AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
I - Sur le pourvoi n° S/92-13.125 formé par la société Sofirec, société anonyme, dont le siège social est à Paris (8ème), ..., en cassation d'un arrêt rendu le 10 janvier 1992 par la cour d'appel de Paris (25ème chambre - section B), au profit :
1 ) de la société Alcatel CIT, société anonyme, dont le siège social est à Paris (15ème), ...,
2 ) de la société Chauffage et Ventilation, société anonyme, dont le siège social est à Brest (Finistère), ...,
3 ) de M. C..., demeurant à Quimper (Finistère), ..., pris en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Chauffage et Ventilation,
4 ) de M. X..., demeurant à Brest (Finistère), ..., pris en sa qualité de représentant des créanciers de la société Chauffage et Ventilation,
5 ) de M. B..., demeurant à Créteil l'Echat (Val-de-Marne), ..., La Pyramide, pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Airchal,
6 ) de M. A..., demeurant à Créteil l'Echat (Val-de-Marne), ..., La Pyramide, pris en sa qualité de représentant des créanciers de la société Airchal,
7 ) de M. Claude Z..., demeurant à Kusnach (Suisse), Obere Wiltisgrasse 38, défendeurs à la cassation ;
II - Sur le pourvoi n° P/92-13.444 formé par la société Alcatel CIT, en cassation du même arrêt rendu au profit :
1 ) de la société Sofirec,
2 ) de la société Chauffage et Ventilation,
3 ) de M. C...,
4 ) de M. X...,
5 ) de M. Y...,
6 ) de M. B...,
7 ) de M. A...,
8 ) de M. Claude Z..., défendeurs à la cassation ;
La société Chauffage et Ventilation et MM. C... et X... ès qualités défendeurs aux pourvois principaux ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal n S/92-13.125 invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi n° P/92-13.444 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 6 avril 1994, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Poullain, conseiller rapporteur, M. Nicot, Mme Loreau, MM. Leclercq, Dumas, Gomez, Canivet, conseillers, M. Lacan, Mme Geerssen, M. Huglo, conseillers référendaires, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Poullain, les observations de la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde, avocat de la société Sofirec, de Me Choucroy, avocat de la société Alcatel CIT, de la SCP Gatineau, avocat de la société Chauffage et Ventilation, de MM. C... et X... ès qualités, de Me Barbey, avocat de MM. B... et A... ès qualités, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Met hors de cause M. A..., ès qualités ;
Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause M. B..., ès qualités ;
Joint les pourvois principaux n° S/92-12.125 formé par la société Sofirec et n° P/92-13.444 formé par la société Alcatel CIT et statuant tant sur ces pourvois que sur le pourvoi incident formé par l'administrateur du redressement judiciaire et le représentant des créanciers de la société CVB ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Alcatel CIT ( Alcatel) a commandé à la société Airchal le lot "chauffage, ventilation et climatisation" d'un chantier situé à Lannion ; que la société Airchal a sous-traité ce travail à la société Chauffage et Ventilation de Brest (société CVB) ; que répondant à une demande de la société Alcatel concernant le paiement de la société CVB, la société Airchal lui a écrit que les reversements seraient effectués dans les cinq jours ouvrés suivant réception de ses propres règlements ; que, peu après, la société CVB a avisé la société Alcatel qu'elle aurait à la payer directement en application de la loi du 31 décembre 1975 ; que la société Airchal a notifié à la société Alcatel le contrat d'affacturage qu'elle avait conclu avec la société Sofirec ; que la société Alcatel a indiqué à la société Sofirec qu'elle lui verserait directement les sommes restant dues à la société Airchal ; que la société CVB a notifié à la société Alcatel une demande de paiement direct du montant des travaux ; que la société Alcatel a payé le solde des travaux à la société Sofirec; que la société Airchal a été mise en redressement puis en liquidation judiciaire ; que la société CVB a été mise en redressement judiciaire ;
qu'elle a assigné la société Alcatel en paiement de diverses sommes ; que la société Alcatel a assigné la société Airchal en garantie et la société Sofirec en restitution de la somme versée et en garantie de toute condamnation qui serait prononcée au profit de la société CVB ; que la société Sofirec a reconventionnellement demandé à être garantie de toute condamnation par la société Alcatel et, subsidiairement, a formé une demande en répétition de l'indu contre le liquidateur judiciaire de la société Airchal ;
