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29/11/1994 | FRANCE | N°93-83452

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 29 novembre 1994, 93-83452


REJET du pourvoi formé par :
- X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre correctionnelle, en date du 22 juin 1993, qui l'a condamné, pour diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, à 3 000 francs d'amende, en excluant la mention de cette condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire, et qui a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Attendu que par exploit du 22 juillet 1992, Y..., agissant en qualité de maire de Z..., a fait citer directement devant le tribunal correctionnel, sous la pré

vention de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat publi...

REJET du pourvoi formé par :
- X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre correctionnelle, en date du 22 juin 1993, qui l'a condamné, pour diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, à 3 000 francs d'amende, en excluant la mention de cette condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire, et qui a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Attendu que par exploit du 22 juillet 1992, Y..., agissant en qualité de maire de Z..., a fait citer directement devant le tribunal correctionnel, sous la prévention de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, X..., avocat au barreau de Toulon, en raison de sa mise en cause par ce dernier, dans une lettre ouverte du 23 avril 1992 ; que la citation, visant les articles 31, alinéa 1er et 30 de la loi du 29 juillet 1881, a articulé cinq passages de l'écrit ainsi libellés :
" en vous substituant aux organes démocratiques de ce pays ",
" vous bafouez allègrement avec un plaisir non dissimulé ces principes que vous êtes pourtant chargé d'appliquer en tant que Premier Magistrat de la Commune de Z... ",
" les procédés que vous employez, à savoir un tapage juridico-médiatique injustifié, et les lettres anonymes non signées, ne sont pas sans rappeler certaines heures troubles de notre histoire et me semblent tout à fait indignes d'un Maire en exercice ",
" je vous indique donc d'avoir à vous occuper de vos affaires et non pas de celles de la Justice qui ne peut qu'être troublée par votre comportement ",
" il n'est plus étonnant d'entendre courir le bruit que la Justice n'est plus rendue avec sérénité lorsque l'on constate avec quel acharnement illégitime ceux qui ont en charge de l'appliquer la transgressent " ;
Attendu que par acte d'huissier du 31 juillet 1992, X... a fait signifier, en application des articles 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, les copies des pièces par lesquelles il entendait rapporter la preuve de la vérité des faits diffamatoires ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 31, 32, 33 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, 591, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X..., prévenu du délit de diffamation publique, déchu du droit de rapporter la preuve de la vérité et, le déclarant coupable de ce délit, l'a condamné à la peine de 3 000 francs d'amende et à payer à la partie civile 1 franc de dommages-intérêts ;
" au motif qu'en l'absence de toute articulation des faits dont le prévenu entendait rapporter la preuve, la signification délivrée par le prévenu ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 ;
" alors que le texte précité qui exige que le prévenu fasse signifier au ministère public ou au plaignant "les faits articulés et qualifiés dans la citation desquels il entend prouver la vérité", a pour objet d'éviter qu'il plane un doute sur le ou les faits offerts en preuve, qu'en affirmant que la reproduction, dans la notification de l'offre de preuve, des cinq passages de l'assignation délivrée par le plaignant dont le prévenu offrait de démontrer la vérité, ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881, sans constater qu'elle rendait cette offre incertaine, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu que pour déclarer le prévenu déchu du droit de rapporter la preuve de la vérité des faits diffamatoires, l'arrêt attaqué relève que l'offre de preuve se borne à reproduire les cinq passages de la lettre ouverte articulés dans la citation introductive d'instance, sans spécifier les faits objet de l'offre de preuve ;
Attendu qu'en déduisant de ces énonciations que les prescriptions de l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 avaient été méconnues, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Qu'en effet, ainsi que les juges l'ont souligné, l'article 55 précité exige que le prévenu spécifie les faits articulés et qualifiés dans la citation desquels il entend prouver la vérité ; que cette spécification est nécessaire alors même que le prévenu entendrait faire la preuve de tous les faits visés dans la citation ; qu'il s'agit d'une formalité substantielle qui doit être observée à peine de déchéance du droit de faire la preuve ; que cette déchéance étant d'ordre public, elle doit être relevée d'office par les juges ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 29, 30, 31, 35 bis de la loi du 29 juillet 1881, 591, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable du délit de diffamation envers un citoyen chargé d'un mandat public ;
" aux motifs que si les allégations selon lesquelles Y... se substituerait aux organes démocratiques de ce pays et bafouerait avec un plaisir non dissimulé ce principe, sont diffamatoires, de tels propos dans ce contextes sont cependant justifiés par la défense du droit fondamental de la présomption d'innocence que M. X... en sa qualité de conseil était mieux placé que quiconque pour en exiger le respect ; par contre, deux des autres allégations dont X... était l'auteur portaient incontestablement atteinte à l'honneur et à la considération de la partie civile, et que réputées faites de mauvaise foi, du fait de la gravité des accusations portées et de leur manque de mesure, elles ne peuvent d'aucune façon se justifier par les nécessités de la défense ; qu'à cet égard, le prévenu n'apporte pas la preuve qui lui incombe de sa bonne foi ;
" alors que si, aux termes de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881, les imputations diffamatoires sont réputées faites de mauvaise foi, cette présomption est détruite par la preuve de l'existence de faits justificatifs, établissant la bonne foi ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que les allégations incriminées constituent une réponse aux attaques faites publiquement par la partie civile contre le client de X... ; qu'en refusant d'admettre que le souci exclusif des intérêts de son client qui est un devoir pour l'avocat, comme le prévenu de toute mauvaise foi, et en exigeant, pour admettre la bonne foi du prévenu, que les allégations réputées faites de mauvaise foi se justifient par les nécessités de la défense, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen " ;
Attendu que pour apprécier le sens et la portée des propos incriminés, les juges les ont, à bon droit, replacés dans leur contexte ; qu'ils précisent que Y... s'est opposé à l'embauche, comme animateur d'une discothèque de Z..., d'un client de X..., poursuivi pour infraction à la législation sur les stupéfiants, et condamné à l'emprisonnement tant par le tribunal correctionnel que par un arrêt de la cour d'appel frappé d'un pourvoi en cassation ;
Attendu que la cour d'appel a retenu, à juste raison, le caractère diffamatoire envers le plaignant, à raison de ses fonctions et de sa qualité, des imputations de dénonciations anonymes semblables à celles de la période d'Occupation, et de transgressions systématiques de la justice, contenues dans les troisième et cinquième passages incriminés ;
Attendu qu'en relevant que ces allégations, en raison de leur gravité et de leur manque de mesure, ne pouvaient se justifier, à la différence des autres, par les nécessités de la défense, et en retenant que le prévenu n'apportait pas, à cet égard, la preuve, qui lui incombait, de sa bonne foi, la cour d'appel a donné une base légale à sa décision ;
Qu'en effet, lorsqu'il ne bénéficie pas de l'immunité prévue par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, l'avocat qui s'exprime au nom d'un client et dans son intérêt n'est pas dispensé de la prudence et de la circonspection nécessaires à l'admission du fait justificatif de la bonne foi ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 93-83452
Date de la décision : 29/11/1994
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° PRESSE - Diffamation - Preuve de la vérité des faits diffamatoires - Moyens - Signification - Mentions nécessaires - Inobservation - Déchéance - Caractère d'ordre public.

