AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Somotrans, dont le siège social est ... (2ème) (Bouches-du-Rhône), en cassation d'un arrêt rendu le 24 janvier 1992 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (2ème chambre), au profit :
1 ) de la société Neufchâteloise, dont le siège social est .... 54, à Paris (8ème),
2 ) de la société anonyme Gorlier, dont le siège social est 3, 3ème avenue, à Vitrolles (Bouches-du-Rhône),
3 ) de la société anonyme Militzer et
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France, dont le siège social est ... (Nord),
4 ) de la société Languedoc, société anonyme, dont le siège social est ... (8ème),
5 ) de la société anonyme Navigation et Transports, dont le siège social est ... V, au Havre (Seine-Maritime),
6 ) de la société anonyme Colonia Versicherung AG, dont le siège social de la Branche maritime est immeuble Concorde, 22, quai de Bataclan, BP. 236, à Bordeaux (Gironde),
7 ) de la société anonyme Skandia insurance company limited, dont le siège social est 32, Narvavagen, à Stockholm 3 (Suède), et la branche maritime et transports est gérée par la SEMAS, ... (2ème),
8 ) du Service auxiliaire de manutention SAM, dont le siège social est ... (2ème) (Bouches-du-Rhône),
9 ) de la compagnie l'Entente, dont le siège social est ...,
10 ) de la Compagnie marocaine de navigation COMANAV, dont le siège social en France est AMF, ... (2ème) (Bouches-du-Rhône),
11 ) des Agences maritimes Fabre AMF, dont le siège social est ... (2ème) (Bouches-du-Rhône),
12 ) de M. le capitaine commandant du navire Al Hoceima, pris tant en son nom personnel qu'ès qualités de représentant des armateurs et ou affrêteurs chez son agent consignataire à Marseille , Agence maritime Fabre, dont le siège social est ... (2ème) (Bouches-du-Rhône),
13 ) de la société GIM gardiennage industriel et maritime, société à responsabilité limitée, dont le siège social est ... (2ème) (Bouches-du-Rhône), défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 17 mai 1994, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Nicot, conseiller rapporteur, Mme Loreau, MM. Vigneron, Leclercq, Dumas, Gomez, Léonnet, Poullain, Canivet, conseillers, M. Lacan, Mme Geerssen, M. Huglo, conseillers référendaires, M. de Gouttes, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Nicot, les observations de la SCP Defrénois et Levis, avocat de la société Somotrans, de Me Ricard, avocat de la société Neufchâteloise, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat des sociétés Militzer et X... France, Le Languedoc, Navigation et Transports, Colonia Versicherung AG, Skandia insurance company limited, de Me Blanc, avocat du Service auxiliaire de manutention, de Me Le Prado, avocat de la Compagnie l'Entente, de la SCP Peignot et Garreau, avocat de la Compagnie marocaine de navigation COMANAV, des Agences maritimes Fabre AMF, du capitaine commandant du navire Al Hoceima, les conclusions de M. de Gouttes, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 janvier 1992), qu'une remorque contenant des colis de confection destinés à la société Militzer et
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, commissionnaire de transports, ont été transportés de Casablanca à Marseille par la compagnie Marocaine de Navigation (le transporteur maritime) à bord du navire Al Hoceima ; que le commissionnaire de transport a chargé la société Transports Gorlier (Gorlier), tractionnaire, de prendre livraison du véhicule que la société Somotrans, (l'entrepreneur de manutention) avait en charge pour le compte du transporteur maritime ; que le chauffeur de la société Gorlier a tenté, une première fois, de prendre livraison du véhicule et de son chargement dans l'après-midi du 11 février 1987, mais en vain, les préposés au "pointage" de l'entrepreneur de manutention ayant terminé leur service à 16 heures 15 ; que, lorsque le chauffeur s'est présenté une seconde fois, le lendemain 12 février à 8 heures, la remorque et son chargement avaient disparu ; que le même jour, 12 février, les préposés de l'Association Services Auxiliaires de Manutention (SAM), qui assure la garde des installations et le contrôle des sorties du port de Marseille, se sont mis en grève à partir de 5 heures 30 ; que la société Militzer et
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, ainsi que plusieurs compagnies d'assurances, dont les compagnies La Neuchâteloise et L'Entente (les assureurs) subrogées dans les droits des propriétaires des marchandises, ont assigné en réparation solidaire le transporteur maritime et l'entrepreneur de manutention ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Attendu que l'entrepreneur de manutention fait grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'il devait prendre en charge les condamnations prononcées contre le transporteur maritime alors, selon le pourvoi, que la livraison n'est pas liée à un déplacement matériel de la marchandise débarquée ; qu'elle résulte de l'accord des parties exprimé par des documents ;
