AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Rabah X..., demeurant 8, place Jean Giraudoux à Créteil (Val-de-Marne), en cassation d'un arrêt rendu le 22 mars 1989 par la cour d'appel de Paris (18e chambre, section A), au profit de la société Air Algérie, société anonyme, dont le siège est ... (1er), défenderesse à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 4 janvier 1994, où étaient présents : M. Guermann, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Frouin, conseiller référendaire rapporteur, MM. Saintoyant, Waquet, Ferrieu, Monboisse, Mme Ridé, MM. Merlin, Desjardins, conseillers, M. Aragon-Brunet, Mlle Sant, Mme Blohorn-Brenneur, conseillers référendaires, M. Terrail, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Frouin, les conclusions de M. Terrail, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 mars 1989), que M. X..., au service de la société Air Algérie depuis le 1er janvier 1966, a été affecté, à compter du 1er janvier 1975, à la représentation générale de cette société à Paris, pour occuper un emploi d'agent démarcheur ; que, le 29 juin 1982, la société l'a informé qu'il était muté en Algérie avec effet au 29 septembre 1982 ; qu'entre temps, M. X... s'est trouvé en arrêt de travail, à partir du 27 septembre 1982, pour longue maladie ; que la société ayant cessé de lui verser ses salaires à compter d'octobre 1982, il l'a attraite devant la juridiction prud'homale pour lui en réclamer le paiement, conformément aux dispositions de l'article 219 du statut du personnel au sol d'Air Algérie ; qu'après sa guérison, intervenue le 15 juillet 1986, il a engagé contre son employeur une seconde instance pour voir constater la rupture de son contrat de travail du fait de la société et obtenir de celle-ci le paiement, d'une part, de ses salaires pour la période comprise entre la date de sa guérison et la date de la rupture et, d'autre part, des indemnités de rupture ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que l'arrêt attaqué a joint ces deux instances ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir réduit de moitié le traitement qui lui était dû pendant les trois premières années de sa maladie, au motif qu'il n'avait pas repris son service pour une durée au moins égale à celle de son indisponibilité pour maladie de longue durée, alors, selon le moyen, que M. X... avait écrit à son employeur que tout en n'entendant pas répondre à l'ordre de mutation qui lui avait été adressé précédemment, il était en mesure de reprendre son activité à compter du 6 août 1986, manifestant ainsi sa volonté de poursuivre une relation contractuelle telle qu'elle existait avant sa maladie ; qu'en vertu des articles 192 et 193 du statut du personnel au sol de la compagnie, le salarié a le droit de refuser sa mutation d'office ;
que, dans ce cas, son contrat peut être résilié, mais il a droit alors au préavis et à l'indemnité de licenciement ; qu'en l'espèce, si le contrat de travail de M. X... n'a pu se poursuivre à l'issue
de son arrêt de maladie, c'est par la faute de la société Air Algérie, laquelle ne pouvait en application de la règle "nemo auditur", lui opposer l'article 225 du statut précité ;
Mais attendu qu'aux termes de ce dernier texte, après guérison ou consolidation médicalement constatée, l'agent doit reprendre son service pour une durée au moins égale à celle de son indisponibilité pour maladie de longue durée et, dans le cas contraire, il est tenu de rembourser à la compagnie la moitié de la solde perçue ou une fraction de cette moitié au prorata du temps de service non accompli au temps de service dû ;
Et attendu qu'ayant relevé, d'une part, que le salarié avait refusé sa mutation d'office en Algérie et n'avait pas repris son service à l'issue de son arrêt de maladie et, d'autre part, qu'aucun élément n'établissait que la décision de l'employeur relative à cette mutation avait été inspirée par des motifs étrangers à l'intérêt de l'entreprise, la cour d'appel a fait une exacte application des dispositions de l'article 225 du statut en statuant comme elle l'a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que M. X... fait aussi grief à l'arrêt d'avoir omis de prendre en compte l'indemnité de logement conventionnelle pour la détermination du complément de salaire à verser au salarié pendant sa maladie, alors, selon le moyen, que d'une part, l'article 219 du statut prévoit que "l'intégralité du traitement est servie pendant une durée maximum de 3 ans" et que, d'autre part, l'indemnité de logement fait partie intégrante du traitement ; qu'il s'ensuit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé