AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Richard X..., dememurant à Saint-Thibault Les Vignes (Seine-et-Marne), ..., en cassation d'un arrêt rendu le 3 mars 1992 par la cour d'appel de Paris (1re chambre, section A), au profit :
1 / de M. et Mme Y..., demeurant à Villeron (Val-d'Oise), ...,
2 / de Mme Eliane A..., demeurant à Villeron (Val-d'Oise), 32, hameau de l'Ormet, défendeurs à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 12 octobre 1994, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Pronier, conseiller référendaire rapporteur, MM. Douvreleur, Peyre, Mme Giannotti, MM. Aydalot, Boscheron, Toitot, Mmes Di Marino, Borra, M. Bourrelly, conseillers, M. Chollet, conseiller référendaire, M. Baechlin, avocat général, Mme Pacanowski, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Pronier, les observations de Me Baraduc-Benabent, avocat de M. X..., de Me Choucroy, avocat des époux Y... et de Mme A..., les conclusions de M. Baechlin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 mars 1992), que, suivant un acte authentique du 11 février 1977, Mme Z... a vendu en viager un immeuble à sa petite nièce, Mme Y..., et à son mari ; que, le 22 avril 1977, Mme Z... a tiré un chèque de 150 000 francs à l'ordre de sa nièce, Mme A..., mère de Mme Y... ; que, le 24 août 1977, Mme Z... a déposé plainte avec constitution de partie civile contre Mmes Y... et A... ; que Mme Z... étant décédée le 4 mars 1978, son petit-fils, M. X..., a repris l'instance en son nom et assigné les époux Y... en nullité de la vente ; que, par une décision du 15 avril 1988, Mmes Y... et A... ont été relaxées ;
que l'instance civile a été reprise et que, le 7 mars 1991, M. X... a assigné Mme A... en restitution de la somme de 150 000 francs et en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en nullité de la vente, alors, selon le moyen, "d'une part, que si les actes authentiques font pleine foi jusqu'à inscription de faux des conventions qu'ils renferment, ce n'est que relativement aux faits qui y sont énoncés par l'officier public comme ayant été accomplis par lui-même ou comme s'étant passés en sa présence dans l'exercice de ses fonctions, mais que cette règle ne fait pas obstacle à ce que les conventions ou déclarations qu'ils contiennent puissent être arguées de simulation soit par des tiers, soit même par l'une des parties ; qu'en décidant que la mention de l'acte notarié interdisait à l'héritier de l'acquéreur d'établir le caractère fictif du versement du prix, par le jeu de sa fourniture aux acquéreurs par la venderesse elle-même, la cour d'appel a violé les articles 1319 et 1321 du Code civil ; d'autre part, qu'en énonçant que M. X... ne pouvait remettre en question le versement du prix "par de simples affirmations" sans s'expliquer sur les
circonstances concrètes et précises relevées par les premiers juges ayant retenu que l'essentiel du versement "de l'aveu même des parties intéressées provenait du compte de la venderesse", la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile" ;
Mais attendu qu'ayant souverainement retenu que M. X... ne pouvait, par de simples affirmations, remettre en question le contrat du 11 février 1977, la cour d'appel, qui n'a pas dit que la mention relative au paiement au comptant d'une partie du prix lui interdisait d'établir le caractère fictif du versement du prix, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 4 du Code procédure pénale ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable la demande en restitution de la somme de 150 000 francs, l'arrêt retient que M. X... ne peut reprendre sous la qualification d'enrichissement sans cause les circonstances de fait dont une autre chambre de la cour d'appel a déjà été saisie et dont elle a estimé que, n'étant pas établies, elles ne justifiaient pas la prévention retenue à l'encontre de Mme A... ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'autorité de la chose jugée, attachée à la décision pénale de relaxe ne concernant que l'authenticité du chèque, était sans portée à l'égard de la cause de ce versement et ne pouvait faire obstacle à l'exercice d'une action civile fondée sur son défaut de cause, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande en restitution de la somme de 150 000 francs, l'arrêt rendu le 3 mars 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Reims ;
Condamne les défendeurs, envers M. X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Paris, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du seize novembre mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.