qu'ainsi, la remise par le transporteur du bon à délivrer au destinataire de la marchandise, indique l'intention du premier de se dessaisir de la marchandise et la volonté du second de se l'approprier ; que la remise de la billette, simple document administratif destiné à permettre l'opération matérielle de sortie de l'ensemble routier de la zone portuaire, ne saurait caractériser la livraison ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 27 de la loi du 18 juin 1966 ;
Mais attendu que l'exécution par le transporteur du contrat de transport maritime ne prend fin qu'à la livraison, par laquelle le transporteur, ou son mandataire, remet la marchandise à l'ayant droit qui l'accepte ; qu'après avoir constaté que le chauffeur de la société Gorlier s'est présenté une première fois pour prendre possession du véhicule et du chargement litigieux, mais n'a pu que procéder à une simple "reconnaissance de la marchandise", en l'absence du préposé de la société Somotrans, habilité à délivrer le bon de livraison dit "billette" permettant la sortie du parc de stationnement du manutentionnaire, l'arrêt relève que la seconde tentative de prise de possession du véhicule et de son contenu n'a pu aboutir, dans la soirée du même jour, en raison du départ des préposés du manutentionnaire dès 16 heures 15 ; que de ces constatations, la cour d'appel a retenu à bon droit qu'en l'absence de la transmission de la détention des choses transportées, indissociable des opérations juridiques concernant la livraison, celle-ci n'avait pas eu lieu ;
Sur le premier moyen pris en sa seconde branche et sur le second moyen :
Attendu que l'entrepreneur de manutention reproche encore à l'arrêt d'avoir décidé qu'il devait prendre en charge les condamnations contre le transporteur maritime et d'avoir rejeté le recours qu'il avait dirigé contre l'association SAM alors, selon le pourvoi, d'une part, que la cour d'appel qui a relevé que le vol a pu avoir précédé le début de la grève s'est, pour retenir la responsabilité de l'acconier, appuyée sur une simple hypothèse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 53 b/ de la loi du 18 juin 1966 ; et alors, d'autre part, qu'il avait fait valoir, dans ses conclusions d'appel, que le vol était résulté non pas tant de la grève, en tant que telle, mais des conséquences qu'un tel évènement pouvait entrainer, et notamment une totale désorganisation de la surveillance des marchandises au sein de la zone portuaire ; que dès lors, en ne recherchant pas comme elle y était expressément invitée, s'il n'existait pas un lien de causalité entre les conséquences dommageables résultant de la grève et le vol, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que l'entrepreneur de manutention ayant soutenu devant les juges d'appel que la grève des surveillants préposés d'une tierce personne morale, constituait par elle-même un cas exonératoire de responsabilité, l'arrêt retient que la grève ayant commencé après la période de temps pendant laquelle le vol du véhicule et de la marchandise pouvait avoir été commis, le manutentionnaire ne prouvait pas la relation causale entre cette grève et le dommage ;
qu'en constatant ainsi que la société Somotrans n'avait pas rapporté la preuve dont elle avait la charge, et tandis qu'elle n'avait donc pas à répondre plus amplement aux conclusions visées au pourvoi et relatives aux conséquences de la grève, la cour d'appel n'a aucunement motivé sa décision de manière hypothétique ;
d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Sur la demande formée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu qu'il est équitable d'accueillir la demande d'une indemnité de 9 000 francs réclamée par la compagnie L'Entente, et de fixer aussi à la somme de 9 000 francs celle réclamée ensemble par les sociétés Militzer et
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, Languedoc, Colonia Versicherung, Skandia insurance company limited et Navigation et Transports, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Rejette la demande présentée par l'association SAM sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne la société Somotrans sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à payer d'une part à la compagnie l'Entente la somme de neuf mille francs et, d'autre part, une somme de neuf mille francs aux sociétés Militzer et X... France, Languedoc, Colonia Versicherung, Skandia insurance company limited et Navigation et Transports ;
Condamne la société Somotrans, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du cinq juillet mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.