AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / Mme Monique, Christiane X..., épouse de M. Y..., demeurant ... (17ème),
2 / la société à responsabilité limitée Palissy Viris, dont le siège est ... (8ème), représentée par son gérant en exercice, domicilié audit siège en cette qualité, en cassation d'un arrêt rendu le 15 mars 1990 par la cour d'appel de Paris (1ère chambre, section B), au profit :
1 / de M. Z... Principal du 17ème arrondissement, 1ère Division, ... (17ème),
2 / de M. Fernando, Miguel A..., demeurant ... (15ème), défendeurs à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt :
LA COUR, en l'audience publique du 27 octobre 1993, où étaient présents : M. Grégoire, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Thierry, conseiller rapporteur, MM. Renard-Payen, Lemontey, Gélineau-Larrivet, Forget, Mme Gié, M. Ancel, conseillers, M. Savatier, Mme Catry, conseillers référendaires, M. Gaunet, avocat général, Mlle Ydrac, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Thierry, les observations de la SCP Lesourd et Baudin, avocat de Mme Y... et de la société Palissy Viris, de la SCP Ancel et Couturier-Heller, avocat de M. Z... Principal du 17ème arrondissement, 1ère Division, les conclusions de M. Gaunet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, qu'en novembre 1984 un redressement fiscal de plus de 33 M F a été notifié à M. Y... par le Trésorier Principal du 17ème arrondissement de Paris (le Trésorier Principal) ;
que, par un premier acte sous seingprivé du 25 mars 1985, Mme Y... s'est reconnu débitrice de la somme d'1,3 M F envers M. A..., agent de change ; que, pour sûreté de cette créance, elle a affecté en nantissement mille parts de SCI lui donnant vocation àl'attribution de cinq lots dans la résidence des Viris ; que, selon un second acte sous seing privé en date des 8 janvier et 4 février 1986, Mme Y... a cédé, moyennant le prix de 900 000 francs, ces mille parts à la société Palissy Viris, en voie de formation ; que la cédante a délégué son cessionnaire en vue de rembourser, sur ce prix, la somme de 667 396 francs à son prêteur, M. A..., ce remboursement devant être effectué en 80 mensualités de 8 300 francs chacune ; que, le 31 mai 1986, un avis de mise en recouvrement a été notifié à M. Y... ; que, le 29 janvier 1987, le Trésorier Principal a assigné Mme Y... devant le tribunal de grande instance de Paris, pour que la cession des 8 janvier et 4 février 1986 lui soit déclaré inopposable ; que, le 11 mars 1987, il a pratiqué saisie-arrêt entre les mains de la société Palissy Viris, et l'a assignée en validité pour obtenir paiement d'1,5 M F ;
qu'après jonction de ces deux instances, l'arrêt attaqué (Paris, 15
mars 1990) a déclaré inopposable au Trésor public la cession litigieuse, dit que les mille parts sociales devraient être réintégrées dans le patrimoine de Mme Y..., et sursis à statuer sur l'intervention volontaire de M. A... en cause d'appel ;
Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, d'une part, que le créancier, qui n'est pas investi de droits particuliers sur les biens de son débiteur, ne peut faire révoquer les actes accomplis par celui-ci en fraude de ses droits, que s'il démontre son insolvabilité ; qu'en se bornant, pour déclarer inopposable au Trésor public la cession de parts des 8 janvier et 4 février 1986, à retenir que Mme Y... avait aggravé la précarité de sa solvabilité, l'arrêt attaqué, qui n'a pas constaté l'insolvabilité de la débitrice, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1167 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'en omettant de constater qu'en effectuant la cession litigieuse Mme Y... savait qu'elle portait atteinte aux droits du Trésor public, la cour d'appel n'a pas caractérisé la fraude de celle-ci, au sens du même article 1167 du Code civil, et a ainsi également privé sa décision de base légale au regard de ce texte ;
alors, par ailleurs, que la seule aggravation de la précarité de la solvabilité de Mme Y..., pas plus que sa connaissance de la vérification et du redressement fiscal, n'étaient de nature à caractériser sa volonté de frauder les droits du Trésor public, dès lors que 12 mois s'étaient écoulés entre la notification de ce redressement (novembre 1984), et l'envoi des avis de mise en recouvrement qui, au surplus, ont été notifiés au seul M. Y... (31 mai 1986) ; qu'en se déterminant par ces seuls motifs, la juridiction du second degré a, de nouveau, privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 susvisé ; et alors, enfin, que la complicité de fraude du tiers acquéreur ne peut être caractérisée que par sa connaissance du montant de la dette de son auteur, et de ses difficultés de règlement ; qu'en l'espèce, ni le fait que la société Palissy Viris ait été en formation à l'époque de la cession litigieuse, ni celui qu'elle n'ait pas justifié avoir acquitté le prix de cession, ni celui de sa domiciliation au siège de la société dirigée par Mme Y..., n'étaient de nature à caractériser la connaissance par le cessionnaire du montant de la dette du cédant ; qu'en se bornant à constater que le prix de cession de 900 000 francs devait, à hauteur de 667 396 francs, être versé entre les mains de M. A..., dont la créance à l'encontre de Mme Y... n'était pas contestée, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard du même texte ;
Mais attendu, d'abord, que l'arrêt relève que Mme Y... avait eu connaissance de la vérification fiscale et du redressement opéré, et que la cession de parts consentie par elle dix-huit mois après ce redressement compromettait les intérêts du Trésor en remplaçant dans le patrimoine de sa débitrice des biens aisément saisissables par une créance qu'elle n'a pas tenté de recouvrer ; que la cour d'appel en a déduit, dans l'exercice de son pouvoir souverain, que Mme Y..., qui ne prétendait pas être demeurée propriétaire de biens suffisants pour désintéresser le Trésor public, avait en connaisance de cause aggravé la précarité de sa solvabilité, au préjudice des droits de l'administration fiscale ; que la juridiction du second degré a ainsi procédé à la recherche, qu'il lui est reproché d'avoir omis d'effectuer ;
Attendu, ensuite, qu'ayant également retenu que la société Palissy Viris, cessionnaire des parts, avait été constituée le 8 janvier 1986, c'est-à-dire le jour même de cette cession, que le prix de celle-ci n'avait pas été acquitté, et que la société était domiciliée à la même adresse que celle dirigée par Mme Y..., c'est encore dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel a estimé que le tiers acquéreur des parts sociales n'ignorait pas la situation obérée de sa venderesse et qu'il avait participé en connaissance de cause à la fraude ourdie par celle-ci ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ;
Qu'il s'ensuit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses quatre branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Y... et la société Pallissy Viris, envers M. Z... Principal du 17ème arrondissement de Paris, 1ère Division et M. A..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du huit décembre mil neuf cent quatre-vingt-treize.