'opinion, qu'en particulier, un Etat ne saurait interdire à un de ses ressortissants de contester l'existence de certains faits historiques communément admis, ces faits seraient-ils constatés dans des décisions de justice ; que la liberté d'expression vaut non seulement pour les informations et les idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population et que l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit prévaloir sur l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 qui lui est contraire ;
Attendu que si l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales susvisée reconnaît en son premier paragraphe à toute personne le droit à la liberté d'expression, ce texte prévoit en son second paragraphe que l'exercice de cette liberté comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent, dans une société démocratique, des mesures nécessaires notamment à la protection de la morale et des droits d'autrui ; que tel est l'objet de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 modifiée par la loi du 13 juillet 1990 ;
Qu'ainsi, le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 427 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Patrice X... coupable du délit de contestation de crimes contre l'humanité, délit prévu et réprimé par l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 ;
" aux motifs que "la définition des infractions s'impose aux juges", que cette situation inhérente au principe de séparation des pouvoirs ne saurait être analysée comme une atteinte à leur indépendance et à leur impartialité, que "les prévenus ne sont pas poursuivis du chef de crimes contre l'humanité mais du délit de contestation de crimes contre l'humanité" et que "la présomption d'innocence s'applique donc à la contestation elle-même et non pas à son objet" ;
" alors qu'en donnant force de loi au contenu de certaines décisions de justice, l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 viole le principe de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire, qu'en effet, le législateur ne saurait fonder une incrimination sur la reconnaissance, par une décision de justice déterminée, de la culpabilité personnelle d'un tiers, que le législateur, dont la fonction est de fixer le droit en édictant des règles générales, n'a nullement le pouvoir de fixer le fait, pouvoir qui appartient exclusivement au juge dans chaque cas particulier qui lui est soumis, qu'il ne peut imposer au juge des faits considérés comme établis par un autre juge à l'occasion d'une autre espèce sans porter atteinte à l'indépendance et à l'impartialité de l'autorité judiciaire qui se trouverait de ce fait privée de son pouvoir d'appréciation des faits et que, par ailleurs, une décision de justice étant un acte de souveraineté particulier absolument inviolable, le législateur n'a pas le pouvoir de s'en emparer pour fonder sur elle une incrimination quelconque " ;
Attendu, d'une part, qu'en prévoyant le jugement de toute accusation en matière pénale par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, l'article 6 de la Convention susvisée n'autorise les juges à se soustraire à l'application de leur loi nationale que dans la mesure où celle-ci serait incompatible avec d'autres dispositions de ladite Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ;
Attendu, d'autre part, que les textes ayant valeur législative s'imposent aux juridictions de l'ordre judiciaire qui ne sont pas juges de leur constitutionnalité ;
Sur le troisième moyen de cassation : (sans intérêt) ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 93-80267
Date de la décision : 20/12/1994
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° PRESSE - Contestation de l'existence de crimes contre l'humanité - Eléments constitutifs - Elément légal - Jugement du tribunal militaire international de Nuremberg - Publication au Journal officiel - Nécessité (non).

1° L'autorité des décisions de justice résulte de leur prononcé et de leur caractère définitif, indépendamment d'une publication qui n'est pas prescrite par le décret du 5 novembre 1870 régissant la publicité des lois et décrets(1).

2° PRESSE - Contestation de l'existence de crimes contre l'humanité - Eléments constitutifs - Elément légal - Jugement du tribunal militaire international de Nuremberg - Production aux débats - Nécessité (non).

2° Nul n'étant censé ignorer la teneur du jugement du Tribunal militaire international de Nuremberg, en date du 1er octobre 1946, qui a fait l'objet, conformément à l'article 25 du statut de ce Tribunal, d'une transcription officielle en français, le prévenu d'infraction à l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 ne saurait se prévaloir du défaut de production de ce jugement aux débats par la partie poursuivante.

3° CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 10 - Liberté d'expression - Restrictions de l'article 10 - paragraphe 2 - Presse - Contestation de l'existence de crimes contre l'humanité.

3° Si l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnaît en son premier paragraphe à toute personne le droit à la liberté d'expression, ce texte prévoit en son second paragraphe que l'exercice de cette liberté comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent, dans une société démocratique, des mesures nécessaires notamment à la protection de la morale et des droits d'autrui. Tel est le cas de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 modifiée par la loi du 13 juillet 1990(2).

4° CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6 - Droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement - publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial - Incompatibilité de la loi nationale avec d'autres dispositions de la Convention - Portée.

4° En prévoyant le jugement de toute accusation en matière pénale par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme n'autorise les juges à se soustraire à l'application de leur loi nationale que dans la mesure où celle-ci serait incompatible avec d'autres dispositions de ladite Convention.

5° LOIS ET REGLEMENTS - Loi - Constitutionnalité - Appréciation - Tribunaux judiciaires (non).

5° Les textes ayant valeur législative s'imposent aux juridictions de l'ordre judiciaire qui ne sont pas juges de leur constitutionnalité(3).


Références :

1° :
3° :
Décret du 05 novembre 1870 art. 1, art. 2
Loi du 29 juillet 1881 art. 24 bis

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 09 décembre 1992

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1993-02-23, Bulletin criminel 1993, n° 86 (2), p. 208 (rejet). CONFER : (3°). (2) Cf. Chambre criminelle, 1993-02-23, Bulletin criminel 1993, n° 86 (1), p. 208 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1994-05-10, Bulletin criminel 1994, n° 181, p. 412 (rejet). CONFER : (5°). (3) Cf. Chambre criminelle, 1985-01-21, Bulletin criminel 1985, n° 31 (1), p. 79 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1985-11-18, Bulletin criminel 1985, n° 359 (2), p. 918 (rejet et cassation partielle) ;

Chambre criminelle, 1987-05-07, Bulletin criminel 1987, n° 186 (1), p. 497 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1987-12-22, Bulletin criminel 1987, n° 482 (1), p. 1266 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1990-05-02, Bulletin criminel 1990, n° 164, p. 424 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 20 déc. 1994, pourvoi n°93-80267, Bull. crim. criminel 1994 N° 424 p. 1031
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1994 N° 424 p. 1031

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Le Gunehec
Avocat général : Avocat général : M. Galand.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Guerder.
Avocat(s) : Avocats : la SCP Le Griel, la SCP Waquet, Farge et Hazan, M. Choucroy, Mme Roué-Villeneuve, la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1994:93.80267
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award