AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un septembre mil neuf cent quatre vingt quatorze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire FERRARI, les observations de Me VINCENT, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Y... Joël, contre l'arrêt de la cour d'appel de RIOM, chambre correctionnelle, du 25 novembre 1993, qui, dans les poursuites exercées contre lui pour homicide et blessures involontaires, a statué sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985, de l'article 1382 du Code civil, des articles 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a évalué les frais d'aide ménagère à 15 300 francs, a évalué les préjudices résultant, pour Mme X..., de l'incapacité temporaire totale à 12 000 francs, de l'incapacité temporaire partielle à 50 % à 5 250 francs, de l'incapacité temporaire partielle à 20 % à 4 500 francs, de l'incapacité permanente partielle à 54 000 francs, le pretium doloris à 12 000 francs, le préjudice d'agrément à 5 000 francs, le préjudice soumis à recours des organismes de sécurité sociale à 183 550 francs et a condamné Y... à payer à Mme X... les sommes de 174 996,42 francs en réparation du préjudice soumis à recours et 19 500 francs en réparation du préjudice à caractère personnel ;
"aux motifs que l'incapacité totale temporaire et l'incapacité temporaire partielle doivent être indemnisées sur la base de 3 000 francs par mois, s'agissant en réalité d'un préjudice de désagrément subi pendant ces périodes, la victime ne justifiant d'aucune perte de ses revenus propres ; que compte tenu de la nature des séquelles, l'incapacité permanente partielle doit être chiffrée à 54 500 francs ; que l'indemnité correspondant à l'aide ménagère est justifiée par les factures produites aux débats ; qu'en ce qui concerne le préjudice d'agrément, il convient de relever que, malgré les conclusions de l'expert le qualifiant de nul, les séquelles de l'accident qui justifiaient un taux d'incapacité permanente partielle de 15 % et qui se manifestent notamment par des céphalées, des troubles du comportement avec état dépressif, des douleurs thoraciques, perturbent l'existence de la victime ; que ces divers troubles et désagrément entraînent incontestablement une diminution des plaisirs de la vie et constituent un préjudice d'agrément, qu'il convient d'indemniser compte tenu de l'âge de la victime ;
"alors que le préjudice d'agrément est distinct du dommage de caractère objectif que constitue la gêne alléguée dans les actes de la vie courante, résultant de l'incapacité constatée ;
"1 ) que la cour d'appel ne pouvait allouer à une victime, retraitée, des indemnités distinctes en réparation, d'une part, des frais d'aide ménagère, d'autre part, de son incapacité permanente partielle, et enfin, de son préjudice d'agrément, en déduisant ce préjudice d'agrément de la seule existence des troubles objectifs liés à l'incapacité permanente partielle ;
"2 ) que la cour d'appel ne pouvait, pour indemniser une victime de son incapacité temporaire, se borner à constater l'existence d'un "préjudice de désagrément", tout en lui allouant, d'autre part, l'indemnisation de frais d'aide ménagère" ;
Attendu qu'en évaluant comme elle l'a fait, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, l'indemnité réparant le préjudice résultant pour la victime de l'atteinte à son intégrité physique, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement dans la limite des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer, en ses divers aspects, le dommage né de l'infraction ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueillis ;
Mais sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles L 211-9 et L 211-13 du Code des assurances, des articles 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué, condamnant Mussier à payer diverses sommes à Mme X..., a dit que ces sommes porteraient intérêts au double du taux légal entre le 4 avril 1991 et le 18 novembre 1992 ;
"aux motifs que le premier juge, constatant que les prescriptions de l'article L 211-9 du Code des assurances n'avaient pas été respectées, a fait une exacte application de l'article L 211-13, prévoyant le doublement des intérêts ; qu'il importe peu que l'assureur ne soit pas partie au procès, cette condition n'étant pas prévue par les articles susvisés du Code des assurances ; qu'aucune circonstance de l'espèce ne permet à l'assureur de Joël Y... de bénéficier des suspensions ou prorogations de délai ;
qu'aucun fait pertinent non imputable à l'assureur ne justifie en l'espèce la réduction de la pénalité ;
"alors, d'une part, que seul l'assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d'un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter à la victime une offre d'indemnisation, dans le délai de huit mois à compter de l'accident ; que la cour d'appel ne pouvait mettre à la charge du conducteur d'un véhicule impliqué dans un accident la sanction prévue à défaut d'offre d'indemnisation par l'assureur dans le délai imparti, en retenant qu'il importait peu que l'assureur ne soit pas partie au procès ;
"alors, d'autre part, que l'assureur n'est tenu de formuler une offre d'indemnité provisionnelle à la victime, non consolidée, d'un accident de la circulation, qu'autant que le juge n'a pas statué sur une demande de provision ; que la cour d'appel ne pouvait sanctionner l'absence d'offre d'indemnité provisionnelle, entre le moment où le juge a statué sur une demande de provision et celui où l'assureur devait présenter une offre définitive à la victime consolidée" ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que la pénalité prévue à l'article L 211-13 du Code des assurances, qui sanctionne la tardiveté de l'offre d'indemnité que l'assureur est tenu de présenter aux victimes ou à leurs héritiers dans le délai fixé par l'article L 211-9 du même Code, ne peut être prononcée sans que l'assureur soit présent à l'instance ou ait été mis en cause ;
Attendu que dans les poursuites engagées contre Joël Y... notamment pour blessures involontaires sur la personne de Marie X..., et dans lesquelles l'assureur du prévenu n'intervenait pas, la cour d'appel, après avoir relevé qu'il importait peu, pour l'application de l'article L 211-13 du Code des assurances, que l'assureur soit partie au procès, a dit que les indemnités mises à la charge du prévenu produiraient un intérêt au double du taux légal ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé ;
Que la cassation est dès lors encourue ;
qu'elle doit être prononcée par voie de retranchement et sans renvoi, plus rien ne restant à juger ;
Par ces motifs,
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la Cour d'appel de Riom, en date du 25 novembre 1993, mais seulement en ce qu'il a dit que les indemnités mises à la charge du prévenu porteraient intérêts au double du taux légal, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Riom, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publi- que, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Souppe conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Ferrari conseiller rapporteur, MM. Hébrard, Jean Simon, Blin, Fabre, Jorda conseillers de la chambre, Mme Verdun conseiller référendaire, M. Galand avocat général, Mme Nicolas greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;