AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société anonyme cabinet Saint-Martin, dont le siège est ... (Haute-Garonne), en cassation d'un arrêt rendu le 6 février 1992 par la cour d'appel de Pau (1re chambre), au profit :
1 / de M. Jean Paul X..., demeurant ... Debat (Hautes-Pyrénées),
2 / de M. Jean François Y..., demeurant ... (Pyrénées-Atlantiques), défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 7 juin 1994, où étaient présents :
M. Bézard, président, M. Grimaldi, conseiller rapporteur, M. Apollis, conseiller, Mme Piniot, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Grimaldi, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Cabinet Saint-Martin, de la SCP Boré et Xavier, avocat de MM. X... et Y..., les conclusions de Mme Piniot, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu, selon l'arrêt confirmatif déféré, que M. X..., salarié de la société Cabinet Saint-Martin (la société) en qualité de comptable et exerçant à Tarbes, a démissionné de ses fonctions avec effet au 1er juin 1986, date à partir de laquelle il a été salarié, dans la même ville, de M. Y..., expert-comptable ;
qu'en même temps, les dix-neuf clients dont M. X... gérait le compte à la société sont devenus clients de M. Y... ; que la société a assigné MM. X... et Y... en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ;
Attendu que, pour débouter la société de son action, l'arrêt retient, par motifs adoptés, qu'en l'absence d'une clause de non-concurrence post-contractuelle insérée dans le contrat de travail liant la société à M.
X...
, ce dernier était en droit d'informer la clientèle de son départ de la société et de proposer ses services pour le compte de son nouvel employeur, "ces agissements de prospection, même systématique, ne présentant aucun caractère fautif", eu égard aux usages de la profession ;
Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, d'où il résultait que M. X... avait démarché la clientèle de la société, dans la perspective de son futur emploi, qu'il n'était pas contesté que ce démarchage s'était opéré notamment en dictant aux clients des lettres de retrait envers la société, et alors que les usages ne peuvent autoriser un détournement de clientèle interdit par la loi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 février 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne MM. X... et Y..., envers la société Cabinet Saint-Martin, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Pau, en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du onze octobre mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.