une disposition conventionnelle liant les parties et donc les articles L. 135-1 du Code du travail et 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni des conclusions, ni de l'arrêt que M. X... ait soutenu devant la cour d'appel la prétention visée au moyen ; que celui-ci, qui est nouveau et mélangé de fait et de droit, est, partant, irrecevable ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que M. X... reproche encore à l'arrêt d'avoir diminué le montant de l'indemnité de licenciement que les premiers juges lui avaient allouée alors, selon le moyen, que, dans ses conclusions, M. X... avait demandé la confirmation du jugement sur ce point, et que, de son côté, la société Air Algérie avait demandé que M. X... soit débouté de cette demande en considérant qu'il était responsable de la rupture du contrat de travail ; qu'il est manifeste que la cour d'appel a décidé de revenir d'office sur le mode de calcul de l'indemnité de licenciement, bien qu'aucune des parties ne contestât les chiffres et le mode de calcul retenus par les premiers juges ;
Mais attendu que la société ayant contesté le droit pour le salarié à l'indemnité de licenciement, la cour d'appel était fondée à apprécier la demande qu'il avait présentée à cet égard ; que le moyen ne peut donc être accueilli ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que M. X... reproche en outre à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande en paiement de ses salaires pour la période comprise entre le 15 juillet 1986, date de sa guérison constatée médicalement, et le 8 janvier 1988, date de saisine du conseil de prud'hommes, alors, selon le moyen, qu'après son arrêt de travail pour maladie, M. X... avait indiqué à son employeur qu'il désirait reprendre le travail tout en refusant sa mutation ; qu'aux termes de l'article 193 du statut du personnel au sol d'Air Algérie "le contrat de l'agent qui refuse la mutation peut être résilié" ; qu'il s'ensuit que la résiliation du contrat n'est pas automatique et qu'elle doit résulter de la volonté expresse et explicite de l'employeur ou éventuellement du salarié ; qu'en l'espèce l'employeur est resté silencieux ; que le contrat de travail n'ayant, en conséquence, été rompu qu'à dater du jour où M. X... l'a demandé expressément, c'est à dire à la date de sa demande en justice, il avait bien droit à son salaire pendant la période où il est resté à la disposition de son employeur ;
Mais attendu que la cour d'appel a décidé, à bon droit, qu'en l'absence de prestation de travail du salarié pendant la période considérée du fait du refus de sa mutation, celui-ci ne pouvait prétendre recevoir un salaire ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le cinquième moyen :
Attendu que M. X... fait enfin grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande d'indemnité formée en application de l'article L. 122-14-4 du Code du travail, alors, selon le moyen, d'une part, que, l'article 192 du statut du personnel au sol prévoit que "les changements d'affectation géographique ne peuvent être prononcés d'office que dans l'intérêt du service décidé par la direction générale" ; qu'en considérant que M. X... n'apportait en réalité aucun élément permettant de décider que la décision de mutation de l'employeur a été inspirée par des motifs étrangers à l'intérêt de l'entreprise, ni qu'elle s'est réalisée d'une manière abusive de la part de la société, la cour d'appel a fait peser sur M. X... seul la charge de la preuve, en violation de l'article L. 122-14-3 du Code du travail, et alors d'autre part, que, la cour d'appel ne pouvait écarter l'application de l'article L. 122-14-4 au motif que M. X... ne démontrait pas que cet article s'appliquait bien à son contrat, relevant du statut d'une entreprise algérienne ;
qu'en en décidant ainsi, la cour d'appel a violé tout à la fois cet article et l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'abord, que c'est sans faire peser la charge de la preuve sur le seul salarié que la cour d'appel, devant laquelle l'employeur faisait valoir que la mutation d'office de M. X... de Paris à Alger était intervenue dans le cadre normal des mouvements du personnel expatrié, a statué par les motifs critiqués par la première branche du moyen ;
Attendu, ensuite, que la seconde branche du moyen, qui s'attaque à des motifs surabondants, est inopérante ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X..., envers la société Air Algérie, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du seize février mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.