AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / M. André C..., demeurant Place de la Gare à Lunéville (Meurthe-et-Moselle),
2 / la société Rhin et Meurthe, ayant son siège ... (Haut-Rhin), en cassation d'un arrêt rendu le 6 novembre 1991 par la cour d'appel de Besançon (1ère chambre civile), au profit :
1 / de M. Y..., ès qualités de syndic à la liquidation des biens de M. E..., demeurant ...,
2 / du Crédit Foncier d'Alsace Lorraine (CFCAL), dont le siège est ... (Bas-Rhin),
3 / de M. Z...,
4 / de Mme Z..., élisant domicile au Cabinet de M. Jeannette, ...,
5 / de la société Immobilière pour le Développement de l'Horlogerie Sidhor, dont le siège est ...,
6 / de M. A... payeur principal 2ème Division, ...,
7 / de l'URSSAF, ..., défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt :
LA COUR, en l'audience publique du 5 juillet 1994, où étaient présents : M. Beauvois, président, M. Douvreleur, conseiller rapporteur, M. Peyre, Mme Giannotti, MM. Aydalot, Boscheron, Toitot, Mmes Di Marino, Borra, M. Bourrelly, conseillers, MM. Chollet, Pronier, conseillers référendaires, M. Marcelli, avocat général, Mme Pacanowski, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Douvreleur, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. C... et de la société Rhin et Meurthe, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de M. Y..., ès qualités, de Me Cossa, avocat du Crédit Foncier d'Alsace Lorraine, les conclusions de M. Marcelli, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte à M. C... et à la société Rhin et Meurthe du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. et Mme Z... ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, (Besançon, 6 novembre 1991), qu'ayant acheté un immeuble à la société Sidhor, M. E... en a payé une partie comptant à l'aide d'un prêt consenti par le Crédit Foncier d'Alsace-Lorraine (CFCAL) et a obtenu la caution solidaire de M. B... pour le solde payable à terme ; que ce dernier s'étant porté garant de l'exécution de travaux de rénovation et d'amélioration de l'immeuble, a, après la réalisation de ces travaux inscrit le privilège des architectes, entrepreneurs et celui du prêteur de deniers pour rembourser les ouvriers, et a cédé sa créance, au mois de mars 1987, à la société Rhin et Meurthe ; que celle-ci avait, entre-temps, acheté à M. E... plusieurs lots de l'immeuble rénové et que le vendeur a été déclaré, le 8 juillet 1985, en règlement judiciaire, puis, par suite, en liquidation des biens, M. Y... étant désigné comme syndic ;
Attendu que M. B... et la société Rhin et Meurthe font grief à l'arrêt de déclarer nulles les inscriptions des privilèges découlant des paragraphes 3 et 4 de l'article 2103 du Code civil prises au profit de M. B... et de décider que la société Rhin et Meurthe ne pourrait pas se prévaloir de ces privilèges, alors, selon le moyen, "1 ) que, dans leurs conclusions, M. B... et la société Rhin et Meurthe faisaient valoir que la convention d'antichrèse au 5 février 1985 passée entre M. E... et M. B..., prévoit expressément en son article 6 -charges et conditions- que l'ensemble des travaux ou tout engagement pris par l'antichrésiste seront considérés comme privilégiés conformément à l'article 2103 du Code civil, l'état descriptif joint à chaque acte de vente étant considéré comme contractuel de constat des lieux relativement aux ouvrages et que lesdits ouvrages seront dans les six mois au plus tard de leur perfection reçus par un expert judiciaire et que cette clause était opposable évidemment au demandeur M. Y... ès qualités de syndic à la liquidation des biens de M. E..., mais aussi aux créanciers inscrits, l'acte ayant été régulièrement publié ; qu'en retenant que M. B... et la société Rhin et Meurthe ne pouvaient se prévaloir du privilège institué par l'article 2103, paragraphe 4, du Code civil sans répondre à ces conclusions déterminantes, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 2 ) qu'aux termes de l'article 2103, paragraphe 4, du Code civil les ouvrages faits doivent avoir été, dans les six mois de leur perfection, reçus par un expert nommé d'office ; que, tout en constatant que l'expert X... avait été commis par ordonnance, que son expertise avait été diligentée après exécution de travaux de rénovation, qu'il avait conclu que les travaux de rénovation s'élevaient à la somme de 2 091 000 francs la cour d'appel, qui a retenu que cette expertise ne constituait pas la formalité requise par l'article 2103, paragraphe 4, du Code civil, a violé cet article ; 3 ) que les formalités prescrites par l'article 2103, paragraphe 5, du Code civil tendent seulement à certifier l'origine des deniers vis-à -vis des tiers et que n'est pas un tiers le syndic à la liquidation des biens de l'emprunteur ;
