AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / M. Robert F..., menuisier, demeurant ... (Val-d'Oise),
2 / Mlle Colette, Lucie X..., retraitée, demeurant ... (Val-d'Oise),
3 / M. Manuel de B...
C..., de nationalité portugaise, maçon, demeurant ... (Val-d'Oise),
4 / M. René Y...,
5 / Mme Gisèle Y..., tous deux retraités et demeurant ... (Val-d'Oise),
6 / Mme Germaine D..., retraitée, demeurant ... (Val-d'Oise),
7 / Mme Renée F..., agent des douanes, demeurant ... (Val-d'Oise),
8 / Mme Rosa C... née C...
Z..., de nationalité portugaise, couturière, demeurant ... (Val-d'Oise), en cassation d'un arrêt rendu le 11 mars 1992 par la cour d'appel de Versailles (14e chambre civile), au profit :
1 / de M. Mario E...,
2 / de Mme E... née Assunta A..., demeurant tous deux ... (Val-d'Oise), défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 12 janvier 1994, où étaient présents : M. Burgelin, conseiller le plus ancien non empêché faisant fonctions de président, M. Delattre, conseiller rapporteur, MM. Laplace, Chartier, Mme Vigroux, M. Buffet, conseillers, M. Bonnet, conseiller référendaire, M. Monnet, avocat général, Mme Lagardère, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Delattre, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de MM.
F... et de B...
C..., de Mlle X..., des époux Y... et de Mmes D..., F... et C..., les conclusions de M. Monnet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne défaut contre les époux E... ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Versailles, 11 mars 1992), que les époux F... et six autres personnes (les consorts F...) ont saisi le juge des référés à l'effet de voir interdire le passage sur une impasse leur appartenant en copropriété, aux époux E... propriétaires d'un terrain enclavé sur lequel ceux-ci avaient entrepris des travaux en usant de ce passage, et d'en ordonner l'interruption immédiate ; que le juge des référés, après avoir relevé qu'une instance était pendante devant le juge du fond au sujet du droit de passage revendiqué par les époux E..., a constaté que l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent n'était pas établie et s'est déclaré incompétent ;
que les consorts F... ont interjeté appel de cette décision ;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir refusé d'ordonner aux époux E... de cesser leurs opérations de construction, alors que, d'une part, le juge des référés peut toujours, même en présence de contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite ; que la cour d'appel qui, pour refuser d'ordonner la suspension provisoire des travaux de construction commencés par les époux E... dans l'attente d'une décision judiciaire tranchant sur l'existence de leur droit de passage sur une voie privée et sur les modalités d'exercice de ce droit comme sur son assiette, s'est déterminée par le fait que les époux E... soulevaient une contestation sérieuse, aurait violé, l'article 809 du nouveau Code de procédure civile ; alors que, d'autre part, la juridiction des référés est compétente, en cas d'urgence, pour ordonner une mesure que justifie l'existence d'un différend ; que la cour d'appel, qui a refusé d'ordonner la suspension des travaux de construction commencés par les époux E... avant de voir déterminer, en justice, l'existence de leur droit de passage et les modalités de son exercice, faute pour les copropriétaires de la voie privée d'établir un dommage imminent, mais qui n'a pas recherché si les difficultés de circulation alléguées par les copropriétaires qui, par l'effet du passage des engins de travaux publics, ne pouvaient plus eux-mêmes user de la voie, ne justifiaient pas de prendre des mesures conservatoires, aurait violé l'article 808 du nouveau Code de procédure civile ;
alors qu'enfin la juridiction des référés est compétente pour ordonner une mesure propre à prévenir un dommage imminent, et qu'elle ne peut justifier son refus de l'ordonner en considération de l'absence de dommage réalisé ; que la cour d'appel qui, saisie d'une demande de suspension provisoire de travaux de construction en raison du risque que faisait courir au revêtement de la voie privée et aux canalisations qu'il recouvre la circulation d'engins de travaux publics, s'est déterminée par le fait qu'aucun dommage imminent n'était établi, sans rechercher au préalable si le risque allégué par les copropriétaires de la voie n'était pas réalisé par la nature des travaux entrepris et la suppression de la circulation qu'ils entraînaient, aurait privé sa décision de base légale au regard de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des productions que les consorts F... aient fondé leur action en référé sur un cas d'urgence ;
Et attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, qu'il n'était pas établi que des dégâts eussent été jusqu'alors causés à la chaussée ou aux canalisations de l'impasse par les travaux des époux E... et qu'un usage intempestif de cette impasse ne pouvait se déduire de la seule présence, sur leur terrain, d'un engin de chantier, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain, que la cour d'appel, justifiant légalement sa décision, retient qu'aucun dommage imminent ne justifiait l'intervention du juge des référés ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les demandeurs, envers les époux E..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du neuf février mil neuf cent quatre-vingt-quatorze après signature, conformément aux dispositions de l'article 456 du nouveau Code de procédure civile, pour M. le conseiller Delattre empêché.