1° L'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 exige que le prévenu spécifie les faits articulés et qualifiés dans la citation dont il entend prouver la vérité. Cette spécification est nécessaire alors même que le prévenu entendrait faire la preuve de tous les faits visés dans la citation. Il s'agit d'une formalité substantielle dont l'inobservation entraîne la déchéance de l'offre de preuve laquelle étant d'ordre public, doit être relevée d'office par les juges(1).

2° PRESSE - Diffamation - Eléments constitutifs - Elément intentionnel - Mauvaise foi - Preuve contraire - Avocat - Exercice des droits de la défense - Eléments insuffisants.

2° Lorsqu'il ne bénéficie pas de l'immunité prévue par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, l'avocat qui s'exprime au nom d'un client et dans son intérêt n'est pas dispensé de la prudence et de la circonspection nécessaire à l'admission de la bonne foi, en matière de diffamation(2).


Références :

1° :
2° :
Loi du 29 juillet 1881 art. 41
Loi du 29 juillet 1881 art. 55

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre correctionnelle), 22 juin 1993

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1966-02-22, Bulletin criminel 1966, n° 62 (1), p. 131 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1975-10-23, Bulletin criminel 1975, n° 224, p. 598 (rejet). CONFER : (2°). (2) A comparer : Chambre criminelle, 1979-06-11, Bulletin criminel 1979, n° 203, p. 562 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1993-01-26, Bulletin criminel 1993, n° 42 (1), p. 98 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 29 nov. 1994, pourvoi n°93-83452, Bull. crim. criminel 1994 N° 383 p. 937
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1994 N° 383 p. 937

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Milleville, conseiller le plus ancien faisant fonction.
Avocat général : Avocat général : M. Dintilhac.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Guerder.
Avocat(s) : Avocat : la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1994:93.83452
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