AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Jean-Louis X..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 9 janvier 1992 par la cour d'appel de Caen (1res chambres civile et commerciale, 1re section), au profit de l'Association de la clinique de Carentan, dont le siège social est ... (Manche), défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 4 mai 1994, où étaient présents :
M. Grégoire, conseiller doyen faisant fonctions de président, Mme Gié, conseiller rapporteur, M. Renard-Payen, conseiller, M. Lesec, avocat général, Mlle Ydrac, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Gié, les observations de Me Foussard, avocat de M. X..., de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de l'Association de la clinque de Carentan, les conclusions de M. Lesec, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, suivant acte sous seing privé du 5 janvier 1963, l'association de la clinique de Carentan s'est engagée à mettre à la disposition de M. X... jusqu'à l'âge de 65 ans, ses locaux et tous moyens nécessaires pour lui permettre l'exercice de son activité de chirurgien ; qu'il était prévu à l'article 13 du contrat que la clinique pourrait y mettre fin à tout moment moyennant un préavis ou, à défaut, le paiement d'une indemnité de rupture ; que l'article 19 stipulait que "sans préjudice des motifs de résiliation de droit commun, la clinique pourra résilier purement et simplement le contrat, sans indemnité ni préavis, dans le cas où le docteur X... se rendrait coupable, dans l'exercice de sa profession, d'une faute jugée grave par la juridiction ordinale et sanctionnée par une interdiction d'exercer de plus de trois mois" ; que faisant état d'une violente altercation avec un confrère, survenue le 21 avril 1987, l'association a signifié à M. X..., par lettre du 27 avril suivant, qu'elle résiliait le contrat sans préavis ni indemnité ; que M. X... l'a assignée en paiement de l'indemnité de rupture prévue à la convention ; que l'arrêt attaqué (Caen, 9 janvier 1992) retenant que les parties avaient, l'une et l'autre, engagé leur responsabilité dans la rupture des relations contractuelles, a condamné l'association à payer à M. X... la somme de 200 658 francs et ce dernier à verser à la clinique celle de 20 000 francs ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en paiement de l'indemnité de rupture telle que prévue à l'article 13 de la convention, alors, selon le moyen, que, d'une part, dès lors qu'une partie use de la faculté de résilier unilatéralement la convention, comme le lui permet le contrat, il est exclu qu'elle puisse ultérieurement exercer une action en résiliation judiciaire sur le fondement des règles du droit commun ;
qu'en effet, la décision unilatérale de résiliation fait naître immédiatement, au profit de l'autre partie, les droits que la convention attache à cette décision, sans que l'auteur de la décision unilatérale de résiliation puisse se rétracter ; d'où il suit qu'en l'état de la lettre du 27 avril 1987, qui marquait sans équivoque la volonté de la clinique de résilier unilatéralement le contrat, les juges du fond, qui se sont fondés à tort sur les règles du droit commun de la résiliation judiciaire, ont violé les articles 1134 et 1184 du Code civil ; alors, d'autre part, que la circonstance que la clinique n'ait pas renoncé à la possibilité d'une action en résiliation judiciaire était indifférente, la décision unilatérale de résiliation, qui ne pouvait être rétractée, excluant l'application des règles de la résiliation judiciaire ;
qu'ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ; et alors, enfin, que l'exercice du droit de résiliation unilatérale emportant nécessairement renonciation à l'exercice de l'action en résiliation judiciaire, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1184 du Code civil et les règles régissant la renonciation tacite ;
Mais attendu que l'arrêt retient qu'en agressant verbalement un confrère alors que celui-ci examinait un patient, et en lui portant des coups, M. X... a commis une faute certaine à l'égard de la clinique ; que, faisant une exacte application du contrat, l'arrêt relève qu'en résiliant, pour ce motif, la convention l'unissant au praticien, l'association de la clinique de Carentan a usé de la faculté prévue à l'article 19 qui l'autorisait à rompre le contrat sans préavis ni indemnité, non seulement en cas de faute du praticien sanctionnée par la juridiction ordinale, mais encore pour "les motifs de droit commun" ; qu'il s'ensuit que le moyen qui, en ses trois branches, suppose que la décision de la clinique a été prise sur le fondement de l'article 13 de la convention, est dépourvu du moindre fondement ;
Sur la demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que l'Associaton de la clinique de Carentan sollicite, sur le fondement de ce texte, l'allocation d'une somme de 15 000 francs ;
Attendu qu'il y a lieu d'accueillir partiellement cette demande ;
Et attendu que le pourvoi revêt un caractère abusif ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... à une amende civile de 10 000 francs, envers le Trésor public ; le condamne, envers l'Association de la clinique de Carentan, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Le condamne également à payer à l'Association de la clinique de Carentan la somme de dix mille francs, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du quinze juin mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.