que, tout en constatant que les travaux de rénovation évalués par l'expert à 2 091 000 francs avaient été financés par la société Rhin et Meurthe et qu'était valable et nécessaire la convention de cession par M. B... à cette société de sa créance de 2 091 000
francs à l'encontre de M. E..., la cour d'appel, qui a retenu que M. B... et la société Rhin et Meurthe ne pouvaient se prévaloir du privilège institué par l'article 2103, paragraphe 5, du Code civil, a violé cet article ; 4 ) que, dans leurs conclusions, M. B... et la société Rhin et Meurthe soutenaient subsidiairement être fondés à considérer la créance comme privilégiée, celle-ci correspondant aux travaux nécessaires à la conservation de la chose et la Cour de Cassation faisant bénéficier une telle créance de privilège ; qu'en ne répondant pas à ce chef des conclusions, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile" ;
Mais attendu qu'ayant relevé que les travaux avaient porté sur la rénovation et l'amélioration de l'immeuble, ancienne usine transformée en habitation par appartements et en locaux professionnels, écartant, ainsi, qu'il puisse s'agir de travaux de conservation de l'immeuble, et retenu, par motifs propres et adoptés, d'une part, que M. B..., n'ayant ni la qualité d'architecte, ni celle d'entrepreneur, de maçon ou autre ouvrier, ne pouvait se prévaloir des privilèges institués par l'article 2103, paragraphes 4 et 5, du Code civil, d'autre part, que n'avaient été communiqués ni un acte authentique constatant l'avance du salaire des ouvriers, ni une quittance signée par les ouvriers, la cour d'appel, répondant aux conclusions, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le second moyen :
Attendu que la société Rhin et Meurthe fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en mainlevée de l'inscription du privilège de prêteur de deniers dont bénéficiait le CFCAL sur les six lots de l'immeuble rénové qu'elle a acquis, alors, selon le moyen, "qu'aux termes de l'article 1289 du Code civil, lorsque deux personnes se trouvent débitrices l'une envers l'autre, il s'opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes ; que la cour d'appel constate, d'une part, que M. E... a vendu, par acte notarié du 4 juin 1985 publié le 4 juin 1985, à la société Rhin et Meurthe six lots de l'immeuble sis ... au prix de 1 100 000 francs, d'autre part, que les travaux de rénovation de cet immeuble, qui se sont élevés selon le rapport de l'expert X... du 22 avril 1986 à 2 091 000 francs ont été financés par la société Rhin et Meurthe et qu'est valable et n'a pas été effectuée en fraude des droits des créanciers la convention, reçue les 9 et 12 mars 1987 par M. D..., de cession par M. B... à la société Rhin et Meurthe de sa créance contre M. E... de 2 091 000 francs, que cette convention permet à la société Rhin et Meurthe d'intervenir directement avec tous les droits du créancier ; en l'état de ces constatations dont il résulte que la société Rhin et Meurthe était titulaire depuis mars 1987 à l'encontre du règlement judiciaire E... d'une créance de masse de 2 091 000 francs et que celui-ci était titulaire à l'encontre de cette société d'une créance de 1 100 000 francs, la cour d'appel, qui a retenu que le paiement par compensation légale n'était pas prouvé, n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui en résultaient et a ainsi violé les articles 1289 et 1290 du Code civil" ;
Mais attendu que la compensation dont aurait bénéficié la société Rhin et Meurthe pour le paiement de son acquisition ne pouvant, par elle-même, porter atteinte au droit de suite dont bénéficiait le CFCAL sur l'immeuble, le moyen ne peut qu'être rejeté ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. B... et la société Rhin et Meurthe, ensemble, à payer à M. Y..., ès qualités de syndic à la liquidation des biens de M. E..., la somme de 8 000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Les condamne également aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du cinq octobre mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.