Sur le moyen unique, pris en ses cinq branches du pourvoi n° P/92-13.444 :
Attendu que la société Alcatel fait grief à l'arrêt après avoir décidé que, maître de l'ouvrage, elle devait paiement aux représentants judiciaires de la société CVB, sous-traitant, d'avoir limité la garantie de la banque Sofirec, affactureur subrogé dans les droits et actions de la société Airchal, entrepreneur principal, à l'encontre du maître de l'ouvrage, alors, selon le pourvoi, d'une part, que dans la mesure où, comme le précise l'arrêt, il appartenait à l'affactureur, banquier et professionnel du crédit à la construction, de se renseigner sur l'existence de travaux sous-traités en interrogeant expressément l'entrepreneur principal et le maître de l'ouvrage, aucune obligation à cet égard ne pouvait incomber au maître de l'ouvrage qui était un tiers au contrat d'affacturage ; qu'en imputant donc au maître de l'ouvrage de n'avoir pas renseigné l'affactureur sur l'existence d'un sous-traitant, l'arrêt a mis à sa charge une obligation inexistante et partant a violé les articles 1134, 1147 et 1182 du Code civil ;
alors, d'autre part, que le maître de l'ouvrage n'était tenu à aucune obligation de renseignement particulier à la date du 24 août 1987, dès lors que, comme l'a constaté l'arrêt, la demande de paiement direct adressée au maître de l'ouvrage par le sous-traitant le 7 août précédent était irrégulière et ne pouvait valoir dénonciation de l'action directe de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975, en sorte qu'à cette date Alcatel pouvait s'obliger valablement envers la banque dans le cadre d'un contrat d'affacturage ; que l'arrêt a donc violé de plus fort les textes précités ; alors, encore, qu'aucune obligation de renseignement particulier ne pouvait non plus être imposée au maître de l'ouvrage à la réception de la notification du 8 septembre 1987, dans la mesure où il était légitimement en droit de penser que la cession de créances, à laquelle il n'avait pas été partie, était accompagnée de toutes les garanties exigées par la loi du 31 décembre 1975, dont le cautionnement personnel et solidaire stipulé aux articles 13-1, alinéa 2, et 14 ; qu'en effet ce n'était pas au maître de l'ouvrage de s'assurer de l'existence de cette caution concernant les rapports exclusifs de l'entrepreneur principal et de l'affactureur ; que l'arrêt a ainsi violé les mêmes textes légaux ; alors, de plus, que l'arrêt aurait dû rechercher si un éventuel renseignement donné par le maître de l'ouvrage à l'affactureur dès réception de la notification de l'action directe eût permis à l'affactureur d'éviter un règlement de l'entrepreneur général et de prendre des mesures utiles pour préserver ses droits, en sorte qu'il n'a pas caractérisé le rapport de causalité entre la soi-disant faute imputée au maître de l'ouvrage et le préjudice de la banque Sofirec ; que l'arrêt a donc violé l'article 1382 du Code civil ;
alors, enfin, que le paiement de la banque en octobre 1987 ne traduisait aucune faute du maître de l'ouvrage à son égard et ne lui causait aucun préjudice personnel puisqu'elle avait déjà réglé l'entrepreneur principal ;
que l'arrêt a donc violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient la faute de la société Alcatel envers la banque, tant pour avoir pris envers elle un engagement de paiement direct, sans l'aviser de l'existence d'un sous-traitant qu'elle savait déjà être désireux d'être payé sur les sommes qu'elle détenait pour la société Airchal, tandis qu'elle ne pouvait pas ignorer que la cession portait sur des factures relatives au lot sous-traité, que pour avoir payé la banque par la suite sans lui indiquer que la société CVB, en sa qualité de sous-traitante, exerçait l'action directe ;
que c'est sans encourir les griefs du pourvoi quant à l'inexistence d'une obligation contractuelle dont elle aurait reproché la méconnaissance à la société Alcatel et en caractérisant les éléments de sa responsabilité envers la banque que la cour d'appel a décidé que cette société avait agi de façon trompeuse en lui donnant des assurances dénuées des précisions qui en auraient fait ressortir la portée limitée ;
Attendu, en second lieu, que l'arrêt, par motifs adoptés, constate que la société Alcatel avait eu un comportement fautif dès avant la mise en redressement judiciaire de la société Airchal et énonce que mieux renseignée la banque aurait pu prendre toutes mesures utiles pour préserver ses droits ; que la cour d'appel a pu en déduire que la faute de la société Alcatel était en relation avec le préjudice subi par la banque ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident au pourvoi n° P/92-13.444 :
