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08/03/1994 | FRANCE | N°92-11479

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 08 mars 1994, 92-11479


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société Transports Morineau, société anonyme dont le siège social est ... à Jard-sur-Mer (Vendée), en cassation d'un arrêt rendu le 28 novembre 1991 par la cour d'appel de Caen (1re chambre civile et commerciale), au profit de :

1 / La Société normande d'importation pour la plaisance (SNIP), société à responsabilité limitée dont le siège social est sis au port de plaisance de Ouistreham (Calvados),

2 /

La société Multrier, société anonyme dont le siège social est ... (Charente-Maritime),

...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société Transports Morineau, société anonyme dont le siège social est ... à Jard-sur-Mer (Vendée), en cassation d'un arrêt rendu le 28 novembre 1991 par la cour d'appel de Caen (1re chambre civile et commerciale), au profit de :

1 / La Société normande d'importation pour la plaisance (SNIP), société à responsabilité limitée dont le siège social est sis au port de plaisance de Ouistreham (Calvados),

2 / La société Multrier, société anonyme dont le siège social est ... (Charente-Maritime),

3 / La compagnie d'assurances La Préservatrice foncière IARD, société anonyme dont le siège social est 1, cours Michelet à La Défense 10, Puteaux (Hauts-de-Seine),

4 / La compagnie d'assurances La Concorde, société anonyme dont le siège social est ... (9e), défenderesses à la cassation ;

La SNIP, défenderesse au pourvoi principal, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation également annexés au présent arrêt ;

LA COUR, en l'audience publique du 18 janvier 1994, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Apollis, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, MM. Edin, Grimaldi, Mme Clavery, MM. Lassalle, Tricot, conseillers, MM. Le Dauphin, Rémery, conseillers référendaires, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. le conseiller Apollis, les observations de Me Foussard, avocat de la société Transports Morineau, de la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de La Varde, avocat de la SNIP, de la SCP Coutard et Mayer, avocat de la compagnie La Préservatrice foncière IARD, de la SCP Le Bret et Laugier, avocat de la compagnie La Concorde, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Statuant tant sur le pourvoi incident relevé par la Société normande industrielle et de plaisance que sur le pourvoi principal formé par la société Transports Morineau ;

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que, chargée par la Société normande industrielle et de plaisance (la SNIP) de transporter un bateau par voie terrestre de Rouen à Ouistreham, la société Multrier en a confié le déplacement à la société Transports Morineau (société Morineau) ; que le bateau ayant subi des avaries à l'occasion du passage sous un pont, la SNIP a assigné en réparation de ses préjudices la société Multrier, la société Morineau et l'assureur de celle-ci, la compagnie La Préservatrice foncière (La Préservatrice) ; que la SNIP, qui s'est vu attribuer le prix de l'épave d'un montant de 422 380,20 francs, a perçu, à titre provisionnel, de La Préservatrice une somme de 500 000 francs, et de la compagnie d'assurances La Concorde (la Concorde), son assureur, une somme de 550 000 francs ; que cette dernière est intervenue volontairement dans l'instance d'appel ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu que la société Morineau fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée, in solidum avec la société Multrier, à indemniser la SNIP de la totalité de son préjudice, alors, selon le pourvoi, qu'il ressort des constatations de l'arrêt que la SNIP a confié le transport à la société Multrier et que celle-ci a sous-traité le transport à la société Morineau ; qu'en estimant fondée la demande formée par la SNIP à l'encontre de la société Morineau, sur le terrain des règles contractuelles, bien qu'il n'y ait pas eu de lien contractuel entre la SNIP, qui sollicitait la prestation, et la société Morineau, simple sous-traitant de la société Multrier, avec laquelle la SNIP avait contracté, les juges du fond, devant lesquels la société Morineau avait souligné qu'elle n'avait pas de lien contractuel avec la SNIP, ont violé les articles 1134 et 1165 du Code civil, ainsi que les articles 1er, 23 et 29 de la convention relative aux contrats de transport international de marchandises par route (CMR) du 29 mai 1956 ;

Mais attendu que, destinataire de la marchandise transportée et donc partie au contrat de transport, la SNIP était fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de la société Morineau en raison des avaries subies par la marchandise ; que le moyen est inopérant ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Morineau fait grief à l'arrêt d'avoir retenu sa faute lourde et de l'avoir en conséquence condamnée ainsi qu'il a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la faute lourde suppose un comportement d'une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur de l'obligation à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il a acceptée ;

qu'en faisant état de ce que le transport avait été entrepris sans reconnaissance de l'itinéraire, sans autre précision quant au point de savoir si une reconnaissance de l'itinéraire aurait permis d'éviter l'avarie, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 1150 du Code civil et des règles régissant la faute lourde ; et alors, d'autre part, que la faute lourde ne permet d'écarter la clause limitative de responsabilité que si elle est en relation directe avec le dommage invoqué ; qu'en omettant de rechercher si la délivrance d'une autorisation de convoi exceptionnel ou la présence d'une voiture d'accompagnement eussent permis d'éviter le dommage, eu égard aux circonstances dans

lesquelles l'avarie s'est produite, les juges du fond ont de nouveau privé leur décision de base légale au regard de l'article 1150 du Code civil et des règles régissant la faute lourde ;

Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres, que la hauteur hors tout du chargement qui a été endommagé au passage sous un pont était de 5 mètres, que le parcours s'est effectué sans voiture d'accompagnement, sans autorisation de convoi exceptionnel et sans reconnaissance de l'itinéraire, et, par motifs adoptés, que le chauffeur n'a mesuré ni la hauteur du chargement au départ, ni la hauteur du pont avant passage, et que si la société Morineau avait déclaré aux services intéressés qu'il s'agissait d'un convoi exceptionnel, un itinéraire précis aurait pu lui être indiqué par l'administration concernée ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, effectuant les recherches prétendument omises, a relevé tous les éléments de fait propres à justifier sa décision ;

que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le troisième moyen :

Attendu que la société Morineau fait enfin grief à l'arrêt d'avoir fixé le préjudice de la SNIP ainsi qu'il a fait, alors, selon le pourvoi, que, sauf à constater que le client de la SNIP entendait acquérir deux bateaux, il était exclu que la SNIP puisse prétendre à une réparation, au titre du manque à gagner, dès lors qu'il était établi qu'elle a vendu à ce client un autre bateau et qu'à propos de cette vente, elle a encaissé un bénéfice ; d'où il suit que l'arrêt attaqué a été rendu en violation des articles 1137, 1147 et 1150 du Code civil, ainsi qu'en violation du principe selon lequel les dommages-intérêts ne peuvent excéder le montant du préjudice effectivement subi par la victime ;

Mais attendu qu'ayant retenu que, du fait des avaries, la SNIP avait manqué la vente du bateau, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des modalités propres à assurer la réparation du préjudice subi que la cour d'appel a statué ainsi qu'elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident :

Attendu que la SNIP fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à rembourser à La Préservatrice la somme de 56 251 francs, alors, selon le moyen, qu'en recevant de la compagnie d'assurances du tiers responsable, contre laquelle elle n'avait pas exercé l'action directe, le paiement d'une indemnité à laquelle elle avait droit, la victime du dommage n'avait pas reçu un paiement indû ; qu'en la condamnant pourtant à restituer à cet assureur ce qu'il lui avait versé en sus de la garantie qu'il devait à son assuré, la cour d'appel a violé l'article 1376 du Code civil ;

Mais attendu que, contrairement aux allégations du moyen, la SNIP a exercé l'action directe contre La Préservatrice, que, dès lors, c'est sans encourir le grief de la première branche, qu'ayant relevé que cet assureur de responsabilité, qui avait invoqué la limitation de garantie de sa police, avait versé une provision en exécution d'une ordonnance de référé, la cour d'appel a statué ainsi qu'elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa seconde branche :

Vu l'article L. 121-12 du Code des assurances ;

Attendu que, pour condamner la SNIP à rembourser à son assureur la somme de 458 749 francs, l'arrêt retient "qu'ayant réglé à son assurée une somme de 550 000 francs, La Concorde est subrogée de plein droit dans les droits de celle-ci et donc recevable et fondée à demander l'allocation à son profit et par priorité de toute somme qui pourrait revenir à son assurée, et cela à due concurrence de sa créance ; que, compte tenu du fait que l'étendue de la garantie due par La Concorde ne recouvre pas exactement celle due par La Préservatrice, qui porte uniquement sur la valeur du navire (888 749 francs), de sorte qu'il existe une différence de (980 000 francs - 888 749 francs) soit 91 251 francs, La Concorde est fondée à demander à la SNIP remboursement de la somme de 550 000 francs -91 251 francs, soit 458 749 francs, dont elle a été réglée par La Préservatrice, et, pour le surplus, par l'attribution du prix de vente du bateau endommagé" ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'action subrogatoire de l'assureur ne peut s'exercer que contre les personnes n'ayant pas la qualité d'assuré, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le second moyen du même pourvoi :

Vu l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que, pour limiter à la somme de 443 098,80 francs l'indemnité due par les sociétés Multrier et Morineau, l'arrêt retient qu'il convient de laisser à la charge de la SNIP une somme de 22 620 francs correspondant à la valeur du matériel ayant disparu au cours de la procédure, alors que le navire était à la garde de cette société ;

Attendu qu'en relevant d'office ce moyen sans inviter les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la SNIP à rembourser à La Concorde la somme de 458 749 francs et qu'il a limité à la somme de 443 098,80 francs l'indemnité due par les sociétés Multrier et Morineau à la SNIP, l'arrêt rendu le 28 novembre 1991, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;

REJETTE la demande présentée par la société Transports Morineau sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Condamne la société Transports Morineau, la société Multrier, la compagnie La Préservatrice foncière IARD et la compagnie La Concorde aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;

Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Caen, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du huit mars mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 92-11479
Date de la décision : 08/03/1994
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

ASSURANCE (règles générales) - Recours contre le tiers responsable - Subrogation légale - Recours contre l'assuré (non).

TRANSPORTS TERRESTRES - Marchandises - Contrat de transport - Parties - Destinataire.

TRANSPORTS TERRESTRES - Marchandises - Responsabilité - Exonération ou limitation - Exclusion - Faute lourde - Passage d'un véhicule sous un pont trop bas.


Références :

Code civil 1134 et 1150
Code des assurances L121-12

Décision attaquée : Cour d'appel de Caen, 28 novembre 1991


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 08 mar. 1994, pourvoi n°92-11479


Composition du Tribunal
Président : Président : M. BEZARD

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1994:92.11479
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