Attendu que la société CVB, son administrateur judiciaire et le représentant de ses créanciers font grief à l'arrêt réformant le jugement d'avoir rejeté leur demande en paiement d'une somme complémentaire par la société Alcatel, alors, selon le pourvoi, que la société Alcatel déclarait dans ses écritures que la somme de 1 067 918,82 francs, correspondant à la situation n° 2, avait fait l'objet d'une traite et avait été réglée par la société Alcatel le 10 septembre 1987 ; qu'ils faisaient valoir également, reprenant expressément les motifs des premiers juges, que la société Alcatel reconnaissait que cette somme avait été réglée postérieurement au 8 septembre 1987, date de la mise en demeure, de sorte qu'elle devait entrer dans l'assiette de l'action directe ; qu'en affirmant qu'il n'était pas contesté que le montant de la situation n° 2, d'un montant de 1 067 918,82 francs, avait été payée par Alcatel antérieurement à la notification de l'action directe, le 8 septembre 1987, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et violé les articles 4 et 7 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que dans ses conclusions la société Alcatel a exposé avoir payé à la société Airchal, par une lettre de change acceptée et payée à son échéance, une somme correspondant à la situation n 2 qui incluait, à hauteur de 1 067 918,82 francs, les sommes dues par la société Airchal à la société CVB ; que cette indication n'ayant pas été contredite par la société CVB, c'est en se fondant sur ces faits qui étaient dans le débat et sans modifier l'objet du litige que la cour d'appel a retenu comme date de dépossession de la somme par la société Alcatel celle de l'acceptation de la lettre de change litigieuse; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi n S/92-13.125 :
Attendu que la banque Sofirec fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en remboursement par le liquidateur de la société Airchal, de la somme de 775 792 francs, alors, selon le pourvoi, que M. B..., en sa qualité de liquidateur de la société Airchal, avait exclusivement fait valoir que la société Sofirec n'avait commis aucune erreur et que l'article 1377 du Code civil n'était pas applicable et n'avait pas soutenu que la somme réclamée relevait d'une autre facture ; que, dès lors, en opposant à la demande de remboursement un moyen que le défendeur, objet de cette demande, n'avait pas soulevé, sans rouvrir les débats et permettre aux parties d'en discuter contradictoirement, l'arrêt a méconnu les dispositions de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que, pour s'opposer à la demande en remboursement de la banque Sofirec, le mandataire liquidateur de la société Airchal avait fait valoir en s'appuyant sur les lettres des 11 février et 8 août 1988, que la banque Sofirec n'avait commis aucune erreur en lui payant la somme dont elle était débitrice à cette époque ; que ces documents rendant compte du solde créditeur du compte de la société Airchal auprès de la banque Sofirec, pour la somme litigieuse, sans faire aucune mention de règlements relatifs aux opérations sous-traitées à la société CVB, les parties ont été à même de débattre du moyen de défense invoqué ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen du même pourvoi, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 1134 du Code civil ;
Attendu que pour condamner la société de banque Sofirec à payer à la société Alcatel la somme de 561 861 francs en principal l'arrêt retient que la banque qui n'a pas interrogé la société Airchal ni de façon expresse la société Alcatel sur l'existence de travaux sous-traités a manqué de prudence et commis une faute en relation avec le préjudice d'Alcatel, exposée à un double paiement ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'arrêt constate que la banque avait obtenu de la société Alcatel, maître de l'ouvrage, immédiatement après la signature du contrat d'affacturage et avant tout paiement, l'engagement de lui payer le montant de sa créance cédée et qu'il ne relève aucun fait de collusion entre la banque et l'entrepreneur principal, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen du pourvoi n° S/92-13.125 :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Sofirec à payer à la société Alcatel la somme de 561 861 francs avec intérêts, l'arrêt rendu le 10 janvier 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Condamne les défendeurs au pourvoi n S/92-13.125, envers la société Sofirec, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Paris, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du sept juin mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.